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narcissisme

Publié le 07/04/2015

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narcissisme n.m. (angl. Narcissism; allem. NarziBmus). Amour que porte le sujet à un objet très particulier: lui-même.

LE CONCEPT CHEZ FREUD

La notion de narcissisme est éparse et assez mal définie dans l'ceuvre de S. Freud jusqu'en 1914, date à laquelle il écrit Pour introduire le narcissisme, article où il se préoccupe d'aménager à ce dernier, parmi les autres concepts ana­lytiques, une place digne de lui (trad. fr. in la Vie sexuelle, 1969). Jusque-là, le narcissisme renvoyait plutôt à une idée de perversion: au lieu d'aller prendre un objet d'amour ou de désir extérieur à lui, et surtout différent de lui, le sujet choisissait comme objet son propre corps. Mais, à partir de 1914, Freud fait du narcissisme une forme d'investisse­ment pulsionnel nécessaire à la vie sub­jective, c'est-à-dire plus du tout quelque chose de pathologique, mais au contraire une donnée structurale du sujet.

Il faut dès lors distinguer plusieurs niveaux d'appréhension du concept. En premier lieu, le narcissisme repré­sente à la fois une étape du développe­ment subjectif et un résultat de celui-ci. L'évolution du petit d'homme doit l'amener non seulement à découvrir son corps, mais aussi et surtout à se l'approprier, à le découvrir comme le sien propre. Cela veut dire que ses pul­sions, et particulièrement ses pulsions

sexuelles, prennent son corps pour objet. Dès ce moment existe un inves­tissement permanent du sujet sur lui-même, qui contribue notablement à sa dynamique et participe des pulsions du moi et des pulsions de vie. Ce narcis­sisme constitutif et nécessaire, qui pro­cède de ce que Freud appelle tout d'abord l'autoérotisme, se redouble généralement d'une autre forme de narcissisme à partir du moment où la libido s'investit également dans des objets extérieurs au sujet. En effet, il arrive alors que les investissements objectaux soient concurrentiels des investissements moïques ; c'est lors­que adviennent un certain désinves­tissement des objets et un repli de la libido sur le sujet que l'on peut repérer cette deuxième forme de narcissisme, qui intervient en quelque sorte comme une deuxième phase.

Ainsi, le narcissisme représente éga­lement une sorte d'état subjectif, relati­vement fragile et facilement menacé dans son équilibre. Les notions d'idéaux, en particulier le moi idéal et l'idéal du moi, s'édifient sur cette base. Et des altérations du fonctionnement narcissique peuvent avoir lieu : par exemple les psychoses, et plus précisé­ment la manie et surtout la mélancolie, sont justement pour Freud des mala­dies narcissiques, caractérisées soit par une inflation démesurée du narcis­sisme, soit par sa dépression irréduc­tible; aussi est-ce pour cela qu'il les appelle psychonévroses narcissiques.

A partir des années 1920 et de l'avè­nement de sa deuxième topique, Freud préféra distinguer nettement les deux formes de narcissisme évoquées plus haut en les qualifiant de « primaire « et de «secondaire «; mais, ce faisant, il en vint à presque assimiler le narcissisme primaire à l'autoérotisme.

CONCEPTIONS LACANIENNES

Les conceptions lacaniennes du narcis­sisme simplifient considérablement

ces questions. C'est à travers le proces­sus de structuration du sujet qu'on peut les présenter au mieux. Pour J. Lacan, l'infans — le bébé qui ne parle pas, qui n'a pas encore accès au langage — n'a pas d'image unifiée de son corps, ne fait pas bien la distinction entre lui-même et l'extérieur, n'a notion ni du moi ni de l'objet — c'est-à-dire n'a pas encore d'identité constituée, n'est pas encore sujet véritable. Les premiers investissements pulsionnels qui ont lieu alors, pendant cette sorte de temps zéro, sont donc proprement ceux de l'autoérotisme puisque cette termino­logie laisse précisément entendre l'ab­sence de véritable sujet.

Le début de la structuration subjec­tive fait passer cet infans du registre du besoin à celui du désir; le cri, de simple expression de l'insatisfaction, devient appel, demande ; les notions d'inté-rieur/extérieur puis de moi/autre, de sujet/objet se substituent à la première et unique discrimination, celle de plai-sir/déplaisir. L'identité du sujet se constitue en fonction du regard de reconnaissance de l'Autre. À ce moment, comme le décrit Lacan dans ce qu'il appelle le «stade du miroir «, le sujet peut s'identifier à une image glo­bale et à peu près unifiée de lui-même (« le Stade du miroir comme formateur de la fonction du je «, 1949; in Écrits, 1966). [—> miroir (stade du).] De là pro­cède le narcissisme primaire, c'est-à-dire l'investissement pulsionnel, dési­rant, amoureux, que le sujet réalise sur lui-même ou, plus exactement, sur cette image de lui, soutenue par le prin­cipe du signifiant, à laquelle il s'identi­fie.

Le problème ensuite est que, sur la base de cette identification primor­diale, viennent se succéder les identifi­cations imaginaires, constitutives du « moi «. Mais fondamentalement ce moi, ou cette image qu'est le moi, est «extérieur« au sujet et ne peut donc avoir la prétention de le représenter

complètement à lui-même. «Moi est un autres, résume Lacan, paraphrasant Rimbaud. Le narcissisme (secondaire) serait en quelque sorte le résultat de cette opération, où le sujet investit un objet extérieur à lui — un objet qui ne peut se confondre avec l'identité sub­jective — mais malgré tout un objet qui est censé être lui-même, puisque c'est son propre moi, un objet qui est l'image pour «laquelle il se prend «, avec tout ce que ce processus comporte de leurre, d'aveuglement et d'aliénation (Sémi­naire I, 1953-54, «les Écrits techniques de Freud«; 1975).

 

On comprend dès lors que l'idéal (du moi) s'édifie à partir de ce désir et de ce leurre. Car il ne faut pas oublier que le terme de narcissisme, pour Freud com­me pour Lacan, renvoie bien au mythe de Narcisse, c'est-à-dire à une histoire d'amour où le sujet finit par si bien se conjoindre avec lui-même qu'à trop se rencontrer il trouve la mort. Et c'est bien là le destin narcissique du sujet, qu'il le sache ou qu'il en soit dupe : à s'énamourer d'un autre qu'il croit être lui-même, ou à se prendre de passion pour quelqu'un sans se rendre compte qu'il s'agit de lui-même, à tous les coups il perd, et surtout se perd.

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