MÉRIMÉE (Prosper)
Publié le 26/01/2019
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MÉRIMÉE (Prosper), écrivain français (Paris 1803 - Cannes 1870). Le biographe de Mérimée se heurte à un masque derrière lequel s'est réfugié un écrivain pudique et avare de confidences, constamment effacé derrière une vie mondaine, politique et littéraire dont nous connaissons les moindres détails, mais qui ne saurait nous livrer la personnalité de ce bourgeois dilettante, voltairien de goût et de formation, qui ne cessera d'employer son esprit à contrôler sa plume, à lui refuser ces épanchements qu'il considère — au siècle de Constant et de Chateaubriand — comme autant de fautes de goût. Il confine son récit dans une sobriété toute classique et ses écrits lui confèrent une réputation de sécheresse que sa vie ne parviendra pas à démentir.
Né de parents cultivés et artistes, il poursuit de bonnes études au lycée Napoléon, fait son droit, entre dans l'administration sans passer par le barreau, fréquente les salons, où il se lie avec Stendhal, et, très vite, se lance dans la littérature. Il se signale tout d'abord par un ouvrage apocryphe dont il se donne pour le simple traducteur : le Théâtre de Clara Gazul (1825), dix brillantes saynètes au ton violent et passionné, dont le style vigoureux est rehaussé de couleurs fortes et qui seraient mélodramatiques si leur auteur ne leur avait apposé ce sceau d'ironie qui les situe à la limite du pastiche. Livresques, ces pièces (que Mérimée ne destine pas à la scène) sont un échec commercial. La critique, en revanche, s'enthousiasme pour cette création originale dans la production littéraire contemporaine. Elle se laissera mystifier quand, deux ans plus tard, Mérimée, récidiviste, publiera la Guzla, recueil de ballades prétendument illyriennes accompagnées d'un apparat critique fort savant. Encore une fois le grand public n'est pas touché. Mérimée s'oriente alors vers un genre très en vogue, l'histoire, avec une étonnante œuvre dramatique, la Jacquerie (1828), suite de tableaux féodaux assez lâchement reliés entre eux et, un an plus tard, une Chronique du règne de Charles IX, son seul roman avoué, pour lequel il s'inspire de Walter Scott tout en s'en démarquant par un refus absolu de toute débauche de description et un farouche souci de véracité dans sa reconstitution du passé — passé dont il préservera bientôt les monuments avec zèle et compétence : en 1834, il est nommé inspecteur général des Monuments historiques, et c'est lui qui soutiendra les débuts de Viollet-le-Duc. Ses fréquentes tournées l'éloignent de la scène littéraire, mais lui fournissent matière à divers ouvrages d'érudition. Sa curiosité le mène également à l'étranger, notamment en Espagne. Il consacre les dernières années de sa vie à la littérature russe qu'il contribue largement, par ses traductions de Pouchkine, Tourgueniev et Gogol, à introduire en France. Puis, singulièrement, sous l'Empire, alors que, sénateur, courtisan de l'impératrice, il jouit de tous les prestiges de la mondanité, il renoue fugitivement avec son « œuvre d'imagination » et rédige, dans un style plus intense que jamais, trois nouvelles avant de s'éteindre à Cannes (Lokis, 1869 ; Djoumâne, la Chambre bleue, 1872).
Quelle que soit la valeur de ses autres œuvres, Mérimée n'est, en effet, guère connu que pour sa maîtrise de la nouvelle, genre auquel il est venu un peu par hasard et dont on peut se demander s'il l'a réellement pris au sérieux : n'affirme-t-il pas que « Carmen serait demeurée inédite si l'auteur n'eût été obligé de s'acheter des pantalons » ?... Ce mépris peut sembler d'autant plus singulier qu'une telle forme d'expression, par ses limites mêmes, est incontestablement le terrain qui permettait le mieux à cet
admirable technicien du récit de mettre en valeur son talent ; il s'explique en revanche aisément dès lors que l'on tient compte du dédain longtemps affiché par la critique à l'égard de ce qu'elle considérait comme un « genre mineur ». Depuis, la Vénus d'Ille (1837) et Carmen (1845) sont devenues des références majeures : on admire l'art avec lequel l'auteur mène son récit, place à l'endroit le plus favorable les linéaments qui esquisseront avec le maximum d'efficacité un milieu, une époque ou un individu, s'empare de l'attention du lecteur et l'émeut sans jamais lui-même se départir de son flegme. Mérimée ne laisse rien au hasard : il prévoit tout, prépare tout, calcule tout. Son récit est placé sous le signe de la rigueur et de la concision. Pour qu'il converge mieux vers sa pointe, il l'épure impitoyablement de toute digression, quitte à faire explicitement affirmer au narrateur ce parti pris de couper court en s'en tenant aux seuls temps forts de l'anecdote. Les nouvelles de Mérimée, remarquables par cette intensité que leur procure la cristallisation autour d'une crise unique, font figure d'exception dans la production littéraire contemporaine ; leur originalité est telle que l'on considère souvent leur auteur comme un « classique » égaré en plein âge romantique. Certes, « classique », Mérimée l'est : par son style sobre et dépouillé jusqu'à l'exagération, par son culte de la litote, par le constant contrôle qu'il exerce sur sa plume en s'interdisant tout lyrisme gratuit, enfin par le détachement ironique qu'il affecte de prendre par rapport à un texte derrière lequel il semble vouloir se rétracter ; cependant, il partage avec ses contemporains le goût de la mystification, de l'exotisme, des couleurs fortes, des héros farouches et passionnés, du spectacle de leurs souffrances et surtout du fantastique. Si ses nouvelles véritablement fantastiques sont relativement peu nombreuses (on ne peut guère citer que les Âmes du purgatoire, 1834, la Vénus d'Ille et Lokis), elles sont en revanche considérées comme des archétypes du genre. De fait, la froideur du regard et la minutie avec lesquelles l'inspecteur général des Monuments historiques relate les événements les plus invraisemblables sont d'autant plus propices à produire le doute fantastique que le narrateur est un scientifique objectif et digne de foi, que seul le hasard a rendu témoin de ces faits insolites, en apparence surnaturels, pour lesquels une explication rationnelle, sans être totalement exclue, n'est guère satisfaisante. Paradoxalement, de par son « classicisme » même, Mérimée s'est ainsi rendu maître d'un des genres les plus spécifiquement romantiques.
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