Imitation de notre dame la LUNE (L') de Jules Laforgue

Imitation de notre dame la LUNE (L'), recueil poétique de Jules Laforgue (1886). Écrits au début de 1885 à Berlin, ces poèmes témoignent d'une adoration de la Lime trop outrée pour ne pas se tourner en dérision. De la faune à la flore, l'univers lunaire permet de composer de multiples symphonies en blanc, mais non à la façon d'un Gautier : l'« albe » teinte évoque l'absence, la glaciation, l'écart avec le terrestre, bien plus que la pureté et la beauté. Les énumérations fantasques, les « divagations » (selon le titre d'un des poèmes) le montrent bien : il s'agit de rêver, mais en dérivant et en clignant de l'œil. Ainsi les interrogations métaphysiques des premiers textes de Laforgue, d'ailleurs reniés, les appels à l'inconscient sont repris par intermittence, mais comme mis entre guillemets, figés dans des citations dont l'éloquence serait dénoncée comme enflure. La face blême de l'astre nocturne renvoie donc à un certain blanc de l'écriture : le contraire d'une plénitude, d'un lyrisme ; il reflète la légèreté d'une angoisse qui se raille («Ah ! ce soir, j'ai le cœur mal, le cœur à la lune ! »). Il faut un dévot à cette pseudo-divinité et ce sera le Pierrot, personnage par ailleurs fort à la mode au xixe s., qui parcourt toute l'œuvre de Laforgue avec son masque de plâtre et qui s'apparente aussi bien aux fous de Shakespeare, au Gilles de Watteau, qu'aux clowns admirés par le poète pendant son exil allemand ; il incarne une forme de sagesse, de grâce désinvolte et de tragique. Mais n'est-il pas davantage encore la bouche enfarinée qui peut tout dire, le mensonge en particulier, et qui jongle outrageusement avec les mots ? De là les pirouettes verbales, les rimes grotesques, les calembours faciles qui émaillent le recueil à côté de préciosités narquoises. Le « dandy de la Lune » autorise un dandysme de cette poésie dont l'humour glacé et cynique est l'un des indices les plus sûrs de modernité.