L'Annonce faite à Marie
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
«
En 1970, à Paris , la
pièce de Claudel
a fait
l'objet d'une
adaptation pour
!'opéra, sur une
musique de Renzo
Rossellini.
En 1991, le comédien
Alain Cuny en a tiré
une version
cinématographique,
le peintre Tal Coat
ayant dessiné les
costumes.
MARA.
-Il est facile d'être une sainte quand la lèpre nous sert d'appui.
EXTRAITS --------
Jacques Hury vient de constater que
Violaine a la peste (Acte II, scène
3)
JACQUES HURY.
-Violaine,je ne me suis pas
trompé ? Quelle est cette fleur d'argent dont
votre chair est blasonnée?
VIOLAINE.
- Vous ne vous êtes pas trompé.
JACQUES HURY.
-C'est le mal? c'est le mal,
Violaine?
VIOLAINE.
- Oui, Jacques.
JACQUES HURY.
-La lèpre !
VIOLAINE.
- Certes vous êtes difficile à
convaincre.
Et il vous faut avoir vu pour
croire.
JACQUES HURY.
-Et quelle est la lèpre la
plus hideuse , celle
del' âme ou celle sur le
corps?
VIOLAINE.
-Je ne puis rien dire del' autre.
Je
ne connais que celle du corps qui est un mal
assez grand.
JACQUES HURY.
-Non, tu ne connais pas
l'autre, réprouvée ?
VIOLAINE .
- Je ne suis pas une
réprouvée.
JACQUES HURY.
-Infâme, ré
prouvée, réprouvée dans ton
âme et
ta chair !
VIOLAINE.
- Ainsi vous ne
demandez
plus à m'épouser,
Jacques ?
JACQUES HURY.
-Ne te moque
~\ point, fille du diable! .
"~ VIOLAINE.
- Tel est ce grand
amour que vous aviez pour moi.
JACQUES HURY.
-Tel est ce lys que j'avais élu.
VIOLAINE.
- Tel est l'homme qui est à la place
de mon père.
JACQUES HURY .
- Tel est l'ange que Dieu
m 'av ait envoyé.
VIOLAINE.
- «A h, qui nous arrachera l'un à
l'autre ? Jet' aime, Jacques , et tu me défen
dras, et
je sais que je n'ai rien à craindre
entre tes bras.
»
JACQUES HURY.
-Ne te moque point avec ces
paroles affreuses !
VIOLAINE.
-Dis, ai-je manqué à ma parole ?
Mon âme ne
te suffisait point ? As-tu assez
de ma chair
à présent ? Oublieras-tu ta
Violaine désormais et ce cœur qu'elle t'a ré
vélé?
JACQUES HURY .
-Eloigne-toi de moi !
VIOLAINE.
- Va, je suis assez loin, Jacques ,
et tu n'as rien
à craindre.
Mara a donné s~n enfant morte
à Violaine, qui la tient dans ses bras
VIOLAINE.
r Q~e veux-tu donc de moi ?
MARA.
- Viola {ne, veux-tu voir cela ? Dis!
sais-tu ce que c'est qu'une âme qui se
damne de sa propre volonté pour le temps
éternel ?
Sais-tu ce qu'il y a dans le cœur
quand on blasphème pour de bon ?
J'ai un
diable, pendant que je courais, qui me chan
tait une petite chanson.
Veux-tu entendre ces
choses qu'il
m'a apprises ?
VIOLAINE.
- Ne dis pas ces choses
affreuses!
MARA.
-Rends-moi donc mon enfant
que
je t'ai donné !
VIOLAINE.
-Tu ne m'as donné qu'un
cadavre.
MARA.
-Et toi, rends-le moi vivant!
VIOLAINE.
- Mara ! Qu'oses-tu dire ?
MARA.
- Je n'accepte pas que mon
enfant soit mort.
VIOLAINE.
- Est-ce qu'il est en mon
pouvoir de ressusciter les morts ?
MARA.
- Je ne sais,je n'ai que toi à
qui je puisse avoir recours.
VIOLAINE.
- Est-ce qu'il est en mon pouvoir
de ressusciter les morts comme Dieu ?
MARA.
- A quoi est-ce que tu sers alors ?
VIOLAINE.
- A souffrir et à supplier !
Gallimard, 1923
PIERRE DE CRAON.
- Ô que la pierre est belle
et qu'elle est douce
aux mains de l'architecte !
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Claudel est, de tous les dramaturges, celui
qui est revenu le plus souvent sur des
œuvres déjà écrites.
Il
l'a fait jusqu'à la fin
de sa vie, et davantage peut-être que jamais,
dans ses dernières années
.( ...
) On peut dire
qu'en général elles tendent à élaguer la trop
luxuriante végétation lyrique.
On dirait que
le poète, en un premier temps, n'est pas
maître de son abondance verbale.
Les mots
envahissent tout et recouvrent de leurs
merveilleuses
et exhubérantes frondaisons
l'architecture de l'action.
Les secondes
versions sont plus claires, plus aptes à la représentation,
mais moins riches à la
lecture .
Un poème est
fait
pour être lu ; un
drame pour être vu.
Jusqu'au bout, chez
Claudel, nous assisterons à cette lutte entre
le poète et le dramaturge.
Il fut
l'un et
l'autre.
D'abord, c'était le poète qui avait le
dessus.
Au fur et à mesure des années et
aussi de l'expérience le dramaturge
l'emportera, sans que le poète cesse jamais
d'être l'âme secrète de l'œuvre.
»Jacques
Madaule, introduction au Théâtre de
Claudel, Gallimard, 1967.
elle
connut plusieurs versions jusqu'en
1948.
Parmi les changements, citons la toile
de fond, qui
n'est plus l'époque des
croisades mais celle des navigateurs
espagnols et portugais et de Jeanne d'Arc.
Claudel a repris le sujet dans une autre de
ses pièces,
La Jeune Fille Violaine , dont il
existe deux versions (1892-1898).
L'action
ne
s'y situe pas au Moyen Age et Violaine
n'était donc pas lépreuse, mais aveugle.
l Sipa-Icono 2, 3, 4, 5 gravures de M.
Ciry , Club du Livre, Paris, 1964
L'A nnoncefaite à Marie a été terminée et
jouée pour la première fois en 1912, puis
L' Annonce faite à Marie a été la première
pièce de Claudel à être portée à la scène.
Chef-d'œuvre de son théâtre, elle est l'une
des plus représentées.
CLAUDEL03.
»
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