JUIVES (les)
Publié le 21/01/2019
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JUIVES (les), tragédie de Robert Garnier (1583), la dernière de ses œuvres, généralement considérée comme son chef-d'œuvre. La pièce a pour sujet la révolte de Sédécie, roi de Jérusalem, contre Nabuchodonosor, sa défaite, et la vengeance de ce dernier (il aveugle Sédécie et égorge ses enfants). Tragédie biblique catholique qui s'inscrit dans la politique culturelle de la Contre-Réforme, c'est la plus grande réussite du genre avant l'Athalie de Racine.
«
EXTRAITS~~~~~~~-
La puissance de Nabuchodonosor
Pareil aux dieux je marche, et depuis le réveil
Du soleil blondissant jusques à son sommeil,
Nul ne
se parangonne à ma grandeur royale.
En puissance
et en biens Jupiter seul m'égale.
Et encore, n 'estait qu'il commande immortel,
Qu'il tient un foudre en main dont le coup est mortel,
Que son thrône
est plus haut et qu'on ne le peut joindre,
Quelque grand dieu
qu'il soit, je ne serais pas moindre.
Il commande
aux éclairs, aux tonnerres, aux vents,
Aux gresles, auxfrimats et aux astres mouvans,
Insensibles sujets : moy,
je commande aux hommes,
Je suis l'unique dieu de la terre où nous sommes.
S'il est, alors qu'il marche, armé de tourbillons,
Je suis environné de mille bataillons
Le supplice de Sédécie
LES ROYNES.
- Hélas ! mais nos enfans ?
AMITAL.
- Hélas ! mais Sédécie ?
LE PROPHÈTE.
-Cela n'a du tyran la rancœuradoucie,
Ains forcenant plus fort, et se voulant gorger,
Du sang de vos enfants, les
fait tous égorger.
LES ROYNES.
- Ô monstre abominable !
LE PROPHÈTE.
-Et ce pendant, le père
Voyant choir à ses pieds sa géniture chère
Qui l'appelle en mourant
et qui lui tend les bras ,
Transpercé de douleur, donne du
chef à bas,
S'outrage de ses fers , se voître contre terre,
Et tasche à se briser le test contre une pierre,
Rugist comme un
Lyon, ronge ses vestements,
Adjure terre
et ciel, et tous ses éiémens.
Puis, voyant les bourreaux à la hideuse
face De soudars indomtez, dont les armes, luisantes
Comme soudains éclairs, brillent étincelantes.
Tous les peuples du monde ou sont de
moy sujetz,
Ou Nature les a delà des mers logez.
Teints
de sang s'approcher, humblement leur rend grâce
De venir terminer par une prompte mort
L'indomtable douleur qui ses entrailles mord.
L'aquilon, le midy ,
l'orientje possède.
Le Parthem 'obéist, le Persan et le Mède,
Les Bactres, les Indois,
et cet Hébrieu cuidoit,
Rebelle, s'affranchir du tribut
qu'il me doit!
Mais il a tout soudain esprouvé ma puissance,
Et receu le guerdon de son outrecuidance.
Mais eux,
branlant le
chef et montrant à leur trongne
Qu'ils s'alloyent empescher à une autre besongne ,
L'estendent
sur le dos, la face vers les cieux,
Et Luy cernent d'unfer la prunelle des yeux.
La complainte d' Amital
Tous les cuisants malheurs qui sur nos chefs dévalent,
Et dévalèrent one, mes encombres n'égalent.
Je suis le malheur mesme,
et ne puis, las ! ne puis
Souffrir plus que je souffre en mon âme d'ennuis.
Mais
mon grief tourment est ma vie obstinée,
Que les desastres
n'ont ny les ans terminée.
Je
vy pour mon martyre : hélas ! ciel endurci,
Quand seras-tu lassé de
me gesner ici ?
Ne m'auras-tufait naistre en ce monde immortelle,
Ô cruelle influence ! Ô méchef ! Ô destin !
« Sus donc prions-le captives, I Sur ces infidèles rives/ Qu'il veuille après son courroux I Se ressouvenir
de nous.,.
Quand veux-tu m 'infecter de ton dernier venin ?
Ne viendra point le jour que mes langueurs je noye
Dans un sombre tombeau, faite des vers la proye ?
Hélas !
je croy que non : il y a trop long temps
Qu'en vain je le réclame et qu 'en vain je l 'attens.
« Les pauvres enfants avec leurs
doigts menus/ Se pendent à son cou
et à ses bras charnus I Criant et
lamentant d'une façon si tendre/ Qu'ils eussent de pitié fait une roche fendre»
,
NOTES DE L'EDITEUR
«Le médiocre développement de l'action
entraîne comme conséquence l'importance
donnée aux récits.
Il en est pour rappeler
des faits antérieurs : tel est celui où Amital
raconte à la reine (Acte III) la prise de
Jérusalem (où ne manquent pas les
souvenirs du récit de la dernière nuit de
Troie au quatrième chant de
l' Énéide et de
la prise de Jérusalem par Titus), la fuite et
la capture du roi.
Surtout on doit au
1 Har lingue-Vio llet 2.
3.
4 lithographies de Léon Zack / Sipa lcono
cinquième acte noter les récits pathétiques
du prophète qui nous mettent si
puissamment sous les yeux les supplices
ordonnés par Nabuchodonosor.
Ici Garnier
est fidèle à l'avance au précepte de la
tragédie classique formulé ainsi par Boileau :
"Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit
nous
l'expose. "».
Marcel Hervier, Les
Juives,
introduction, Garnier, 1945.
« Au commencement était le monologue.
On reste confondu, en étudiant la littérature
dramatique
du début du
xvne siècle, de voir
la place exorbitante que le monologue
y occupe.( ...
) Sans doute, à l'époque
classique, le monologue peut-il
se·
rencontrer à n'importe quel endroit d'une
pièce de théâtre .
Mais au début du xvue
siècle, il a tendance à toujours tout
commencer .
Et même à commencer toute
scène importante.
On
discernerait déjà cette
tendance du monologue à commencer la
scène dans l'œuvre de Robert Garnier, en
particulier dans
Les Juives.
»Jacques
Scherer, Nizet, 1986.
GARNIER 02.
»
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