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Le Rouge et le Noir de Stendhal

Publié le 14/10/2018

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stendhal
Le Rouge et le Noir
 
Octave est peut-être le plus révolté des personnages de Stendhal : il ne s’explique bien que par rapport à Julien Sorel. Le Rouge et le Noir, né d’un fait divers, l’affaire du séminariste Berthet (guillotiné en 1828), et, accessoirement, de l’affaire Lafargue (un ouvrier qui tue sa maîtresse infidèle), donc d’une histoire vraie, est bien « une chronique de 1830 », où Stendhal reprend toutes les observations politico-sociales dont il a nourri ses « Chroniques pour l’Angleterre », et résume toute l’évolution de la Restauration (les Valenod après les Rénal, Polignac après la Congrégation) : vraie tranche d’histoire, la deuxième partie suit pas à pas l’actualité (cf. les projets de « Note secrète » prêtés par la presse à Polignac). La critique « rougiste » a découvert les « pilotis » innombrables (ainsi le duc de Fitz-James pour le marquis de La Mole) et rendu aux modèles ce qui leur revenait (Mathilde imaginée selon Giulia Rinieri et Mary Grasset). Le titre (allusion au jeu, aux partis politiques, à l’Empire opposé à la Restauration cléricale, opposition du sang et de la prêtrise?) n’est peut-être qu’une énigme proposée au lecteur. C’est sa violence qui fait du Rouge l’une des œuvres clés du XIXe siècle; ses contemporains l’ont ressenti comme plus tard on ressentira le « réalisme » : comme une œuvre cruelle, laide, une dissection de l’âme qui l’attriste et la flétrit; Balzac l’a rangé parmi les produits de «l’école du désenchantement». Jules Janin a vu dans Julien un « monstre », et dans tout le roman un parti pris d’horreur; Mérimée a déploré ces « plaies du cœur humain trop salopes pour être vues ». Défi à une certaine modération littéraire, ce roman d’un héros bas et fort, d’un sublime sombre et sanglant (« michelangélesque », a-t-on dit), sans atténuation des laideurs morales et physiques, a été jugé aux limites du supportable ; la beauté du laid relève d’une nouvelle poétique.


stendhal

« que que social en fait un être plus obscur que clair.

So n ambition, dictée par des motifs non pas « économi ques », mais de dig nité, de «délicatesse», d'orgueil surtout, ten d à une sorte de démesure imaginaire; Julien, loin d'être une victime socia le, réussit tou jours.

C'est un rêveur , un chimérique qui a besoin d'un avenir illimité et qu 'aucune carrière ne contient.

Son proje t d'ascension par l'Église est historiquement irréali ste.

Plus pa uvre mo raleme nt que matériellement, d'une «infér iorité » maintenue agressivement, invoquée comm e distance et comme arme, Julien ramène la « co nscience de classe >> aux affres de l'amou r-propre et de la va n ité, l'inscrit dans les limit es du sim ple ressentim en t ou l'égare dans une entreprise de guerre du Moi contre tous les autres.

D'une part c'est un «ingén u>>, ou comme Rousseau un «ouvrie r>>, que ses ignorances, ses timidités, ses gau­ cheries, son innocence de cœur placent en deçà de la corrup tion sociale qu' il met en accusation par la seule ex pre ssion de ses sentime nts et par ses mérites .

Réel da ns une société de co,nventions et d'ob ligations, il est plus profondément un Etranger : héros sans fi liation , qui s'est vou lu «isolé», sa ns liens avec l es hommes, et né de lui seul : son hypoc risie (toujours en échec parce que sys tém atique) est un effort de rupture avec les autres (i l ne veu t que leur mentir) et de création souveraine de soi; prêtre incroyant, auteur d'un immense défi latent envers les vérités reconnue s, on a pu le rapprocher de l'empe­ reur Julien l'Apostat ou voir dans ce « charpe n tier >> un Christ parodiqu e.

Le meurtre fina l, à la fois nécessaire et i n e xpli cable, le sau ve d e toute définit ion soc iale e t atn bitie use .

Le flagra nt délit est le contraire même de la straté gie arrivi ste .

L 'œuvre accepte pour le dépasser le romanesque moderne de l'ambition et de l 'ascension soc i al e.

Elle ne l'intègre que comme passio n (infinie) et non comme besoin, et e n le mettant en conflit avec le romanesque traditio nn el de l'amour.

Julien ne comprend- il pas, à la fin, qu'il s'agissait même d 'une «fa usse passion»? Voulait-il être gran d ou tendr e? Le perso nn age de Julien , par ti de l'âpre tension haineuse de son «rô le de plébéien révolté», s'inscrit da n s une courbe , un mouvement d e form a ti on qui le co nduit au bonheur amoureux de la prison et à l'héroïsme sim ple et « naturel» de sa mort : cet apaisement acquis, grâce à l'ex p éri ence d'une maî­ trise de soi que lu i donnent et le dandysme parisien et la reconquête de Mathilde, transform e et parachève - après le «meurtre » d e Mme de Rênal - le héros; la prison est le moyen e t le symbole de cette co nvers ion du per sonnage à la générosité - et à la pu re « poésie » .

L a disproport ion en tre sa naissance et son génie, son désir et la réalité, entre lui -m ême et ses virtualités i ncon­ nues fait de Julien Sorel un « peut-être», un êtr e au-delà des limites, au -delà du bie n et du ma l; elle lui ass i g ne son destin, e t son sens comme héro s du sublime .

BIBLIOGRAPHIE L'édition de P.-O.

Castex (Garnier , 1973) et du même au teur le livre (< le Rouge e t le Noir» de StendhtJ!, Paris, S.E.D.E.S., 1967, serviront de points de d épart indispensab les pour l'é tu de du roman .

Pour l'aspect historique on utiliser a les travaux de C.

Lip randi , Au cœur du « Roug e», l'affaire Lafargue et «le Rouge et le Noir», La usanne .

Grand Chêne, 1961 et Sur tm personnage du « Rou ge et le Noir"· la maré chale de Fervaques , même édit., 1959, ainsi que Stendhol, le «Bo r d de l'eau» et la « Note secrète "'• Av ignon, Aubanel, 1949; de H .- F .

Imbert, op.

cit .• et a ussi son Stendhal et fa tentation jansé niste, Genève, Droz, 1970; de R.

Fontvieille, le Véritable Julien Sorel, Arthaud, 1971; citons encore l'étude d'E.

Auerbach, «A l'hôte l de la Mole», dan s Mim esis, Gallimard, 1968.

V ers une nouvelle manière romanesque.

Le moment autobiograph ique Après le Rou ge s'ouvre pour Stendhal une phase d 'in­ d écis ion sinon d e sté rilité; pendant des années il n'achève aucune œuv re.

Ses notes le montren t désireux de changer de « manière » romanesque et de ne pas renouveler la dicti on tendue et somb re du Rouge.

D e ses nombreux essais romanesques il ne mène à terme que la Chart reuse de Parme et les récits italiens devenus les Chroniques italiennes.

Ce relatif délaissement de l'in­ ve ntion romanesque se joint à un regain de l'intérêt égo­ tiste, manifesté par le retour de Stendhal sur son pa ssé, par son projet d'autobiograp hie qui about it aux Souve­ nirs d'égotisme (1832) et à l a Vie de Hen ri Brulard (1835-183 6), lesque ls en cadre nt Lu cien Leu wen , lui ­ même nourri de ses souven irs, en particulier des amou r s avec Métild e.

Le s deux ébauches autobiographiques maintiennen t dans l'indicible les grands moments, fastes o u néfastes, du beylisme: les amour s de Milan , après lesquelles commencent les Souvenirs qui racontent la vie par isienne de Stendhal (1821 -1830); l'arrivée à Milan, que ne peut décrir e Je dernier chap itre de Brulard (qui s'e n tient à la période 1783 -1800).

Les Souvenirs sont p énétrés du « fantôme>> de Mé tilde, et ils se prése ntent comm e le récit d'un deuil mé lancolique et d'un lent retour à la vie.

Ils vont du «fiasco » avec Alexandrine à l'aven ture heureu se avec la petite prostituée de Lond res.

S'affumant désireux de répo ndre à la question «Qu el homme suis-je?», Stendha l élabore (rap idit é de l'écri ­ ture, hardiesse des aveux, négligence du récit) une dic­ tion de la sincérité.

Se co nn aître (par son passé, ainsi que par la stabilité de son moi) devient se ressemb ler à son insu dans l'acte de « s 'écrire».

Brulard , au to p ort rait du peint re, se présente comme une libr e mi se en scène de soi, où, évitant toute co nstruction narrative de sa vie, toute référence à des Mémoi res, Stendhal fait du souve­ nir, de son retour , de son interprét ation, du travail de la mémoire, le vrai centre de sa narr ation.

C'est moins une v ie racontée qu' un e vie revécue du point de vue de l'enfance, authentifiée par les croquis q ui la réact ual i­ sent , par la fidélité à la m émoire du sentime nt, plu s que du fait ou de la date, à 1 'image pure distincte de tou t sens rapporté.

San s jamais se rétracte r ni censurer son passé, Stendhal confirme son identité par sa continuité, et par la déco uverte que fait J'homme mûr (B r ulard est l'œ uv re de la cinquantaine) de la v raie sig n ification de ses fa its et ges tes.

C 'est encore l'histoire d'u n deuil (la perte de sa mè re) et d'une résurrection: l'arrivée en Italie.

Entre les deux, le sombre drame d'un enfant tyrannisé et hai ­ n eux.

Inventeur de l'« Œdipe», S te n dhal se déco uvr e enfa nt incestueux et parric ide , enfant san s père, enfant d'u ne lignée maternelle.

Cette mythol ogie nég atrice est la caution d'un Moi fort (ou faible?) et qui rapporte sa singula rité à son absence d'origines ord inaires; mais , e n raco ntant qu'il est né révolté, Stendhal , par l' intermé­ diaire de ce nouvea u pseudony me ( Brul ard), n'est pas sans faire que lque retour sur cette révol te même.

BlBLJOGRAPHlE Sur l'inachèvem ent stendhalien, voir l'étude de M.

Crouzet, dans l 'édi tion des Rom ans abandonnés, U.G.E., 1968; pour les œuvres autobiographiqu es, voir Stendhal et les problèmes de l'autobiographie, .Presses univ.

de Grenoble, 1976; S.

And r~, Écritu re et pulsions dans le roman stendhalien , Paris, Klincksieck, 1977; M .

Crouzet.

la Vie de Hen ry Bmlard ou l'Enfance de la r évolte, Corti, 1982; B.

D idier.

Stendhal autobio­ graplte, P.U .F., J 983.. »

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