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psychose maniaco-dépressive

Publié le 07/04/2015

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psychose maniaco-dépressive (angl. Manic-Depressive Psychosis; allem. Manisch-Depressive Psy­chose). Psychose se manifestant soit par des accès de manie, soit par des accès de mélancolie, soit par les deux, avec ou sans intervalles d'apparente normalité.

Sous l'apparence d'un trouble biolo­gique de la régulation de l'humeur, modèle de la maladie endogène voire héréditaire, cette psychose correspond à une dissociation de l'économie du désir* de celle de la jouissance*. Totale­ment confondu à son idéal dans la manie, pur désir, le sujet se réduit tota­lement à l'objet dans la mélancolie, pure jouissance.

LA MÉLANCOLIE

Rappelons seulement ici un trait cli­nique qui distingue la culpabilité du

mélancolique (—« mélancolie) de celle des autres états dépressifs, quelle que soit leur gravité : l'accusation portée contre lui-même prend ici le caractère d'un constat, plutôt que d'une plainte, qui ne le divise pas (ni doute, ni dialec­tique possible); qui ne porte jamais sur l'image de soi (Lacan, le Séminaire VIII, 1960-61, «le Transfert «). C'est une haine qui vise l'être même du sujet, démuni de toute possession, jusqu'à celle de son propre corps (syndrome de Cotard) et dénoncé comme la cause même de cette ruine, sans la modestie qu'impliquerait une telle indignité.

LA MANIE: CLINIQUE

Le symptôme pathognomonique de la crise maniaque est la fuite des idées. L'expression verbale ou écrite est accé­lérée, voire brillante, mais semble avoir perdu toute résistance et toute orienta­tion, comme si la pensée n'était organi­sée que par de pures assonances ou connexions littérales (jeux de mots, coq-à-l'âne). Un autre symptôme remarquable est l'extrême capacité du maniaque à être distrait, sa réponse immédiate à toute sollicitation, comme si son fonctionnement mental perdait tout caractère privé. En contraste avec la richesse des pensées, les actions sont inadéquates et stériles : dépenses ruineuses, entreprises exces­sivement audacieuses témoignant de la perte du sentiment de l'impossible. Il existe une tendance à faire participer les semblables à cette fête contrai­gnante avec abolition du sentiment de l'altérité comme de la différence des sexes. La physiologie est modifiée : absence de fatigue malgré la perte de sommeil, l'agitation, etc. L'humeur, incontestablement exaltée, n'est pas forcément bonne et se montre précaire, tout état maniaque est potentiellement un état mixte (maniaque et mélanco­lique).

LA MANIE: ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE

La manie n'a d'abord été abordée par la psychanalyse (K. Abraham, 1911; Freud 1915) qu'en seconde intention et dans son rapport à la mélancolie : l'une et l'autre relèveraient d'« un même complexe auquel le moi a succombé dans la mélancolie alors que dans la manie il l'a maîtrisé ou écarté« (Freud, Deuil et mélancolie, 1915). Dans Psycho­logie des foules et analyse du moi (1921), Freud affirme : «Il n'est pas douteux que chez le maniaque moi et idéal du moi ont conflué. « Enfin dans le Moi et le Ça (1923) il a pu, incidemment, consi­dérer la manie comme une défense contre la mélancolie. Cette notion de défense maniaque a été reprise et éten­due à d'autres champs par M. Klein (Contribution à l'étude de la psychogenèse, 1934) et D.W. Winnicott (la Défense maniaque, 1935) notamment. Elle fait toutefois difficulté, dans la manie, par la prise qu'elle suppose du sujet sur les mécanismes de sa psychose.

Pour comprendre l'humeur ma­niaque, il convient de rappeler les conditions de l'humeur normale (au demeurant fort influencée par les conventions sociales). En l'absence d'inscription dans l'inconscient d'un rapport entre les sexes, il n'existe, pour y suppléer et guider le désir sexuel, qu'un rapport aux objets* de la pul­sion* que la castration va faire fonc­tionner comme causes du désir. Ces objets fonctionnent dès lors en man­quant à l'image du corps. De devoir ainsi son désir à la castration donne à chacun une humeur plutôt dépressive. Que cette castration, en outre, le sujet ne l'assume qu'au nom du père mort, cela nourrit sa culpabilité tant de man­quer à l'idéal qu'il incarnait que de pré­tendre le réaliser. Par la fête, toutefois, s'offre l'occasion de célébrer collective­ment une certaine réalisation imagi­naire de l'idéal dans une ambiance de consommation, voire de transgression,

qui rappelle la manie mais qui reste chargée de sens (il s'agit de commémo­rer) et reconnaît une limite (le terme en est fixé). À l'inverse, le maniaque triompherait totalement de la castra­tion: il ignore les contraintes de l'ima­ginaire* (le sens) et du réel* (l'impossible). Il accomplirait ainsi dans l'ordre symbolique* un rapport enfin réussi à l'Autre* par une consom­mation effrénée rendue possible par la richesse inépuisable de sa nouvelle réa­lité. Dans cette «grande bouffe «, il apparaît toutefois bien plus « dévoré « par l'ordre symbolique déchaîné en lui que s'adonnant aux satisfactions d'un festin. D'ailleurs, cette « dévoration « ne signifie pas fixation ou régression au stade oral. Il s'agit ici d'une levée géné­rale du mécanisme d'inertie qui leste le fonctionnement normal des pulsions (la castration). Les orifices du corps perdent alors leur spécificité (M. Czer-mak, Oralité et manie, 1989) pour venir présentifier indifféremment la «grande gueule« de l'Autre, le défaut structurel du symbolique, démasqué par le dénouage du réel et de l'imaginaire.

SPÉCIFICITÉ DE Lel PSYCHOSE MANIACO-DÉPRESSIVE

Comment situer la psychose maniaco-dépressive ? Freud propose pour elle en 1924 (Névrose et psychose) un cadre par­ticulier, les névroses narcissiques, où le conflit pathogène surgit entre le moi et le surmoi", alors qu'il se situe entre le moi et le ça dans la névrose, entre le moi et le monde extérieur dans la psy­chose. La même année, dans son Esquisse d'une histoire du développement de la libido, K. Abraham s'attache à la distinguer de la névrose obsession­nelle. Alors que l'obsessionnel lutterait constamment contre le meurtre cedi-pien non accompli, « dans la mélancolie et la manie, le crime est perpétré par intervalles sur le plan psychique, tout comme il est réalisé de façon rituelle au cours de fêtes totémiques des primi­

tifs «. Dans sa perspective propre de l'évolution du sujet, M. Klein insiste sur l'accès du mélancolique à une relation à un objet complet (qui correspondrait au moi lacanien) dont la perte pourra être ressentie comme une perte totale. Pour Ch. Melman (Séminaire, 1986-87), l'existence possible de deux tableaux cliniques aussi contrastés traduit Hune dissociation spécifique de l'économie du désir de celle de la jouissance «. Il cite l'exemple de ceux qui, par suite de l'immigration et du changement de langue de leurs parents, ont un inconscient « fait « d'une langue qui, pour les parents, était étrangère. Or, dans cette langue d'adoption, le désir n'est pas lié à un interdit symbolique, inscrit dans l'inconscient, mais seule­ment à une distance imaginaire du sujet, tant à son idéal qu'à son objet, suscep­tible donc de s'abolir pour accomplir le « crime «. Ce cas exemplaire montre comment une psychose maniaco-dépressive pourrait apparaître alors même que les parents sont entre eux dans un rapport correct à la loi symbo­lique. Cela rendrait compte de la conservation dans cette psychose d'un certain rapport au Nom-du-Père", comme en témoigne l'absence géné­ralement constatée d'hallucinations, de constructions délirantes ou de troubles spécifiquement psychotiques du langage.

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