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crise économique

Publié le 27/11/2012

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De la crise financière à la crise économique : une analyse comparative France - Etats-Unis Christophe Blot, Sabine Le Bayon, Matthieu Lemoine et Sandrine Levasseur OFCE Version provisoire Introduction La crise financière, qui a éclaté en 2007 et se prolonge depuis, a sérieusement assombri les perspectives d'emploi et de croissance. La France n'échappera probablement pas à la récession en 2009. Déjà, la situation s'est dégradée sur le front de l'emploi. Entre décembre 2007 et 2008, le nombre d'inscrits à l'ANPE a augmenté de 217 000 personnes. La production industrielle enregistre également une chute prononcée ; le dernier chiffre de novembre faisant apparaître une baisse de plus de 9 % en rythme annuel. Si dès le départ, on pouvait anticiper des répercussions réelles de la crise financière, l'ampleur et les mécanismes précis de la transmission restent à mesurer. L'objectif de cet article est de proposer une première évaluation des effets de la crise financière sur la France en prenant également les Etats-Unis comme point de comparaison. La référence américaine est d'autant plus pertinente que c'est outre-Atlantique que la crise financière a éclaté et qu'elle prend toute sa dimension : crise immobilière, crise bancaire et crise boursière. 1 De nombreuses tentatives d'évaluation du coût des crises bancaires et financières ont été menées. Il s'agit systématiquement d'évaluations réalisées ex-post. De fait, l'issue de la crise étant encore hautement incertaine, nous ne pouvons prétendre en mesurer tous les effets. Simplement, notre ambition est d'aller au-delà de l'analyse consistant à prendre en référence la dégradation observée du PIB dans quelques crises majeures2 pour inférer les risques et l'ampleur de la récession. Nous excluons dès lors le recours aux méthodes purement statistiques qui évaluent le coût de la crise à partir des différences de niveaux ou de taux de 1 2 Voir Hoggarth et Saporta (2001) pour une revue de littérature. Voir Reinhart et Rogoff (2008). 1 croissance du PIB entre une période de référence pré-crise et la période de crise3. Ces approches se heurtent à des problèmes de mesure assez épineux. Premièrement, il faut définir précisément la durée de la crise. Ensuite, le coût dépend non seulement du type de mesure retenu (taux ou niveau de la croissance) mais aussi du calcul d'une croissance de référence. Bien souvent, on retient le taux de croissance moyen sur les 3 ou 5 années précédentes. Ce type de calcul fournit des éléments d'appréciation intéressants et surtout il permet d'établir des comparaisons entre différentes crises sur la base d'un critère commun4. D'autres approches consistent à dater précisément la crise et à tester l'impact de l'occurrence d'une crise sur le PIB dans des régressions en panel où la crise est représentée par des indicatrices (Demirgüc-Kunt, Detragiache et Gupta en 2000 ou Barrell, Davis et Pomerantz, 2006). Malgré l'introduction de variables macroéconomiques de contrôle, cette approche ne prend pas en compte la nature particulière du choc propre à chaque pays sur les variables financières (taux d'intérêt, cours boursiers ou variables de crédits). Dans l'ensemble, ces évaluations reposent donc sur des hypothèses ad-hoc. Surtout, elles ne s'appuient pas sur les mécanismes de transmission des chocs et peinent à rendre compte des causalités structurelles. Une approche alternative et rigoureuse reposerait sur l'estimation d'équations structurelles à partir d'un modèle macroéconométrique. Malheureusement, si les mécanismes théoriques de transmission des chocs, rappelés dans une première partie, sont clairement identifiés, il reste que les analyses empiriques peinent à les mettre clairement et précisément en évidence. C'est en particulier le cas des effets de richesse et d'amplification financière. Pour ces derniers, les études basées sur des panels de banques ou d'entreprises donnent des résultats probants5 mais ces effets sont ensuite faiblement significatifs au niveau agrégé. Dans ces conditions, les modèles macro-économétriques ne parviennent pas à modéliser de façon satisfaisante les liens macro-financiers et les évaluations des effets des crises qui en découlent doivent s'appuyer sur des hypothèses trop fortes qui ne sont pas forcément réalistes. Barrel et alii (2006) mesurent ainsi l'effet d'un choc financier en supposant notamment que les spread entre les taux débiteur et créditeur - ou entre les taux privés et publics - augmentent de 8 points au moment du choc avant de diminuer progressivement pendant trois ans. C'est pourquoi nous avons privilégié une modélisation de type VAR, présentée dans la deuxième 3 Voir Claessens, Kose et Terrones (2008) pour une analyse récente ou Bordo et alii (2001) pour une analyse historique sur longue période. 4 Un autre critère d'évaluation consiste à regarder le coût fiscal des opérations de sauvetage du système financier. Cette approche dépend néanmoins de la stratégie budgétaire adoptée ce qui rend les comparaisons plus délicates. 5 Voir Loupias et alii (2003) ou Chatelain et alli (2003) pour des études sur la zone euro. 2 partie, qui permet d'estimer un modèle parcimonieux où la nature des chocs et les causalités sont clairement identifiées. En utilisant la méthode des fonctions de réponse généralisée de Pesaran et Shin (2008), nous montrons dans la troisième partie que les crises financières, identifiées par des chocs boursiers, de taux d'intérêt et d'incertitude, expliquent significativement l'évolution de l'activité économique. La décomposition historique des chocs nous conduit ensuite à évaluer la contribution des chocs financiers à la baisse de la production industrielle en France et aux Etats-Unis. En novembre 2008, un quart du cycle industriel serait expliqué par la crise financière en France. La transmission serait plus tardive aux Etats-Unis et devrait plutôt s'opérer dans les mois qui viennent. 1. Mise en perspective théorique de la transmission des chocs financiers La crise financière actuelle marquée par la chute des bourses, le ralentissement (ou la baisse) des prix immobiliers et la paralysie du marché interbancaire entraîne de nombreux chocs qui vont se répercuter sur les décisions de consommation et d'investissements des agents non financiers et in fine sur la production. En effet, les agents font face à un choc sur les conditions de financement, sur leur richesse et enfin un choc d'incertitude (Spilimbergo et al., 2008). Ce sont les mécanismes de transmission de ces chocs que nous présentons successivement. 1.1. Le canal du coût du capital (ou canal du taux d'intérêt) Le canal du coût du capital (autrement appelé, canal du taux d'intérêt) constitue le principal mécanisme de transmission de la politique monétaire dans tout modèle d'inspiration keynésienne. Dans un contexte de rigidités nominales des prix et des salaires, une baisse du taux d'intérêt, parce qu'elle diminue le coût du capital, se traduit par une hausse de l'investissement des entreprises et donc, de la demande globale et de la production. Un raisonnement symétrique s'applique aux décisions d'investissement en logement et d'acquisitions de biens durables des ménages, où la baisse du taux d'intérêt correspond à une baisse du coût de l'emprunt. Pour que le canal du taux d'intérêt opère, deux éléments clés sont à considérer (voir Mishkin, 1995, 1996). D'une part, c'est le taux d'intérêt réel - plutôt que nominal - qui affecte les décisions des entreprises et des ménages, ce qui nécessite que les prix soient rigides. D'autre part, puisque c'est le taux d'intérêt à long terme - plutôt qu'à court terme - qui gouverne leurs décisions, il faut que les modifications du taux d'intérêt à court terme induites 3 par les actions de la banque centrale entraînent une modification correspondante du taux (réel) à long terme6. Dans le contexte actuel faiblement inflationniste et où les taux d'intérêt nominaux des banques centrales se rapprochent de zéro, le fait que ce soit le taux d'intérêt réel (et non nominal) qui influence les décisions des entreprises et ménages constitue un élément important de la capacité des banques centrales à stimuler l'économie. Toute nouvelle baisse du taux d'intérêt nominal, si elle suscite un regain d'inflation anticipée, diminue le taux d'intérêt réel et par suite stimule l'investissement des entreprises, et donc la production. Dès lors, des anticipations déflationnistes (du fait d'un manque de confiance, par exemple) miment la capacité des autorités monétaires à soutenir l'activité via une baisse du taux d'intérêt.7 A cela s'ajoute les délais de transmission du taux d'intérêt directeur aux taux débiteurs pratiqués par les banques commerciales8. Si l'intuition suggère que ce canal puisse jouer un rôle, l'incapacité des études empiriques à mettre en évidence une influence forte des taux d'intérêt sur les décisions d'investissement des entreprises ou même sur les dépenses des ménages a conduit à affiner les canaux de transmission de la politique monétaire, et notamment à considérer le canal du crédit et les effets « richesse «. 1.2. L'effet richesse L'effet richesse trouve ses fondements théoriques dans le revenu permanent de Friedman. L'individu (ou « le ménage «) dispose d'une richesse, constituée de ses revenus salariaux, de son patrimoine financier (actions, obligations etc.) et non financier (immobilier). Cette richesse lui permet de dégager son revenu permanent (moyenne actualisée de ses 6 Si, conformément à l'hypothèse des anticipations de la structure par terme, le taux d'intérêt à long terme est une moyenne des prévisions des taux d'intérêt futurs à court terme, la baisse du taux court (réel) entraîne une baisse du taux long (réel) qui stimule investissement des entreprises et dépenses des ménages. 7 Cette efficacité des autorités monétaires à soutenir l'activité et ce, même lorsque les taux d'intérêt nominaux tendent vers zéro, a constitué l'un des principaux thèmes des débats monétaristes visant à expliquer pourquoi une politique monétaire expansionniste aurait pu éviter la chute de la production lors de la dépression des années 1930. L'efficacité supposée de la politique monétaire est toutefois conditionnée par la capacité des autorités à modifier les anticipations d'inflation. 8 Ces délais différents selon le type de crédits ont été évalués à deux ou trois mois pour la France sur la dernière décennie (Coffinet, 2005). Toutefois on ne peut pas exclure que la dégradation de la situation financière des banques les conduisent à moins répercuter et/ou plus tardivement les baisses des taux directeurs de la banque centrale. Voir aussi Mishkin (2009) sur les délais de transmission des baisses de taux directeurs aux taux pratiqués sur les crédits aux ménages et entreprises dans le cas de la crise actuelle aux USA. 4 revenus présents et futurs anticipés) sur lequel est fondée sa consommation. Dès lors, tout choc affectant négativement la richesse de l'individu (e.g. une baisse du prix des actions et/ou de l'immobilier) va réduire son revenu permanent et donc sa consommation. Si le choc négatif est transitoire - ou perçu comme tel -, l'impact sur la consommation sera lui-même transitoire et de faible ampleur du fait de l'actualisation sur l'ensemble des revenus présents et futurs. En revanche, si le choc négatif est perçu comme permanent (e.g. l'éclatement de bulles sur le marché boursier et immobilier), la réduction du revenu permanent sera importante, entraînant par là une réduction durable de la consommation. Au niveau empirique, la prise en compte des effets richesse pour expliquer la consommation (agrégée) des ménages a été jusqu'à maintenant relativement décevante, sauf pour les USA ou encore le Royaume Uni. Deux principaux éléments expliquent cela. D'une part, les ménages d'Europe continentale détiennent une part relativement faible de leur richesse en placements financiers, comparativement aux ménages américains ou même 9 britanniques . Cela a pour effet de rendre la consommation des ménages d'Europe continentale peu sensible aux mouvements des cours boursiers. D'autre part, les ménages anglo-saxons peuvent accroître leur endettement au fur et à mesure que leur logement prend de la valeur, source de financement qui se tarit lorsque l'immobilier se retourne, ce qui contribue à faire baisser les dépenses des ménages. En Europe continentale, et tout particulièrement en France, le non recours au crédit hypothécaire et la mise en place d'un système de garantie alternative (la caution d'un tiers en cas de défaillance de l'emprunteur) freine considérablement l'effet « richesse immobilière « (voir ECB, 2009). Pour ces deux raisons, la croissance des revenus salariaux détermine davantage la croissance de la 10 consommation en Europe continentale, comparativement aux USA ou au Royaume Uni . Le corollaire est que la baisse du prix de l'immobilier (observée aux Etats-Unis depuis 2007) et la chute des bourses depuis l'été 2007 nous permettent d'anticiper un impact plus faible sur l'économie réelle en Europe continentale. 9 Par exemple, à la fin décembre 2006, les placements financiers (produits d'assurance vie et fonds de pension inclus) représentaient un peu plus de 23 % du patrimoine des ménages français contre 56 % de celui des ménages américains. Les ménages britanniques étaient dans une position intermédiaire avec une part des placements financiers comptant pour 36,5 % de leur patrimoine (Aviat et al., 2007). 10 Pour une estimation des effets richesse, voir Houizot et al.(2000), Aviat et al.(2007), ECB (2009). 5 1.3. L'importance des effets financiers La nature même du choc qui affecte aujourd'hui l'économie place la sphère financière au coeur de sa transmission vers l'économie réelle. Notamment, depuis les travaux développés par Bernanke et Blinder (1988) et Bernanke et Gertler (1995 et 1996), il est apparu que les imperfections financières, résultant des asymétries d'information, contribuent à la transmission mais aussi à l'amplification des chocs monétaires, réels ou financiers11. Différents mécanismes conduisent à ces phénomènes d'amplification financière. Dans le cadre du modèle d'accélérateur financier, les emprunteurs subissent une prime de financement 12 externe ; prime qui est propre à chaque débiteur et qui dépend de sa situation financière . Le coût du financement externe est alors d'autant plus élevé que les asymétries d'information sont importantes et il diminue avec la richesse nette13. Dans ces conditions, tout choc - monétaire, réel ou financier - qui modifie les flux de revenu des agents non financiers ou réduit la valeur des collatéraux se traduit par une augmentation de la prime de financement externe. Les projets d'investissement ou de consommation14 des agents financièrement contraints s'en trouvent donc affectés, ce qui amplifie le choc initial. En outre, puisque la prime de financement

« 2 croissance du PIB entre une période de référence pré-crise et la période de crise 3.

Ces approches se heurtent à des problèmes de mesure assez épineux.

Premièrement, il faut définir précisément la durée de la crise.

Ensuite, le coût dépend non seulement du type de mesure retenu (taux ou niveau de la croissance) mais aussi du calcul d’une croissance de référence.

Bien souvent, on retient le taux de croissance moyen sur les 3 ou 5 années précédentes.

Ce type de calcul fournit des éléments d’appréciation intéressants et surtout il permet d’établir des comparaisons entre différentes crises sur la base d’un critère commun 4.

D’autres approches consistent à dater précisément la crise et à tester l’impact de l’occurrence d’une crise sur le PIB dans des régressions en panel où la crise est représentée par des indicatrices (Demirgüc-Kunt, Detragiache et Gupta en 2000 ou Barrell, Davis et Pomerantz, 2006).

Malgré l’introduction de variables macroéconomiques de contrôle, cette approche ne prend pas en compte la nature particulière du choc propre à chaque pays sur les variables financières (taux d’intérêt, cours boursiers ou variables de crédits).

Dans l’ensemble, ces évaluations reposent donc sur des hypothèses ad-hoc.

Surtout, elles ne s’appuient pas sur les mécanismes de transmission des chocs et peinent à rendre compte des causalités structurelles.

Une approche alternative et rigoureuse reposerait sur l’estimation d’équations structurelles à partir d’un modèle macroéconométrique.

Malheureusement, si les mécanismes théoriques de transmission des chocs, rappelés dans une première partie, sont clairement identifiés, il reste que les analyses empiriques peinent à les mettre clairement et précisément en évidence.

C’est en particulier le cas des effets de richesse et d’amplification financière.

Pour ces derniers, les études basées sur des panels de banques ou d’entreprises donnent des résultats probants 5 mais ces effets sont ensuite faiblement significatifs au niveau agrégé.

Dans ces conditions, les modèles macro-économétriques ne parviennent pas à modéliser de façon satisfaisante les liens macro-financiers et les évaluations des effets des crises qui en découlent doivent s’appuyer sur des hypothèses trop fortes qui ne sont pas forcément réalistes.

Barrel et alii (2006) mesurent ainsi l’effet d’un choc financier en supposant notamment que les spread entre les taux débiteur et créditeur - ou entre les taux privés et publics - augmentent de 8 points au moment du choc avant de diminuer progressivement pendant trois ans.

C’est pourquoi nous avons privilégié une modélisation de type VAR, présentée dans la deuxième 3 Voir Claessens, Kose et Terrones (2008) pour une analyse récente ou Bordo et alii (2001) pour une analyse historique sur longue période.

4 Un autre critère d’évaluation consiste à regarder le coût fiscal des opérations de sauvetage du système financier.

Cette approche dépend néanmoins de la stratégie budgétaire adoptée ce qui rend les comparaisons plus délicates.

5 Voir Loupias et alii (2003) ou Chatelain et alli (2003) pour des études sur la zone euro.. »

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