Hymnes à la nuit
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
Novalis est le nom de poète du baron Friedrich von Hardenberg. Mort à l'âge de 29 ans, il est aussi l'auteur d'un essai poético-philosophique, les Disciples à Saïs (1797-1798), d' un roman de formation, Henri d' Ofterdingen (posthume, 1802), de Cantiques et de divers autres écrits et fragments. Il a été membre du Cercle romantique d'Iéna, avec notamment les frères Schlegel, Tieck et le philosophe Schelling.
«
«La Nuit devint
l'auguste sein des
révélations ...
»
Le deuxième Hymne à propos
du sommeil éternel
Faut-il que le matin toujours renaisse ? La
domination Terrestre ne prendra-t-elle ja
mais fin ?
Une activité funeste retarde l' ar
rivée céleste de la Nuit .
Le sacrifice caché
de
l'amour ne pourra-t-il jamais brûler
éternellement ? Une durée limitée fut dévo
lue au Jour ; mais
la
domination de la
Nuit ne connaît ni
durée ni espace.
Éternel est
le temps
du Sommeil.
-Som
meil sacré ! ne mé
nage point tes dons,
durant ce travail
diurne de la terre,
à ceux que la Nuit
s'est consacrés !
Seuls les fous te mé
connaissent et ne savent d'autre sommeil
que cette ombre jetée sur nous
par tes mains
pitoyables au crépuscule de la véritable
Nuit.
Ils ne te sentent pas dans
le flot doré
des grappes, dans l'huile merveilleuse de
l'amandier, dans
le suc foncé du pavot.
Ils
ne savent pas que tu es celle qui environne
de ses ailes
le sein de la vierge délicate et
en fait un Paradis.
Ils ne soupçonnent pas
que tu émerges des vieilles légendes, ou
vrant
le c iel et portant la clef de la demeure
des bienheureux, messagère silencieuse de
secrets infinis.
L'apparition de Sophie
Extase nocturne , sommeil céleste , tu des
cendis vers moi ; le paysage s'éleva douce
ment ; au-dessus du paysage plana mon
esprit délivré, régénéré.
Le tertre devint un
nuage, au travers duquel j'aperçus les traits
transfigurés de la Bien-Aimée.
En ses yeux
reposait l'éternité;
je pris ses mains, et les
larmes firent entre nous un lien lumineux , indéchirable
.
Au loin, les siècles reculaient
comme des ouragans.
A son cou,
je pleurais
sur ma vie nouvelle des larmes de ravisse
ment.
Ce
fut le premier , le seul Rêve, et de
puis lors
j'ai mis une confiance éternelle et
irréductible dans
le Ciel de la Nuit, et dans
sa lumière, la Bien-Aimée.
Le dernier Hymne au titre évocateur
Descendons au sein de la terre ,
Quittons les royaumes de la Lumière.
Le choc tumultueux des souffrances
Nous annonce un joyeux départ.
Bien vite, en notre étroite barque,
Nous parviendrons au rivage céleste.
Louée nous soit l' éter
nelle Nuit,
Loué nous soit l'éternel
sommeil .
Le jour nous a bien
réchauffés,
Le long souci nous a
flétris.
Nous
n'avons plus de
plaisir
à voyager,
Nous voulons revenir
à
la Maison du Père.
Que ferions-nous donc
en ce monde,
Avec notre amour, notre
fidélité?
Tout ce qui vieillit,
les hommes l'abandon
nent.
Mais nous, nous n'avons que faire du nou
veau!
Ô solitaire et triste demeure
Celui qui chaudement, pieusement, aime
le
passé.
Traduit de l'allemand par G.
Claretie,
Stock Paris, 1927
« Et tout notre soleil
C'est la face de Dieu.
>>
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Ces louanges de la " sainte nuit " sont à
vrai dire les louanges du sommeil et de la
mort -mais non pas du néant.
Car dans la
"sainte nuit", Novalis, comme le Faust de
Gœthe, espère trouver le Tout.
A travers l'être personnel de
Sophie, le
mystère cosmique de l'amour se révèle au
voyant, dans son
immensité divine.
Le culte
du poète s'adresse à cette essence lumineuse
de l'amour plutôt
qu'à une figure féminine
précise.
On peut rapprocher les Hymnes
de ce passage d'Henri d'Ofterdingen:
"Qu 'est-ce que la religion si ce n'est une
entente de deux cœurs aimants, une
éternelle union
? Lorsque deux êtres sont
ensemble, Il est au milieu d'eux
...
Ce qui
m'attache si inséparablement à toi, ce qui a
éveillé en moi un éternel désir, cela
n'appartient pas au temps.
Si tu pouvais
voir comment tu m'apparais, quelle
Image
merveilleuse transparaît à travers toi et
m'illumine
...
Ta forme terrestre n'est que
l'ombre de cette image, mais l'image elle
même est un être incréé, une partie de l
'univers sacré que nous ignorons
...
"
L'accent chrétien des Hymnes à la nuit n'a
peut-être jamais été surpassé en candeur
mélancolique, en piété intime.
Des visions
splendides s'ouvrent dans ce poème, à la
lumière du Christ et de la Vierge, symboles
presque confondus avec l'être spirituel de
Sophie.
» G.
Claretie, Journal intime, suivi
des
H ymnes à la nuit et de Maximes
inédites
de Novalis, préface, Stock, Paris,
1927.
1 Fré déric de Har denb erg de Nova lis par Eduar d Eic he ny /co ll.
V iollet 2, 3 , 4, 5 gravur es de A .
E .
Yer s in, éd.
P au l Ca ste lla , A lbeuve, 1985 / D .R .
N O VA LIS 02.
»
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