Devoir de Philosophie

Voyage au bout de la nuit ; Louis Ferdinand Céline

Publié le 09/12/2010

Extrait du document

Après la passerelle, il faut le décor. L'extrait recrée un dénuement physique et moral. Les mourants et les expirants abondent, les spectateurs sont présents, la parturiente, la sage-femme, le mari sont les acteurs d'une scène dramatique et sinistre. L'aspect humain et l'action humaine sont écoeurants et amorales, au milieu de tout cela, le personnage de Pierre symbolise cette classe sociale.  Cette situation est décrite crûment sans ménagement. Si cet extrait n'appuie pas sur notre glotte, il reste qu'un léger malaise peut envahir les âmes sensibles. Nous avons un champ lexical repoussant : des « cancéreux «, la « mort «, l' « agonie « qui emplissent l'atmosphère. La mort côtoie les animaux : « Les chiens de tout le monde on les entend par coups de grelots qui sautent et cabriolent à travers les marches. « la solennité du passage de vie à trépas est détruite. Les vivants, les animaux, les morts se mélangent dans un bouillon nauséabond. On entre dans cette misère physique, sans pudeur, écorché vif. « Tout le monde est débraillé «, sans concession, sans euphémisme, l'atmosphère de la pauvreté est récré, presque palpable. La nécrose, les masses d'hommes presque assimilés à des bêtes tellement les chiens sont proches, l'impudeur ne suffisent pas, il faut rajouter de l'hémoglobine. « Cette expulsion de foetus n'avance pas, (…), ça saigne encore seulement. « D'ailleurs, ce n'est pas un bébé, un bambin, un nourrisson, tous ces noms mignons mais bien un foetus. Ce n'est pas le signe d'une nouvelle génération, un moment heureux mais un homme de plus dans un monde dégénéré. Céline arrive à nous dégoûter au moment où le mari regarde : « le trou de sa femme d'où suintent des caillots et puis des glouglous «, c'est presque insoutenable, Céline enfonce de manière très incisive une vision de l'homme dégoutant, pauvre et pourri dans notre esprit par l'intermédiaire des sensations. Puis il continue par l'assimilation complète de ces hommes, ces formes agonisantes dans la pénombre miséreuse à des animaux : « Elle gémit comme un gros chien qu'aurait passé sous une auto «. C'est immonde, Bardamu évolue au milieu de bêtes. La déchéance humaine de la condition pauvre de la société urbaine et industrielle du début du XXe doublé à une insalubrité, une absence d'hygiène nous apparait alors au nos yeux ébaubis. Céline réussit à nous plonger dans la vie difficile des villes par l'intermédiaire de mots qui déclenchent des sensations et dessinent des hommes dénués de dignité physique, décomposés, de la pourriture en suspens.  Les comportements de cette pourriture humaine n'arrangent rien. Les hommes se précipitent telle une presse grouillante devant la mort, seule distraction de leur vie misérable. Cette presse a un nom, « public d'agonie «, comme nous l'avons vu, leurs physique, leur cries sont ceux de bêtes, leurs moeurs également. « La famille d'en bas vient voir si par ici ça allait se terminer aussi mal que chez eux. « ; « Les chiens, […], Ils montent aussi «. Le rapprochement de ces deux entités fait office de comparaison. Cette foule veulent échapper un tant soit peu à leur torpeur indigente. Pour se faire ils ont le sommeil : « le seul plaisir du pauvre « dixit Zola, ils ont également le coït mais aussi l'émotion de la mort. Rappelez-vous les attroupements devant la guillotine pendant la terreur pour admirer ces têtes, sièges de l'âme et de la pensé se détacher du corps. Pour montrer l'indigence morale des pauvres, Céline ne fait pas dans la dentelle, montre leur comportement bestial qui recherche l'émotion plutôt que la raison. Ils chuchotent, « affectent des airs tendrement avertis devant le malheur «, complètement indifférent devant la mort lorsqu'elle ne les concerne pas. Ils se donnent des raisons naïves pour cautionner ces actes : « « apprennent l'existence « comme disent les mères. Un autre élément apparait également pour montrer le déficit de moral, c'est l'instinct qui prédomine sur la raison. La mort n'a aucune importance, il faut d'abord satisfaire les instincts : « L'instinct féminin de consoler « ou l'obsession du cousin sur les frêles jambes de la privation. Céline nous ouvre les portes de la pauvreté, nous la fait ressentir par des comportements primitifs, nous dépeint l'homme indigent comme la société la crée depuis la nuit des temps.    Lorsqu'on a fait le plein d'émotion, on se lasse et on veut « tout de même aller se coucher, à causes des enfants «, l'indifférence face à la mort atteint alors des sommets. Céline accentue le dénuement moral par un paragraphe aberrant. « Les uns en voulaient de l'hôpital, les autres s'y montraient absolument hostiles à cause des convenances « ; « L'hôpital ? Pas l'hôpital ? Que veut-il ? «, le passage est écheveau d'idée où la moral et le bon sens n'ont aucune place. Les hommes offrent une réaction étonnante face à l'hôpital, pudique, les pauvres, ne veulent pas se rendre au lieu des maux pour ne pas révéler leur misère physique honteuse, en dépit du bon sens. Au-dessus de tout cela, « la sage-femme méprisait tout le monde. «, le peuple erre dans la turpitude, on est complètement dégouté de cette vision et on voudrait que Céline arrête, on n'en a assez, on a compris ce qui se passait dans les bas-fonds de la société. Eloignez cette misère que je ne saurai voir. Tous ces cris mêlés se synthétisent en un seul cri, un cri de désespoir face à un monde décadent.  En parlant de synthèse, Céline en utilisant le personnage Pierre, il réunit d'un tout cohérent sa pensée sur les classes populaires. Complètement dépassé par les évènements, il ne comprend pas ce qu'il lui arrive : « plus indécis encore que tous les autres, le mari « ; « Que veut-il ? Il ne sait pas. « ; « Il ne sait pas en somme ce qu'il veut « Il nous l'image d'une partie du peuple sous sédatif, complètement amorphe sous l'assommoir de la pauvreté. Irrésolu, ne sachant que faire devant sa femme agonisante : « On lui passe un verre de vin blanc pour le soutenir. « Céline nous passe un message devant cet objet symbolique : relevez cet homme, tous les pauvres de la terre, non de dieu ! A l'image de sa classe, l'homme est décrit. Sa vie se caractérise par un prosaïsme languissant : « C'est un homme ça qui travaille dur dans la journée. «, « il remises des sacs, […], des gros lourds depuis quinze ans. «. Il est terre à terre, l'air jobard, son seul but est de rester en vie, de satisfaire à son instinct primitif de vivre : « C'est seulement à la terre et à rester droit dessus qu'il a l'air de tenir «. Il a des comportements bestiaux : « Il se gratte «. Comme un enfant, il veut effacer la noirceur qui obscurcit sa vie monotone sans vague : « Il va s'asseoir Pierre, auprès de la tête de sa femme comme s'il avait du mal à la reconnaître «, il ne veut pas reconnaître ce visage synonyme de douleur. Il est doué d'une émotive indifférence : « il pleure une espèce de larme, et puis il se remet debout «. Pour finir il s'en va dans la torpeur de l'alcool : « va vaciller vers la cuisine en emportant son verre. Céline résume en seule personne les côté répugnants et désespérants de la condition humaine, offre un choque aux lecteurs, nous sensibilise et dépeint un monde qui nous fait froid dans le dos.  Céline tel un médecin qu'il est d'ailleurs, ouvre le corps humain de manière incisive avec son scalpel et nous tend l'organe encore chaud et rythmé par le sang des plus noirs. Dans un réalisme de la même couleur, il plante son décor sur une réalité social sordide qu'on voudrait détourner de ses yeux ou en admirer sa justesse et sa turpitude. Céline nous fait le plein de sensation et d'émotion pour mieux nous sensibiliser.    Le style de Céline est subordonné à sa vision du monde. Un style rapide qui pourrait paraître relâché s'il n'était d'autant plus vivant, inouï, inventé pour faire parler les misérables. Après la passerelle, le décor, le style parachève la vision de Céline. Nous allons l'étudier d'abord par ce monologue intérieur, puis son oralité écrite et enfin par son décalage avec la situation.  Lorsqu'on lit ce passage, on ne lit pas mais on le dit. C'est un flot de paroles au discours indirect libre qui laissent écouler les pensées du narrateur. Dans ce mini paragraphe : « Cette expulsion de foetus n'avance pas, le détroit doit être sec, ça ne glisse plus, ça saigne encore seulement. Ça aurait été son sixième enfant. Où il est le mari ? Je le réclame. « Nous trouvons dans un rythme en rinforzando plusieurs éléments, une description, trois propositions qui s'échelonne côte à côte de façon lapidaire, puis une hypothèse, une interrogation qui montre l'exaspération du personnage. On observe une situation, ici la parturiente, décrite d'ailleurs presque en anacoluthe, on parle du foetus, on change ensuite de sujet, c'est le canal qui n'est pas assez glissant et puis ça saigne. Cette observation permet de créer des passerelles entre nos neurones, de cette situation découle l'hypothèse si cette situation avait été de bonne augure et ensuite la préoccupation de l'instant présent celle de sauver cette femme d'où l'interrogation. Céline recrée par son écriture les mécanismes de la pensé, parle comme notre cerveau, une idée nait qui actionne un mécanisme qui permet d'actionner de nouvelles d'où dans ce paragraphe des idées qui passent du coq à l'âne. Evidemment avec cette technique, le rapprochement avec le lecteur est immédiat.  Quand vous commencez Voyage au bout de la nuit et que vous lisez pour la première fois Céline, vous vous dites qu'est-ce que c'est que cette écriture, comme si une connexion à notre cerveau essayait de s'établir, puis on finit par s'adapter à cette écriture et à l'apprécier. Ce langage du cerveau primitif, non académique permet de nous rapprocher à ces misérables qui eux aussi ne savent pas s'exprimer, mais si on entrait dans leur tête, on les comprendrait mieux. L'auteur établit un monologue intérieur, à la manière du lyrisme, son écriture ou plutôt sa voir résonne dans notre tête comme une confidence. On se sent privilégié, comme si nous possédons l'exclusivité de cette confidence. Ce style permet au lecteur de vivre la scène en live comme dirait les américains. La misère décrite n'en ressort que plus vrai et plus palpitante. Ce flux incessant de mots et d'idées : « Il se lève et va vaciller vers la cuisine en emportant son verre. Pourquoi l'attendre encore ? Ça aurait pu durer… «, observation qui laisse place à l'interrogation qui laisse lui-même place à l'anticipation. Ce système dynamique et énergique récré l'intensité de la scène et de l'émotion. En détournant Hugo, je dirai quel le réalisme est l'asymptote de la vérité et que Céline s'en rapproche franchement. Cette voie est une des forces de ce texte et fait office de relation véridique.  Pour que la plongée dans un réalisme noir se fasse de façon délié et juste, Céline nous prépare le terrain et adopte un langage oral qui peut choquer à première vue mais qui se révèle terriblement efficace. Comme Victor Hugo relatant l'évasion de Thénardier dans un Paris tout aussi obscur, Céline absorbe le langage des misérables. A l'inverse d'Hugo où son passage était illisible, Céline réussit à nous immerger chez nos semblables. « Maintenant que l'autre cancéreux «, les « tant qu'on « et les « qu'on «, « la famille d'en bas «, les ça qui remplace les cela, la référence aux parents « comme disent leurs mères «, « débraillé «, l'indigence de l'esprit face aux descriptions qui nous donnent des « glouglous «, le « Pierre qu'il s'appelle «, la répétition du prénom, « il va s'asseoir Pierre «, « il pleure une espèce de larme Pierre «, « Pense donc un peu Pierre ! «, les « tout simplement «, les « voilà tout « et le fameux « c'était couru «, etc. On l'impression d'être en face d'un cul-terreux qui parle, l'agencement de la phrase paysanne, le vocabulaire familier, les interjections, des mots comme « glouglou « qui naissent de la perception acoustique, tous ces élément recrée une écriture oral fluide, vrai. L'écriture est noyée sous les constructions grammaticales populaires. L'immersion dans le monde de misère est ainsi complète, le livre parle comme parle les personnages qu'il décrit. Pour dénoncer l'injustice sociale, Céline utilise la langue des victimes. Il va plus loin qu'Hugo ou Zola qui l'inséraient seulement dans les dialogues la narration restant en français correct. L'expression stylistique est ici un autre pilier de l'atmosphère.  Troisième notion de ce style, c'est ce décalage entre cette situation dramatique et le ton du discours. « Maintenant que l'autre cancéreux est mort en bas, son public d'agonie furtivement remonte par ici «, sans être sardonique ou remplie de sarcasme, la façon dont est nommée la mort, « l'autre là «, et la manière dont est nommé l'entité qui l'observe est ridicule, « public d'agonie «. La prestance de la misère que pouvait donner cette situation est inhibée, comme si Céline ne voulait pas qu'on idéalise cette pauvreté. Le ton est décalé, cette pauvreté, on n'en a vu d'autres. On nous donne une vision blasée, désenchantée de cette misère. « Ça serait une émotion pour la vie ! Tout simplement ! «, la mort est alors par euphémisme qu'une simple émotion, « tout simplement «, qui ne mérite pas qu'on s'y attarde trop. Puis, même si les descriptions peuvent paraître choquante et soulever le coeur : « Je lui découvre le trou de sa femme d'où suintent des caillots et puis des glouglous. « Le mot « glouglou « ridicule, naïf, adoucit la violence de cette représentation et donne une force poétique aux descriptions, crus, certes mais toujours avec cet accent particulier. On a l'impression que toute cette agressivité physique est admise et qu'on peut se permettre de rire un peu, tout n'est pas nuit dans la nuit. Cette forme de comique vient désamorcer le tragique de la situation pour mieux montrer la vue démystifié de l'auteur. Egalement la comparaison du cri de la femme à un cri de chien se rattache à cette même optique. De même le passage de description sur Pierre montre encore une fois ce décalage : « il remise des sacs pour les maraîchers, et pas des petites choses, des gros lourds depuis quinze ans. Il est fameux. « Le passage fonctionne comme une litote pour tout simplement dire que cet homme est rien. D'ailleurs il termine la description par « Pierre qu'il s'appelle «, pour enfoncer le clou de son ironie. La pauvreté est décrite dans un pauvre état et jeté par le style un état encore plus bas. Tout ce décalage nous donne l'impression que cette pauvreté est figée, ne changera pas, elle est comme ça et pas autrement, alors pourquoi ne pas l'ironiser un peu : « faut prendre tout ce qu'il y a à regarder en distractions dans les environs. «  Pour conclure et la dernière phrase le fait très bien : « Résignons-nous ! Laissons la nature tranquille « et le mot qui dit « la garce «, cette nature immonde est familiarisée, c'est une petite copine de Céline, le mot « garce « montre que cette nature n'offre plus aucun secret, s'il ose cette familiarité. Secundo, la nature est personnalisée et à la fois insultée dans ce mot « garce «. Par son style, Céline se permet des incongruités envers dame nature. Cette dernière phrase fait la synthèse de ce paragraphe, une vision désillusionnée est mis en évidence, impuissant face à la fatalité.  Au travers du style soléciste de Céline, on trouve une voix qui recrée l'intensité de l'émotion, une voix qui nous plonge dans le réalisme, une voix désespérée, décalée, et par son ironie, prophétique sur une pauvreté figée. Le style est ici un élément clé de la visée de l'auteur, il est au service de l'idée.      Céline nous transmet sa vision pessimiste et désabusée du monde à travers trois étapes. La première est la traversée de la passerelle vers la réalité sordide et profonde de la misère, cette passerelle est le personnage, Bardamu. Son rôle d'observateur attire notre regard sur toutes les subtilités de la situation et son caractère profondément lâche devant la réalité qu'il ne peut modifier pressentent la vision désabusée. La deuxième, la situation évidemment d'un réalisme noir fou, glauque, lugubre, vivant, palpitant d'émotion et de sensation, presque palpable, totalement dénué de moral et aux physiques délabrés. Elle crée l'atmosphère avec justesse et on ne peut rester indifférent devant. Le choque affectif est réussi. La troisième est le style achevant la transmission de la visée de l'auteur au lecteur. Dans cet extrait, trois registres sont mélangés. Le registre réaliste, noir presque tragique qui donne la vue pessimiste, le registre comique en référence au décalage du ton de l'écriture avec la scène décrite qui peut provoquer des sourires et qui donne la vue désabusée et enfin le registre lyrique par l'omniprésence de la voix de celui qui s'exprime qui crée l'intimité avec le lecteur et transmet l'intensité de l'émotion. Le mélange des registres est peut-être un moyen pour l'auteur de montrer l'absurdité d'un monde d'où on ne sait pas par quel ton on peut le décrire et l'aborder.  En ouverture, c'est l'Etranger d'Albert Camus qui me vient tout de suite à l'esprit. Le personnage est aussi un antihéros, doté d'un nom tout aussi révélateur, Meursault. Il est encore plus absurde que Bardamu, étranger dans son monde et à lui-même, il ne joue pas le jeu de la société, il erre sans objectif, ne pleure pas à l'enterrement de sa mère, il ne regrette pas d'avoir tué, il dit sa vérité quant au mobile du meurtre. Le style est également subordonné au vison de l'auteur. Simple, laconique, neutre, direct, droit au but, sans effets qui illustrent la vacuité que compose Meursault et surligne son comportement absurde. Comme Voyage au bout de la nuit, l'étranger est le récit d'une existence, Meursault ne pouvait échapper à la mort tout comme Bardamu ne pouvait se détacher de ses errements perpétuels qui conditionnent sa vie. Ces deux personnages ne parviennent pas à trouver un sens à leur vie. Pour ces auteurs, à l'instar de Sisyphe, de Tantale ou d'autres tartariens, l'homme est enchaîné à un supplice, la vie, un sens voué à l'échec puisqu'elle se termine par la mort. Ils ont une vision très pessimiste de l'homme et exprime cette vision, cette condition humaine dans leur oeuvre. Tout comme Céline avec la première guerre mondiale, Camus a souffert de la maladie notamment la tuberculose, ce contact direct avec la mort au coeur de la vie leur ont inspiré des oeuvres profondes et existentielles. On pourrait également associer Céline à des Hugo, des Zola qui avaient assumé l'utilisation d'un langage argotique dans certains romans de leur oeuvre. Néanmoins, comme je l'ai dit, la langue parlée reste juxtaposée au langage écrit et littéraire du narrateur. Avec Céline, l'oralité se généralise dans tout le texte. Mais Céline, en matière de réalisme, ne parachève pas le naturalisme avec son style mais choisit plutôt une autre voie, une longue plainte intérieure dans la chaleur vivante de la nuit. « La vie, c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. «

Le vingtième siècle est une improbable expérience humaine. Il faut dire que la révolution industrielle avait abondamment achalandé le laboratoire. Du coup les scientifiques se sont mis à coeur joie, ils ont commencé en quatorze par toute sorte de déformations sur le cobaye, ils ont coupé quelques membres à l'aide de shrapnels, percé les cartilages, les côtes, l'humérus, le radius à l'aide de billes de plombs, ils ont aspergé le corps de sulfure de dichlorodiéthyle, regardant sans compassion le coulis de framboise se rependant sur l'inox de la table d'autopsie. L'expérience a néanmoins marché, le patient était toujours vivant. D'autres scientifiques se sont dits : « les hommes sont si nécessairement fou qu'il faudrait être fou par un autre tour de folie de n'être pas fou «. Ils ont donc accouru à ce laboratoire et une recrudescence de manipulations est apparue : certains ont découpé l'encéphale à l'aide d'un marteau, d'autres le centre nerveux avec une faucille et des petits malins ont dessiné un svastika sur le crâne du patient. Ils se sont étonnés que l'organisme fonctionne toujours. Alors ils ont recommencé les déformations sur le cobaye en expérimentant la consomption, la radiation et j'en passe. Le vingtième siècle a libéré un cristal d'irisation aux rayons guerriers, totalitaires, décolonisateurs, mais des rayons souvent pourpres. Les hommes ne se battaient pas pour des terres, des biens, ni pour des religions mais pour des convictions. Ce siècle d'expérience a troublé les hommes, décrit des entailles profondes dans leur coeur. Beaucoup d'écrivains se sont alors interrogé sur la condition humaine et ont montré leur engagement sur ce bouillon d'idéologie telle que Malraux, Eluard, Aragon, Saint-Exupéry. Chez d'autres, le sentiment que l'homme est une bête qui erre sempiternellement dans l'absurdité s'est développée, chez Sartre, Camus et notamment Céline. Dans Voyage au bout de la nuit, récit désenchanté des tribulations de Ferdinand Bardamu dans les débuts d'un vingtième siècle obscure et asphyxiant, le héros face à l'absurdité du monde qui voudrait l'entraîner ne peut qu'offrir de la lâcheté, de la distance par rapport à celui-ci. Que ce soit sur les champs de bataille de la première guerre mondiale, en Afrique en compagnie de colons fondant sous un soleil brûlant, en Amérique dans la tourmente taylorienne, ou dans les faubourgs miséreux de Paris comme ici, Céline véhicule une vue particulière du monde. Si le cru, la vérité et la justesse de cette vue ressortent de façon pertinente c'est parce que Céline à l'instar de Bel-Ami est Maupassant et Figaro, Beaumarchais, est Bardamu. Sa propre expérience nourrit ce livre presque autobiographique. Le chapitre vingt-six dans lequel Bardamu devenue médecin tâte le pouls de l'indigence dans un immeuble de banlieue parisienne aux moribonds à chaque étage, illustre parfaitement cette vue. Par quels moyens Céline montre une vision de l'homme et du monde pessimiste et désabusée ? Trois axes, le personnage antihéroïque de Bardamu dans un premier temps, une situation de dénuement moral et physique dans un deuxième temps et un style au service de la vision en terminaison.                    Ferdinand Bardamu est l'antihéros. Son comportement, son regard, ses intentions s'inscrivent dans l'homme. Il ne donne pas d'impulsion à l'action mais transporte seulement le miroir qui permet au monde de Céline de se refléter dedans. C'est un médecin spectateur et un médecin pusillanime.  C'est un grand observateur, passe presque plus de temps à observer le peuple qu'à soigner ses malades. Sa vision permet de décortiquer la scène et de quadriller cette misère. Son rôle permet de cerner le personnage. La focalisation est interne et permet de révéler le caractère du personnage. La vue se jette sur tout ce qui bouge : « son public d'agonie remonte par ici «, « la famille d'en bas vient voir «, « des gens venu de loin entre en surnombre «. Il observe les flux de badauds monter tout en associant leurs intentions : « si par ici ça allait se terminer aussi mal que chez eux «. Il observe cette misère avec distance, s'attache à des petits détails : « un cousin est tout saisi « ; « il voudrait voir leurs jambes pendant qu'il y est «. Lui aussi Bardamu voudrait voir leurs jambes, sa personnalité légèrement vicieuse et libidineuse impose l'axe du regard. Néanmoins, sa vision clinique est rapide : « cette expulsion de foetus n'avance pas « presque lapidaire, comme s'il profitait de cette visite médicale pour mieux observer le peuple qui grouille autour de lui. Ce n'est pas soigner les gens qui l'intéresse, mais prendre des prises de vue sur cette pauvreté. Il montre une certaine passivité devant la situation de plus en plus compliqué : « Les uns en voulaient de l'hôpital, les autres y montraient absolument hostile « ; « la sage-femme méprisait tout le monde. « Sans les sentiments que lui inspire cette scène qui sont décrits, ce serait une focalisation externe. L'image de la parturiente agonisante ne lui soulève aucune émotion : « Je lui découvre le trou de sa femme, […], qu'il regarde «. Tout son comportement donne l'impression que c'est un réalisateur, met en place les éléments de l'action, soulève le tissu qui cache l'horreur et dit à l'homme : « vas-y regarde, je tourne. « Il analyse ses acteurs : « il est fameux. Son pantalon est vaste et vague et sa veste aussi. « ; « il pleure une espèce de larme Pierre, et puis il se remet debout. « Reste atone, sans émotion particulière devant cette misère. Son odorat n'est pas développé mais son ouï si : « les coups de grelots qui sautent et cabriolent à travers les manches « ; « elle qui gémit comme un chien «, ne retient que les sons forts et terribles qui imposent l'atmosphère, qui sortent de l'ordinaire. Non seulement Bardamu voit bien les choses, mais il saisit immédiatement la nature de chacun, les badauds qui « apprennent l'existence «, Pierre et « son hésitation de mari «. Il a une vision du monde qui le porte à observer des détails anodins, l'habillement de Pierre, les sons particuliers. Il est aux antipodes des héros, il est passif, sans contact direct avec les personnages, doué d'une cynique solitude observatrice, plongé dans un univers qu'il connait que trop bien.  C'est un grand couard. Il cherche à échapper à cette misère, saillante, turgescente, qui se présente devant lui. Pour s'échapper, il transforme les sentiments, les émotions de tristesse, de pitié qui devrait l'envahir par quelque choses d'amusent. Il ne veut pas faire face à cette pauvreté : « faut prendre tout ce qu'il y a à regarder en distractions dans les environs « Bardamu détourne à sa façon ses yeux. Médecin est une corvée, une corvée qu'il s'afflige pour dieu sait qu'elle raison : « tant qu'on est en train de passer la nuit blanche, qu'on a fait le sacrifice «. Bardamu se cherche, peut-être est-il entré dans la médecine pour trouver un sens à sa vie, soigner les gens. Mais lorsqu'il est face à ces gens, il ne veut pas regarder avec de vrais yeux, comme Pierre : « il ne sait pas en somme ce qu'il veut «. C'est une sorte de peur face à la vie qui caractérise Bardamu, cette peur se manifeste par l'absence de compassion pour ces gens et l'empêche de se risquer dans une quelconque réussite, il abandonne : « Pourquoi l'attendre encore ? Ça aurait pu durer le reste de la nuit son hésitation de mari. […]. Autant s'en aller ailleurs. «. Sa vie est un ratage complet, il réussit à se convaincre de la futilité de ses échecs, comme un homme qui ne veut pas voir la vérité en face : « c'était cent francs de perdus pour moi, voilà tout ! Mais n'importe comment avec cette sage-femme j'aurais eu des ennuis… c'était couru. «. Il se procure des excuses, il fuit la difficulté : « je n'allais tout de même pas me lancer dans des manoeuvres opératoires devant tout le monde, fatigué comme j'étais ! « Le « tant pis « accentue bien les choses, symbolise en deux mots sa lâcheté. Bardamu renonce à soigner les plaies béantes du peuple comme il renonce à se donner une raison de vivre, une identité, il se fuit lui-même : « Allons-nous-en ! «. Il doit payer ses dettes à lui-même, prouver qu'il est quelqu'un, quelque chose mais repousse l'échéance de son atermoiement : « Ça sera pour une autre fois… «. Pour le coup, toute sa vie est résumée en deux mots : « Résignons-nous ! « Finalement, il se convainc lui-même qu'il ne peut rien pour modifier ce monde et lui-même, montre sa pusillanimité : « Laissons la nature tranquille «. La nature avec un grand N mais aussi sa nature à lui.  Il se meut avec son barda, d'où Bardamu, il traîne son équipement de soldat, son barda vers le front du malheur. Il transporte en plus de son barda un esprit bizarre, appart. Il ne met pas en adéquation son rôle de médecin et ses actions. Un esprit contradictoire, donc, profondément humain et antihéroïque. La focalisation interne permet au personnage de se livrer aux lecteurs qui cerne le personnage, et qui par miséricorde, excuse son comportement. Faute avoué à demi pardonner. Le personnage est la passerelle qui permet de faire le lien du lecteur au monde tel que Céline veut nous le montrer.   

« qu'il connait que trop bien.C'est un grand couard.

Il cherche à échapper à cette misère, saillante, turgescente, qui se présente devant lui.Pour s'échapper, il transforme les sentiments, les émotions de tristesse, de pitié qui devrait l'envahir par quelquechoses d'amusent.

Il ne veut pas faire face à cette pauvreté : « faut prendre tout ce qu'il y a à regarder endistractions dans les environs » Bardamu détourne à sa façon ses yeux.

Médecin est une corvée, une corvée qu'ils'afflige pour dieu sait qu'elle raison : « tant qu'on est en train de passer la nuit blanche, qu'on a fait le sacrifice ».Bardamu se cherche, peut-être est-il entré dans la médecine pour trouver un sens à sa vie, soigner les gens.

Maislorsqu'il est face à ces gens, il ne veut pas regarder avec de vrais yeux, comme Pierre : « il ne sait pas en sommece qu'il veut ».

C'est une sorte de peur face à la vie qui caractérise Bardamu, cette peur se manifeste par l'absencede compassion pour ces gens et l'empêche de se risquer dans une quelconque réussite, il abandonne : « Pourquoil'attendre encore ? Ça aurait pu durer le reste de la nuit son hésitation de mari.

[…].

Autant s'en aller ailleurs.».

Sa vie est un ratage complet, il réussit à se convaincre de la futilité de ses échecs, comme un homme qui neveut pas voir la vérité en face : « c'était cent francs de perdus pour moi, voilà tout ! Mais n'importe comment aveccette sage-femme j'aurais eu des ennuis… c'était couru.

».

Il se procure des excuses, il fuit la difficulté : « jen'allais tout de même pas me lancer dans des manoeuvres opératoires devant tout le monde, fatigué comme j'étais !» Le « tant pis » accentue bien les choses, symbolise en deux mots sa lâcheté.

Bardamu renonce à soigner lesplaies béantes du peuple comme il renonce à se donner une raison de vivre, une identité, il se fuit lui-même : «Allons-nous-en ! ».

Il doit payer ses dettes à lui-même, prouver qu'il est quelqu'un, quelque chose mais repoussel'échéance de son atermoiement : « Ça sera pour une autre fois… ».

Pour le coup, toute sa vie est résuméeen deux mots : « Résignons-nous ! » Finalement, il se convainc lui-même qu'il ne peut rien pour modifier ce mondeet lui-même, montre sa pusillanimité : « Laissons la nature tranquille ».

La nature avec un grand N mais aussi sanature à lui.Il se meut avec son barda, d'où Bardamu, il traîne son équipement de soldat, son barda vers le front du malheur.

Iltransporte en plus de son barda un esprit bizarre, appart.

Il ne met pas en adéquation son rôle de médecin et sesactions.

Un esprit contradictoire, donc, profondément humain et antihéroïque.

La focalisation interne permet aupersonnage de se livrer aux lecteurs qui cerne le personnage, et qui par miséricorde, excuse son comportement.Faute avoué à demi pardonner.

Le personnage est la passerelle qui permet de faire le lien du lecteur au monde telque Céline veut nous le montrer. Après la passerelle, il faut le décor.

L'extrait recrée un dénuement physique et moral.

Les mourants et les expirantsabondent, les spectateurs sont présents, la parturiente, la sage-femme, le mari sont les acteurs d'une scènedramatique et sinistre.

L'aspect humain et l'action humaine sont écoeurants et amorales, au milieu de tout cela, lepersonnage de Pierre symbolise cette classe sociale.Cette situation est décrite crûment sans ménagement.

Si cet extrait n'appuie pas sur notre glotte, il reste qu'unléger malaise peut envahir les âmes sensibles.

Nous avons un champ lexical repoussant : des « cancéreux », la «mort », l' « agonie » qui emplissent l'atmosphère.

La mort côtoie les animaux : « Les chiens de tout le monde on lesentend par coups de grelots qui sautent et cabriolent à travers les marches.

» la solennité du passage de vie àtrépas est détruite.

Les vivants, les animaux, les morts se mélangent dans un bouillon nauséabond.

On entre danscette misère physique, sans pudeur, écorché vif.

« Tout le monde est débraillé », sans concession, sanseuphémisme, l'atmosphère de la pauvreté est récré, presque palpable.

La nécrose, les masses d'hommes presqueassimilés à des bêtes tellement les chiens sont proches, l'impudeur ne suffisent pas, il faut rajouter de l'hémoglobine.« Cette expulsion de foetus n'avance pas, (…), ça saigne encore seulement.

» D'ailleurs, ce n'est pas unbébé, un bambin, un nourrisson, tous ces noms mignons mais bien un foetus.

Ce n'est pas le signe d'une nouvellegénération, un moment heureux mais un homme de plus dans un monde dégénéré.

Céline arrive à nous dégoûter aumoment où le mari regarde : « le trou de sa femme d'où suintent des caillots et puis des glouglous », c'est presqueinsoutenable, Céline enfonce de manière très incisive une vision de l'homme dégoutant, pauvre et pourri dans notreesprit par l'intermédiaire des sensations.

Puis il continue par l'assimilation complète de ces hommes, ces formesagonisantes dans la pénombre miséreuse à des animaux : « Elle gémit comme un gros chien qu'aurait passé sous uneauto ».

C'est immonde, Bardamu évolue au milieu de bêtes.

La déchéance humaine de la condition pauvre de lasociété urbaine et industrielle du début du XXe doublé à une insalubrité, une absence d'hygiène nous apparait alorsau nos yeux ébaubis.

Céline réussit à nous plonger dans la vie difficile des villes par l'intermédiaire de mots quidéclenchent des sensations et dessinent des hommes dénués de dignité physique, décomposés, de la pourriture ensuspens.Les comportements de cette pourriture humaine n'arrangent rien.

Les hommes se précipitent telle une pressegrouillante devant la mort, seule distraction de leur vie misérable.

Cette presse a un nom, « public d'agonie »,comme nous l'avons vu, leurs physique, leur cries sont ceux de bêtes, leurs moeurs également.

« La famille d'en basvient voir si par ici ça allait se terminer aussi mal que chez eux.

» ; « Les chiens, […], Ils montent aussi ».

Lerapprochement de ces deux entités fait office de comparaison.

Cette foule veulent échapper un tant soit peu à leurtorpeur indigente.

Pour se faire ils ont le sommeil : « le seul plaisir du pauvre » dixit Zola, ils ont également le coïtmais aussi l'émotion de la mort.

Rappelez-vous les attroupements devant la guillotine pendant la terreur pour admirerces têtes, sièges de l'âme et de la pensé se détacher du corps.

Pour montrer l'indigence morale des pauvres, Célinene fait pas dans la dentelle, montre leur comportement bestial qui recherche l'émotion plutôt que la raison.

Ilschuchotent, « affectent des airs tendrement avertis devant le malheur », complètement indifférent devant la mortlorsqu'elle ne les concerne pas.

Ils se donnent des raisons naïves pour cautionner ces actes : « « apprennentl'existence » comme disent les mères.

Un autre élément apparait également pour montrer le déficit de moral, c'estl'instinct qui prédomine sur la raison.

La mort n'a aucune importance, il faut d'abord satisfaire les instincts : «L'instinct féminin de consoler » ou l'obsession du cousin sur les frêles jambes de la privation.

Céline nous ouvre lesportes de la pauvreté, nous la fait ressentir par des comportements primitifs, nous dépeint l'homme indigent commela société la crée depuis la nuit des temps.. »

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