L'Enfant de Vallès
Publié le 30/03/2013
Extrait du document
L'Enfant (1879) porte cette dédicace :« A tous ceux qui crevèrent d'ennui au collège ou qu'on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs mruà'es ou rossés par leurs parents. « L'Enfant paraît d'abord sous le pseudonyme de Jean la Rue avec le titre Jacques Vingtras. Puis, lorsque l'auteur compose Le Bachelier et l'insurgé, ce premier titre devient celui de la trilogie, le premier volume prenant celui que nous lui connaissons aujourd'hui.
«
« Mes parents vont
faire leurs adieux.
Ils sortent,
je les vois
qui descendent la rue
sans
se parler.
,.
L'Enfant débute par ces phrases:
Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce
une paysanne qui
m'a donné son lait ? Je
n'en sais rien.
Quel que soit le sein que
j'ai
mordu, je ne me rap
pelle pas une caresse du
temps où j'étais tout
petit ; je n'ai pas été
dorloté, tapoté, bai
sotté
;j'ai été beaucoup
fouetté.
Ma mère dit
qu'il ne
faut pas gâter les en
fants, et elle me fouette
tous les matins ; quand
elle
n'a pas le temps le
matin, c'est pour midi,
rarement plus tard que
quatre heures.
Mademoiselle Balan
dreau
m'y met du suif
Vingtras sait
s'émerveiller,
malgré
son m alh e ur
Il y a des parfums âcres et des parfums
doux, qui viennent des paniers de poissons
ou des paniers de fruits,
quis' échappent des
tas de pommes ou des tas de fleurs, de la
motte de beurre ou du pot de miel.
Et comme les habits sont bien des habits de
campagne!
Les vestes des hommes se redressent comme
des queues d'oiseaux, les cotillons des
femmes se tiennent en /'air comme
s'il y
avait un champignon dessous.
( ...
)
Les parapluies énormes, en coton sang
de-bœuf, les longs bâtons qui ont le bout
comme
un oignon, les petites poules noires
qui se cognent contre les cages, les coqs
fiers, piaffant
sur leurs pattes à la hus-
sarde...
.
C'est l'arche de Noé en plein vent, déballée
sur un lit de fumier, de paille et de feuillage.
Jacques se défend contre son père
qui veut
le battre
Mon père me fera arrêter, bien sûr.
La prison demain, comme un criminel.
Ma vie sera une vie
de bataille.C'est le sort
de celles qui commencent comme cela.
Je le
sens bien.
Je ne resterais en prison qu'une semaine,
pas plus, que
je serais tout de même montré
au doigt
pour longtemps dans cette
province.
L'idée m'est presque venue d'en finir.
Si je me tuais cette nuit, pourtant, ce serait
mon père qui m'aurait assassiné !
Et qu'ai-je fait de mal ? des fautes de quan
tité et de grammaire, voilà tout.
Puis j'ai,
sur un faux renseignement, dit qu'il y avait
huit facultés de /'âme quand il
n'y en a que
sept.
-
Voilà pourquoi je me pendrais à cette
fenêtre?
Je n'ai pas un reproche à m'adresser.
Je
n'ai pas même une bille chipée sur la
conscience.
Une fois
mon père me donna
trente sous pour ache
ter un cahier qui en
coûtait
vingt-neuf; je
gardai le sou.
C'est
mon seul vol.
Je n'ai
jamais rapporté, oh !
non ! ni cané quand il
fallait se battre.
«J'ai rejoint Matoussaint
dans une chambre du
Quartier latin, où
il demeure avec un homme
qui a dix ans de plus que
lui, qui est jacobin ...
,.
NOTES DE L'ÉDITEUR «L'enfant» n'est autre que Jules Vallès: «Et c'est dans L'Enfant la symphonie,
au marché, des verts des tabliers et des
choux, de l'écarlate des jupons, du bleu
des fromages.
Le blanc éclatant de la
chair, le noir des chevelures et des
yeux
des jeunes filles dans la campagne au ciel
lumineux, les fleurs, les fruits, les reflets
argentés du poisson dans l'eau, tout parle
d'un bonheur que d'abord Vallès ne
trouve point dans la ville.
» Marie-Claire
Blancquart, préface à
L'Enfant de
« Une vilaine et rancunière humanité
entre aujourd'hui en scène dans le livre
de Vallès, qui vient de paraître.
La mère,
jusqu'à présent, était sacrée; la mère,
jusqu'à présent, avait été épargnée par
l'enfant qu'elle avait porté dans ses flancs.
Aujourd'hui,
c'en est fini, en littérature, de
la religion de la famille ; et la révolution
commence contre elle.
Vingtras est un
livre symptomatique de ce temps.
»
Edmond et Jules de Goncourt, Journal.
« De ces origines, des arrachements dont il
avait hérité, Jules Vallès tira une triple
obsession: celle de la classe paysanne
qu'il
n'eûtjamais dû quitter, à laquelle on ne
revient jamais, et qui laisse l'irrépressible
nostalgie de la vie immédiate ; l'obsession
de l'argent fétichisé dès l'enfance,
l'obsession de la culture par laquelle on
perd
" la nature.
" » Roger Bellet,
introduction à
L'Enfant de Jules Vallès,
Gallimard, 1975.
1 gravure de Bcrtall / Lauros·Giraudon 2, 3, 4 aquatintes de J.
Boullaire, éd.
Nationales/ B.N.
Jules Vallès, Livre Club Diderot, 1969.
VALLÈS 02.
»
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