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Zola, excipit de Germinal.

Publié le 12/09/2006

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Emile Zola voulait proposer avec son cycle romanesque Les Rougon-Macquart , histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, un état des lieux sans concession de la France d’après le coup d’Etat, à la fois triomphante (côté Rougon) et vermoulue (côté Macquart). Le fils de Gervaise Macquart, Etienne est le héros de Germinal, l’opus consacré à la souffrance des mineurs en plein boom industriel. L’extrait ici étudie se situe à la toute fin du roman alors qu’Etienne et les mineurs ont conduit une grève durement réprimée. Le héros repart de là où il était venu, c’est-à-dire nulle part : il reprend la route et laisse derrière lui le Voreux. Il s’agira de montrer en quoi cet extrait répond aux attentes d’un excipit romanesque, notamment en examinant les rappels et les effets d’écho, tout en ouvrant de nouvelles perspectives, qui au-delà de sa fonction traditionnelle dans la narration, font assumer à cet extrait une valeur d’allégorie et de prédication. Après avoir vérifié la fonction de conclusive et récapitulative de ce passage, il faudra montrer en quoi cet extrait, aussi tourné vers l’avenir, va au-delà de son identité narrative au profit du discours symbolique et prédicatif. Ce texte est bien la clôture du roman. Il assume un double rôle : récapituler et conclure. D’abord il récapitule, c’est-à-dire qu’il reprend en résumant ou en évoquant ce que le lecteur sait déjà. Son système référentiel va au-delà des lignes de ces trois paragraphes. Le texte repose sur des rappels et des évocations de faits et de noms antérieurs : noms de lieux (les noms des mines), des personnages (« la Maheude «). Ce passage est le plus souvent allusif, c’est-à-dire qu’il fait appel à des souvenirs dont il ne développe plus le contenu : les informations sont résumées (« la violence « renvoie en un mot à la protestation et à la grève qui ont pris dans le roman plus de deux chapitres) ou même juste évoquées, mises à distance par les synonymes « l’inutile besogne «). Le lecteur peut avec le héros se positionner dans un système spatial (le « Voreux « ainsi que toutes « les autres fosses. […] Feutry-Cantel «) dont il maîtrise les repères. De même, il peut adhérer sans hésitation à la caractérisation rapide d’un personnage (la « Maheude « dont on ne retient qu’un trait, son « bon sens «). Ensuite, il conclut, c’est-à-dire qu’il justifie la fin de l’ouvrage. Le roman se clôt parce que l’initiation du héros étranger (venu du sud comme il le dit à Bonnemort en début de roman) et inexpérimenté (d’où le recours à des initiateurs et des guides, comme les Maheu, qui l’introduisent dans le milieu minier et lui offrent même l’hospitalité) est arrivée à son terme. Pour s’en convaincre, l’on peut comparer le début et la fin de Germinal, et plus particulièrement les trois premiers et les trois derniers paragraphes. En présentant un incipit à trois paragraphes et un excipit, Zola pousse son lecteur à opérer une comparaison implicite entre début et fin de roman, l’un faisant écho à l’autre. La situation du héros solitaire d’abord fait sens : le héros marche des kilomètres et des kilomètres dans les deux cas, sur une « route « au début, sur un « chemin « en fin de roman. Les « lueurs « et la « fumée « se retrouvent dans la  « lumière « et dans les « fours qui fumaient « de la fin. Dans les deux passages, le lecteur s’approprie les extraits par le sens visuel, qui offre au début un « spectacle « et qui donne à « voir « dans l’extrait final. Enfin, la cohérence entre les deux passages est entre autres bâtie sur la métaphore filée tout au long de l’œuvre, de la germination et de la pourriture fertile contenue dans les « champs  de betteraves « qui ouvrent (au premier paragraphe) et ferment (au dernier paragraphe) le livre comme par symétrie. Mais en fait cet écho est déséquilibré et joue sur un effet de contraste : l’espace entre les deux moments du roman a été apprivoisé, si bien que la « route « du début est réduite à un « chemin « à la fin. Sous l’apparente similitude se cache un jeu d’opposition subtil entre l’ouverture et la clôture du roman : le début s’ouvre sur « un homme « tandis que la fin s’achève sur une communauté, sur « des hommes «. La communauté a été reconstruite. Le héros lui, a fini sa construction personnelle, il est passé de l’indéfini (« un homme «) à l’individualisation et l’identité personnelles (Etienne). Tandis que son appréhension du monde était incertaine (« il hésita «), négative (« il ne voyait même pas « au début) elle est désormais et tenait à une approche sensorielle, elle est désormais intellectuelle (« il songeait «, « il devinait «) et même morale, résolument du côté de la « légalité « (Etienne avait été renvoyé de son précédent emploi pour avoir manqué de respect à son patron ; il l’avait giflé). Et de fait, tout un paragraphe retranscrit les pensées d’Etienne en discours indirect libre. C’est la même logique qui préside, pour la clôture au choix de Zola de faire assumer le point de vue par Etienne, qui est celui qui voit, pense la scène alors que le roman s’ouvrait sur une focalisation omnisciente de l’auteur sur ses personnages y compris son jeune héros. Ce dernier, « mûrissait «, et permet la distanciation, la marque de la pensée adulte, à savoir celui qui relativise ou exerce son sens critique exprimé dans ses exclamations en discours indirect libre : « cela valait bien la peine de galoper (…) ! […] Ah quel réveil de vérité et de justice ! «. Non seulement le texte récapitule, mais il clôture définitivement. Pourtant, si le discours narratif tourné vers le passé (vers les faits antérieurs de l’histoire) a trouvé sa conclusion, il n’en va pas de même pour le discours prophétique ou argumentatif de Zola, qui propose une vision ouverte, sur l’Histoire et sur l’avenir proche. Le texte se ferme sur lui-même du point de vue du corps de son récit : l’histoire d’Etienne Lantier à la mine est achevée une fois pour toutes, et a prouvé l’efficacité des épreuves ; Etienne a fini son initiation. En revanche, pour le lecteur, ce n’est qu’un début, promis par la fin à la tonalité épique et faisant référence à un « siècle futur « prometteur. La métaphore filée de la maturation indique un processus en train de se faire et qui ne vaut que par son aboutissement à venir : le texte ne finit-il pas par un futur proche appuyé par l’adverbe de temps (« allaient bientôt faire éclater la terre) ? Enfin, l’idée de l’enfantement ouvre le texte avec le rappel de la figure maternelle du roman (la Maheude) et clôture le texte, avec la « campagne [qui] était grosse « mais surtout avec la charge mythologique du substantif terre qui est aussi, avant tout celle de la terre-mère (Gaïa dans la cosmogonie grecque). La dimension de prédication pour l’avenir est complétée par une évocation du passé, que permet le choix de Germinal comme titre. Zola a renoncé aux titres trop concrets comme Coup de pioche ou Maison rouge pour privilégier la métaphore de la germination, mais aussi pour permettre le raccord au temps long de l’histoire humaine. « Germinal « est le mois de la semaison dans le calendrier républicain qui rattache la fresque romanesque au discours symbolique et historique. La Révolution française est en effet une référence clé dans le roman, référence à laquelle Zola recourt explicitement lors de la manifestation des femmes criant du pain (en chantant la Marseillaise). La réconciliation n’a pas seulement eu lieu entre Etienne et ses semblables (les « camarades [qui] étaient tous là «) ; elle est aussi à l’œuvre entre les humains et la nature : les verbes d’ordinaire employés pour décrire des actions humaines sont étendus aux végétaux : les champs « tressaillaient «, le débordement de sève se manifeste en « voix chuchotantes «, tandis que par transfert inverse, les hommes eux, ne grandissaient pas mais « poussaient «. Au-delà même de l’histoire, Zola procède alors à une véritable de cosmogonie : il recrée le monde, en mettant à égalité comme à la Création tout ce qui vit, humain ou non. L’extrait ici proposé met à jour la double logique qui sous-tend le travail d’écrivain de Zola : d’abord faire oeuvre d’historien de la société conformément au projet naturaliste exprimé dans la préface de La Fortune des Rougon. Mais en recréant par le biais de ses personnages, tout un monde : l’écrivain qui crée le monde en commémorant le passé et donne un sens au présent en annonçant un avenir, sort de ses attributions de « romancier expérimental « ; il est un écrivain démiurgique.

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« propose une vision ouverte, sur l'Histoire et sur l'avenir proche. Le texte se ferme sur lui-même du point de vue du corps de son récit : l'histoire d'Etienne Lantier à la mine est achevée une foispour toutes, et a prouvé l'efficacité des épreuves ; Etienne a fini son initiation.

En revanche, pour le lecteur, ce n'est qu'un début,promis par la fin à la tonalité épique et faisant référence à un « siècle futur » prometteur.

La métaphore filée de la maturationindique un processus en train de se faire et qui ne vaut que par son aboutissement à venir : le texte ne finit-il pas par un futurproche appuyé par l'adverbe de temps (« allaient bientôt faire éclater la terre) ? Enfin, l'idée de l'enfantement ouvre le texte avecle rappel de la figure maternelle du roman (la Maheude) et clôture le texte, avec la « campagne [qui] était grosse » mais surtoutavec la charge mythologique du substantif terre qui est aussi, avant tout celle de la terre-mère (Gaïa dans la cosmogonie grecque).La dimension de prédication pour l'avenir est complétée par une évocation du passé, que permet le choix de Germinal commetitre.

Zola a renoncé aux titres trop concrets comme Coup de pioche ou Maison rouge pour privilégier la métaphore de lagermination, mais aussi pour permettre le raccord au temps long de l'histoire humaine.

« Germinal » est le mois de la semaisondans le calendrier républicain qui rattache la fresque romanesque au discours symbolique et historique.

La Révolution françaiseest en effet une référence clé dans le roman, référence à laquelle Zola recourt explicitement lors de la manifestation des femmescriant du pain (en chantant la Marseillaise).La réconciliation n'a pas seulement eu lieu entre Etienne et ses semblables (les « camarades [qui] étaient tous là ») ; elle est aussi àl'œuvre entre les humains et la nature : les verbes d'ordinaire employés pour décrire des actions humaines sont étendus auxvégétaux : les champs « tressaillaient », le débordement de sève se manifeste en « voix chuchotantes », tandis que par transfertinverse, les hommes eux, ne grandissaient pas mais « poussaient ».Au-delà même de l'histoire, Zola procède alors à une véritable de cosmogonie : il recrée le monde, en mettant à égalité comme àla Création tout ce qui vit, humain ou non. L'extrait ici proposé met à jour la double logique qui sous-tend le travail d'écrivain de Zola : d'abord faire oeuvre d'historien de lasociété conformément au projet naturaliste exprimé dans la préface de La Fortune des Rougon.Mais en recréant par le biais de ses personnages, tout un monde : l'écrivain qui crée le monde en commémorant le passé et donneun sens au présent en annonçant un avenir, sort de ses attributions de « romancier expérimental » ; il est un écrivain démiurgique.. »

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