Fort comme la mort
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Fort comme la mort (1889) met en scène un artiste qui, sous l'influence d'un milieu délétère, préfère sacrifier son originalité à une peinture de commande.
«
Maupassant montre la
cruauté, toujours
actuelle, du culte de la
jeunesse ; celle des
cercles fermés que crée
l'argent.
Mais nous ne
voyons qu'une image
très artificielle
du Paris
d'alors.
« C'était un de ces jours de transiti on qui sont la
tin d'une saison et le
comme ncem en t d'une
autre, qui ont une
saveur ou une tristesse
spéciale, tristesse
d'agonie ou saveur de
sève qui renaît.
,.
EXTRAITS ---- ---~
Cap t ivé par l'image de la jeune fille,
Bertin est parti pour la Normandie ,
c he z les Guille ro
y, endeuillé s par la
mort de la mè re de la comt esse.
L e p a
ssé retrou vé devient l'illusion
d 'un avenir possible
Le grand soleil les éclairant, il confondait
moins
à présent la comtesse avec Annette,
mais
il confondait de plus en plus la fille
avec le souvenir renaissant de ce qu'avait
été
la mère.
Il avait envie de les embrasser
l'une et l'autre, l'une pour retrouver sur sa
joue et sur sa nuque un
peu de cette fraî
cheur rose et blonde
qu'il avait savourée
jadis, et
qu'il revoyait
aujourd'hui miraculeu
sement reparue, l'autre
parce qu'il l'aimait tou
jours et
qu'il sentait
venir d'elle l'appel puis
sant
d'une habitude
ancienne .
Il constatait
même,
à cette heure, et
comprenait que son
désir un
peu lassé de
puis longtemps et que
son affection
pour elle
s'étaient ranimés à la
vue de sa jeunesse res
suscitée.
( ...
)Et puis , de plus en
plus, d'heure en heure,
elle activait en lui l' évo
cation de l' autrefois
!
Elle avait des rires, des
gentillesses, des mouvements qui lui met
taient sur
la bouche le goût des baisers don
nés et rendus jadis ; elle faisait du passé
lointain, dont il avait perdu la sensation pré
cise, quelque chose de pareil
à un présent
rêvé; elle brouillait les époques, les dates,
les âges de son
cœur, et rallumant des émo
tions refroidies, mêlait, sans
qu'il s'en
doutât, hier avec demain,
le souvenir avec /' espé
rance.
Bertin, dans
l'égarement de sa
pa ss ion , a été r env
ersé
par un fiacre.
Mme de
Guilleroy est à son
che vet.
Brûler l
es
lettres autrefo is
envoyé es
à son amant lui
semble un vér itable
sacr ilège
.
Quand la cheminée fut
pleine et le tiroir vide,
elle demeura debout, at
tendant, regardant la
flamme presque étouffée
ramper sur les côtés de
cette montagne d'enveloppes.
Elle les atta
quait par les bords, rongeait les coins, cou
rait sur la frange du
papier , s'éteignait,
reprenait, grandissait.
Ce
fut bientôt, tout
autour de la pyramide blanche, une vive
ceinture de feu clair qui emplit la chambre
de lumière ; et cette lumière illuminant cette
femme debout et cet homme couché, c'était
leur àmour brûlant, c'était leur amour qui
se changeait en cendres.
La comtesse se retourna, et, dans la lueur
éclatante
de cette flpmbée, elle aperçut son
ami, penché, hagard, au bord du lit.
Il demandait :
-Tout y est?
-Oui, tout.
Mais avant de retourner
à lui, elle jeta vers
cette destruction un dernier regard et, sur
l'amas
de papiers à moitié consumés déjà,
qui se tordaient et devenaient noirs, elle vit
couler quelque chose de rouge.
On eût dit
des gouttes de sang .
« Pour tant cette fe m me
lui plaisai t beaucou p,
et il con cl ut.
"Décidément, je suis
d an s un drôle d'état".,.
NOTES DE L'ÉDITEUR
Fort comme la mort ou « Du danger
d'aimer hors de saison( ...
) hors de raison ».
André Vial, Guy de Maupassant et/' art
rappelle à la mère affolée une jeunesse
qui la fuit.
La parole des mythes ne renvoie plus que
son écho affaibli : au parc Monceau, Bertin
ne peut pas voir que
« ce jeune homme de
marbre retir(ant) de son pied une épine
introuvable, comme
s'il s'était piqué en
courant après une Diane
» figure son
amour fatal.
hantise
du passé qui mine Bertin
et sa
maîtresse.
Pour signifier leur obsession
comme telle,
la mort de la mère de
du roman, Nizet, 1954.
C'est suggérer que le livre est, par
l'importance du miroir comme piège, un
roman des reflets
et une sorte de tragédie.
L'épisode nonnand,
où Bertin découvre
confusément son nouvel amour,
fonne le
plan de symétrie de l'histoire qui prendra
désonnais une allure de tragédie.
Le portrait
auquel ressemble étrangement sa fille
L'aspect spéculaire du livre complète donc
sa fonnule tragique, symbolisée par la
clôture du miroir« dans le cadre (duquel)
un visage s'enfenn(e) comme une figure
d'autrefois».
La comparaison souligne la
1 Harlingue-Viollet 2, 3, 4, S dessins d'André Bouille!, éd.
Aammarion, Paris, 1920, clichés B.N / Sipa-lcono
Mme de Guilleroy est la péripétie de cette
tragédie.
Celle-ci ne dure que le temps
indispensable au dénouement de
la crise
amoureuse du héros.
«Réduite à l'analyse d'une souffrance
morale (via la tragédie du reflet
qu'est
aussi l'œuvre), la fiction a une vertu
obsédante
! » André Vial, ibid.
MAUPASSANT 03.
»
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