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castration (complexe de)

Publié le 03/04/2015

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castration (complexe de) [angl. Castration Complex; allem. Kastra-tionskomplex]. 1. Pour S. Freud, ensemble des conséquences subjecti-ves, principalement inconscientes, déterminées par la menace de castra-tion chez l'homme et par l'absence de pénis chez la femme. 2. Pour J. Lacan, ensemble de ces mêmes conséquen¬ces en tant qu'elles sont déterminées

 

par la soumission du sujet au signi¬fiant.

POUR FREUD

Freud décrit le complexe de castration lorsqu'il rapporte la théorie sexuelle infantile qui attribue à tous les êtres humains un pénis (les Théories sexuelles infantiles, 1908). Le pénis étant pour le garçon — seul le cas du garçon est alors envisagé — «l'organe sexuel autoéro-tique primordial «, celui-ci ne peut concevoir qu'une personne semblable à lui-même en soit dépourvue. Il n'y a de complexe de castration qu'en raison de cette valeur du pénis et de cette théorie de sa possession universelle. Le complexe s'installe lorsque l'enfant est menacé, en raison de sa masturbation, d'avoir le sexe coupé. Il comporte de l'effroi (Freud parlera plus tard de l'« angoisse de castration «) et de la révolte, qui sont proportionnels à la valeur accordée au membre et qui, en raison même de leur intensité, sont refoulés. Freud s'appuie sur son expé¬rience analytique (en particulier sur l'observation du petit Hans) et sur l'existence de nombreux mythes et légendes articulés autour du thème de la castration.

Le mécanisme de ce qui est «le plus grand traumatisme de la vie de l'en-fant« sera précisé ultérieurement. En effet, Freud observe que le garçon très souvent ne prend pas au sérieux la menace et que celle-ci à elle seule ne peut le contraindre à admettre la possi-bilité de la castration. D'autre part, «le préjugé du garçon l'emporte sur sa per-ception« : à la vue des organes géni-taux d'une petite fille, il dit régulière-ment que l'organe est petit mais qu'il va grandir. Il faut donc l'intervention des deux facteurs : la vue des organes génitaux féminins et la menace de cas-tration (de simples allusions ont la même portée), pour que le complexe apparaisse. Un seul facteur est insuffi-sant mais le second — leur ordre de 

 

survenue importe peu — rappelle le souvenir du premier dans un effet d'après-coup et déclenche l'appari¬tion du complexe de castration.

Lorsqu'il a admis la possibilité de la castration, le garçon se trouve con-traint, pour sauvegarder l'organe, de renoncer à sa sexualité (la masturba-tion est la voie de décharge génitale des désirs oedipiens, désirs incestueux). Il sauve l'organe au prix de sa « paralysie « et du renoncement à la possession de la mère (la paralysie est momentanée et constitue la «phase de latence «). Le complexe de castration met ainsi fin au complexe d'Œdipe et exerce par là une fonction de normalisation (la Dispari-tion du complexe d'Œdipe, 1924). Mais la normalisation n'est ni constante ni tou¬jours complète : souvent, le garçon ne renonce pas à sa sexualité, soit qu'il ne veuille pas admettre la réalité de la cas¬tration et qu'il poursuive la masturba¬tion (le Clivage du moi dans le processus de défense, 1940), soit que, malgré l'inter¬ruption de celle-ci, l'activité fantasma¬tique oedipienne persiste et même s'accentue, ce qui compromet la sexua¬lité adulte ultérieure (Abrégé de psycha¬nalyse, 1938).

Lorsqu'il établit l'existence d'un pri-mat du phallus pour les deux sexes (la fille comme le garçon ne connaissent qu'un seul organe génital, l'organe mâle, et tout individu qui en est dépourvu leur apparaît comme châtré), Freud insiste sur le fait qu'« on ne peut apprécier à sa juste valeur la significa-tion du complexe de castration qu'à la condition de faire entrer en ligne de compte sa survenue à la phase de pri-mat du phallus« (l'Organisation génitale infantile, 1923). Deux conséquences découlent de cette affirmation.

La première est que les expériences préalables de perte (celle du sein, celle des fèces, dans lesquelles des psycha-nalystes avaient voulu voir autant de castrations) n'en sont pas puisqu'« on ne devrait parler de complexe de cas 

 

tration qu'à partir du moment où cette représentation d'une perte s'est reliée à l'organe génital masculin. On peut penser que les expériences préalables de perte n'ont pas la même significa-tion que la castration, car elles ont lieu dans le cadre de la relation duelle mère-enfant tandis que la castration est pré-cisément ce qui met fin, dans les deux sexes, à cette relation (comme en témoigne le fait que l'enfant attribue toujours au père la castration).

La seconde est que le complexe de castration concerne tout autant la femme que l'homme. «Le clitoris de la fille se comporte d'abord tout à fait comme un pénis.« Mais, chez elle, la vue de l'organe de l'autre sexe déclen-che immédiatement le complexe. Dès qu'elle aperçoit l'organe masculin, elle se tient pour victime d'une castration. Elle se considère d'abord comme une victime isolée, puis étend progressive-ment ce malheur aux autres enfants et enfin aux adultes de son sexe, qui lui apparaît ainsi dévalorisé (la Disparition du complexe d'Œdipe). La forme d'ex¬pression que prend chez elle le comple¬xe est l'envie du pénis : «D'emblée elle a jugé et décidé, elle a vu cela, sait qu'elle ne l'a pas et veut l'avoir,' (De quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes, 1925).

L'envie du pénis peut subsister com-me envie d'être dotée d'un pénis, mais l'évolution normale est celle où elle trouve son équivalent symbolique dans le désir d'avoir un enfant, ce qui conduit la fille à choisir le père comme objet d'amour (Sur la sexualité féminine, 1931). Le complexe de castration exerce donc une fonction normalisante en faisant entrer la fille dans l'oedipe et par là en l'orientant vers l'hétérosexua¬lité.

Freud cependant met aussi l'accent sur les conséquences pathologiques du complexe de castration et sur leur résis-tance à l'analyse : le complexe de cas¬ 

 

tration est le «roc«sur lequel l'analyse vient buter (l'Analyse sans fin et l'analyse avec fin, 1937). Chez la femme, l'envie du pénis peut persister indéfiniment dans l'inconscient et être facteur de jalousie et de dépression. Chez l'homme c'est l'angoisse de castration qui constitue souvent la limite du travail analytique : toute attitude passive à l'égard du père, et en général de l'hom¬me, garde la signification de la castra¬tion et déclenche une révolte, mais la révolte, comportant imaginairement la même sanction, ne trouve aucun abou-tissement et l'homme reste dépendant tant dans la vie sociale qu'à l'égard de la femme.

POUR LACAN

Lacan, qui parle plus volontiers de la castration que du complexe de castra-tion, la définit comme étant une opéra-tion symbolique qui détermine une structure subjective : celui qui est passé par la castration n'est pas complexé, il est au contraire normé en vue de l'acte sexuel. Mais il souligne qu'il y a là une aporie : pourquoi l'être humain doit-il être d'abord castré pour pouvoir parve-nir à la maturité génitale ? (« la Significa¬tion du phallus «, 1958; Écrits, 1966). Et il cherche à l'éclairer à l'aide des trois catégories du réel, de l'imaginaire et du symbolique.

La castration ne concerne évidem-ment pas l'organe réel : ce n'est préci-sément que lorsque la castration sym-bolique n'a pas eu lieu, c'est-à-dire dans les psychoses, qu'on peut obser¬ver des mutilations de l'organe pénien (manifestant que «ce qui est forclos du symbolique revient dans le réel ›,).

La castration porte sur le phallus en tant qu'il est un objet non pas réel mais imaginaire. C'est la raison pour laquelle Lacan n'envisage pas les rapports du complexe de castration et du complexe d'OEdipe de façon opposée selon le sexe. L'enfant, fille ou garçon, veut être le phallus pour capter le désir de sa

 

mère (c'est le premier temps de l'CEdipe). L'interdiction de l'inceste (deuxième temps) doit le déloger de cette position idéale du phallus mater-nel. Cette interdiction est le fait du père symbolique, c'est-à-dire d'une loi dont la médiation doit être assurée par le discours de la mère. Mais elle ne vise pas seulement l'enfant, elle vise égale-ment la mère et, pour cette raison, elle est comprise par l'enfant comme cas-trant celle-ci. Au troisième temps inter-vient le père réel, celui qui a le phallus (plus exactement celui qui, pour l'en-fant, est supposé l'avoir), celui qui, en tout cas, en use et se fait préférer par la mère. Le garçon, qui a renoncé à être le phallus, va pouvoir s'identifier au père et il a alors «en poche tous les titres à s'en servir dans le futur «. Quant à la fille, ce troisième temps lui a appris de quel côté elle doit se tourner pour trou-ver le phallus (Séminaire V, 1957-58: «les Formations de l'inconscient«).

La castration implique donc d'abord le renoncement à être le phallus, mais elle implique encore de renoncer à l'avoir, c'est-à-dire à s'en prétendre le maître. Il est remarquable que le phal-lus, qui apparaît, sous des aspects innombrables, dans les rêves et les fan-tasmes, y soit régulièrement séparé du corps. Cette séparation, Lacan l'ex-plique comme un effet de l'« élévation« du phallus à la fonction de signifiant. Dès lors que le sujet est soumis aux lois du langage (la métaphore et la métony-mie), c'est-à-dire dès lors que le signi-fiant phallique est entré en jeu, l'objet phallique est imaginairement tranché.

Corrélativement, il est « négativé dans l'image du corps, ce qui veut dire que l'investissement libidinal qui constitue le phallus n'est pas repré¬senté dans cette image. Lacan cite l'exemple de la petite fille placée devant le miroir et qui passe rapide¬ment sa main devant son sexe comme pour l'effacer. Quant au garçon, s'il s'aperçoit vite de son insuffisance par 

 

rapport à l'adulte, il constatera. devenu adulte, qu'il n'est pas maître du phallus et devra «apprendre à le rayer de la carte de son narcissisme pour que ça puisse lui servir à quelque chose«.

De ce phallus qu'elle sépare du corps, la castration fait du même coup l'objet du désir. Mais cela ne tient pas simplement à cette perte imaginaire, cela tient d'abord à la perte réelle qu'elle détermine. La castration en effet fait de l'objet partiel, dont la perte dans le cadre de la relation mère-enfant n'est jamais définitive, un objet défini¬tivement perdu, l'objet a. (Lacan parle à ce propos du paiement de la livre de chair.) Cet «effet de la castration« qu'est l'objet a met en place le fan¬tasme et par là entretient le désir. Il est la «cause du désir«, l'objet de celui-ci étant le phallus. La castration est ainsi, comme le dit ironiquement Lacan, ce miracle qui fait du partenaire un objet phallique.

De ce fait, elle règle les modalités de la jouissance : elle autorise et même commande la jouissance d'un autre corps («jouissance phallique «) tout en faisant obstacle à ce que la rencontre sexuelle puisse jamais être une unifica-tion.

Mais la castration ne porte pas seule-ment sur le sujet, elle porte aussi et d'abord sur l'Autre, et c'est en cela qu'elle instaure un manque symbo-lique. Comme cela a été dit plus haut, elle est d'abord appréhendée imaginai-rement comme étant celle de la mère. Mais ce manque de la mère, le sujet doit le symboliser, c'est-à-dire recon-naître qu'il n'y a pas dans l'Autre de garantie à laquelle lui-même puisse se raccrocher. Phobie, névrose, perver¬sion sont autant de façons de se défendre contre ce manque.

Lacan ne tient pas le complexe de castration pour une limite que l'ana¬lyse ne puisse dépasser. Il distingue la crainte de la castration de son assomp-tion («Du "Trieb" de Freud et du désir

 

du psychanalyste «, 1964; Écrits). La crainte de la castration est certes nor-malisante puisqu'elle interdit l'inceste, mais elle fixe le sujet dans une position d'obéissance au père qui témoigne que l'oedipe n'a pas été dépassé. Au contraire, l'assomption de la castration est celle du «manque qui crée le désir «, un désir qui cesse d'être soumis à l'idéal paternel.

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