Ancien régime et la Révolution (L')

Ancien régime et la Révolution (L'), essai d'« histoire philosophique » d'Alexis de Tocqueville, publié en juin 1856. Cette œuvre constitue la seule partie aboutie d'une vaste étude inachevée. Au-delà des charmes d'une éloquence sobre et ramassée, elle révèle un théoricien de l'histoire soucieux d'éviter les impasses de la résurrection romantique du passé ou du schématisme positiviste. Tocqueville ne se donne pas comme un historien narratif. De la matière brute qu'il exhume minutieusement des terriers, archives d'intendance, cahiers de doléances, il ne laisse subsister dans l'exposé que les éléments les plus significatifs pour les fondre dans une synthèse explicative et en extraire le principe d'évolution de la société française. Trois « idées mères » se dégagent : la centralisation du pouvoir ainsi que le déclin des aristocraties datent pour l'essentiel de l'Ancien Régime ; l'égalisation « démocratique » des conditions a fait inéluctablement exploser une société fermée en castes ; les « formes » révolutionnaires (discours philosophique, irréligion, prosélytisme international) ne doivent pas éclipser l'irruption de nouveau rapports de « classes ». La désagrégation sociale jointe à la pression continue du phénomène de centralisation administrative aboutit à une véritable « révolution culturelle », dans laquelle les écrivains

assument, d'abord sur le mode de l'abstraction philosophique, puis sur celui de l'utopie révolutionnaire, le rôle de mandataires sociaux que ne peuvent plus jouer les corps constitués, des corporations aux ordres. La cassure de la Révolution se trouve ainsi réinscrite dans une continuité historique intelligible. Ce darwinisme sociologique enrichit l'héritage philosophique de Montesquieu en le confrontant à un objet aussi étranger à la pensée classique que la naissance d'un État démocratique et industriel.