ADOLPHE de CONSTANT
Publié le 27/03/2013
Extrait du document
«
« Il y a entre vous
et tous les genres
du succès un
obstacle insurmontable et
(
••• ) cet obstacle est Ellénore.,.
~- -- ----EXTRAITS
Une conquête laborieuse
Enfin j'entendis sonner/' heure à laquelle je
devais me rendre chez le comte.
Mon impa
tience se changea tout à coup en timidité ;
je m'habillai lentement ; je ne me sentais
plus pressé d'arriver : j'avais un tel effroi
que mon attente ne
fût déçue, un sentiment
si
vif de la douleur que je courais risque
d'éprouver, que j'aurais consenti volontiers
à tout ajourner.
Il était assez tard lorsque j'entrai chez
M.
de
P***.
J'aperçus Ellénore assise au fond
de la chambre ; je n'osai avancer ; il me
semblait que tout le monde avait les yeux
fixés sur moi.J'allai me cacher dans un coin
du salon, derrière un groupe d'hommes qui
causaient.
De
là je contemplais Ellénore :
elle me parut légèrement changée, elle était
plus pâle que de coutume.
Le
comte me découvrit dans /'es
pèce de retraite où
je m'étais
réfagié ;
il vint à moi, me prit
la main et
me conduisit à
Ellénore.
«Je vous présente,
dit-il en riant, /'un des hommes
que votre départ inattendu a le
plus étonné.
» Ellénore parlait
à une
femme placée à côté
d'elle.Lorsqu'elle me vit, ses
paroles s'arrêtèrent sur ses
lèvres ; elle demeura inter
dite :
je /'étais beaucoup moi
même .
On pouvait nous erztendre,
j'adressai à Ellénore des ques
tions indifférentes.
Nous reprîmes tous deux
une apparence de calme.
On annonça
qu'on avait servi ; j'offris à Ellénore mon
bras, qu'elle ne put refuser.
«Si vous ne me
promettez pas, lui dis-je en la conduisant,
de
me recevoir demain chez vous à onze
heures,je pars à
l' instant,j' abandonne mon pa
ys, mafamille et mon père,je romps tous
mes liens,
j'abjure tous mes devoirs, et
je vais n'importe où ; finir au plus tôt une
vie que vous vous plaisez à empoisonner.
«Adolphe ! » me répondit-elle ; et elle hé
sitait.Je fis un mouvement pour m'éloigner.
Je ne sais ce que mes traits exprimèrent,
mais
je n'avais jamais éprouvé de contrac
tion si violente.
Ellénore me regarda.
Une
terreur mêlée d'affection se peignit sur sa
figure .
«Je vous recevrai demain, dit-elle,
mais
je vous conjure ..
.
» Beaucoup de per
sonnes nous suivaient, elle ne
put ache
ver sa phrase.
Je pressai sa main de
mon
bras; nous nous mîmes à table.
J'aurais voulu m'asseoir à côté
d' Ellénore, mais le maître de
maison /'avait autrement dé
cidé :
je fus placé à peu
près en vis-à-vis d'elle .
( .
..
)J'aspirais à produire
dans l'esprit d' Ellénore
une impression agréable.
Je voulais, en
me mon
trant aimable et spirituel,
la
disposer en ma faveur, et la préparer à /'en
trevue qu'elle m'avait accordée.J'essayai
donc mille manières de
fixer son attention.
Je ramenai la conversation sur des sujets
que
je savais l'intéresser; nos voisins s'y
mêlèrent : j'étais inspiré par sa présence ;
je parvins à me faire écouter d'elle, je la vis
bientôt sourire :
j'en ressentis une telle joie,
mes regards exprimèren t tant
de reconnais
sance qu'elle ne
put s'empêcher d'en être.
touchée .
Sa tristesse et sa distraction se dis
sipèrent : elle ne résista plus au charme se
cret que répandait dans son âme la vue du
bonheur que
je lui devais ; et quand nous
sortîmes de table , nos cœurs étaient d' intel
ligence, comme si nous n'avions jamais été
séparés .
« Mon amour pour
vous fut peut-être
une faute ;
je ne le croirais pourtant
pas si cet amour
avait pu vous
rendre heureux.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
Quand Adolphe paraît en 1816, Benjamin
Constant est connu pour ses engagements
antibonapartistes.
Adolphe est
incontestablement son chef-d'œuvre, qui
aura un retentissement important auprès de
la génération romantique.
Le narrateur
montre la vérité
d'une époque, le mal du
siècle fait de lassitude, d'ennui, dans une
société qui s'embourgeoise.
Adolphe
s'ingénie avec patience
à décrire son cœur,
ses aspirations, ses illusions.
Adolphe est-il
coupable de la mort d 'Ellénore
? L'écriture est
son remords.
Il se souvient, s'épanche
et enfin se condamne lui-même.
Il exprime
avec une simplicité déconcertante ce que
Balzac
appellera« les galériens de l'amour».
remords, qu'il tire enfin son épingle du jeu
et attendrit : on se dit
qu'il ne pouvait faire
autrement.
» José Cabanis, Des Jardins en
Espagne.
1 Edimedia 2, 3, 4.
S eaux-fortes d'E.
Dufour, éd.
de la Tra diti on, 19 4 2
« Les récits autobiographiques sont d'autant
plus trompeurs qu'ils paraissent impliquer
une sincérité totale: l'auteur abandonne
tout déguisement pour dire ce qui lui est
arrivé.
On
croit d'autant plus Adolphe qu'il
s'accuse et montre ses faiblesses, et fait la
partie belle
à la femme qu'il aimait.
Mais
il est si sensible, si tourmenté des peines
qu'il cause, si partagé, si poursuivi par le
«C'est l'histoire d'un être, qui, essayant de
ne plus vivre seul, échoue misérablement
dans sa tentative .( .
..
) Adolphe est
comparable
à Meursault, le narrateur de
L' Étranger de Camus.
Il a le même « à quoi
bon », le même sens de l'absurde.
»
Georges Poulet, Benjamin Constant.
CONSTANT 02.
»
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