Les Corps étrangers de Cayrol
Publié le 05/04/2013
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Né en 1911, Jean Cayrol a été poète, romancier, membre de l'Académie Goncourt et directeur de collection aux Éditions du Seuil. Dans son essai Lazare parmi nous ( 1950), Cayrol explique que l'homme soumis à l'épreuve des camps est semblable à Lazare, offert à une condition misérable qu ' il doit souffrir comme une Passion tendant vers une ultime rédemption. Les Corps étrangers est paru en 1959.
«
~------ EXTRAITS
«J'éta is rivé à cette
garce intransigeante ..
.
»
Gaspard surgit dans son récit
avec toute l'étrangeté et la poésie
qui
le définiront au long du récit
J'ai toujours eu des corps étrangers dans
mon corps.
A trois ans, ce
fut une aigui lle
que
j'avalai ; elle res
sortit
par la cuisse, un
jow; comme s'il m'était
pous
sé une épine.
Mes
parents furent effrayés
et n'osaient retirer l' ai
guille dressée.
Bien
sû1;
cette scène se passe à la
campagne : les aiguilles
sont rares ; on les a en
filées par rang de taille
dans un bout de feutre .
Un jow; elles rouillent
et personne ne peut plus
l es enl
ever.
A sept ans, ce fut un
ténia qui vint se loger
dans mon intestin ; il
nous occupa beaucoup.
Je dépérissais
à vue
d'
œil; à la campagne,
c'est mal compris : les
bêtes doivent rester de-
hors.
Je mangeais de grosses quantités
etje
ne profitais pas.
La grand-mère me regar
dait comme un être qu'elle ne connaissait
pas, me fixant quand j'avalais deux ou trois
assiettées de soupe
même brûlante.
On
faisait cercle autour de moi pendant le repas
du fauve.
Je ga rdais les joues creuses.
Le
ténia disparut comme il était venu.
Au cœur du récit, la narration
s'interrompt pour laisser place
à une méditation sur l'incertitude
du souvenir
Mais à quoi bon, je m'éloigne; je bute sur
tant de visages, de silhouettes ; chaque
minute contredit l'autre, chaque souvenir empiète
sur un
autre.
C'est comme un
collier dont les perles ont roulé
à mes pieds.
Comment
le reconstituer ? Comment mettre
les souvenirs
par rang de taille ? Il y a
toujours celui qui
est dans un coin ; je
ne pourrai jamais le dénicher.
Il m 'en
manquera un et plus rien ne sera vrai.
Qui
pourrait m'aider ? Je n
'y arriverai jam ais
seu l.
Il y a des souvenirs que
les morts ont
emportés avidement et d'autres qui sont
insaisissables , bizarrement cachés dans un
type qui ne
fut que de passage dans notre
existence.
Qu'on me rende
tout!
En cette dernière page, le narrateur
s'effondre, désavoue son récit pour
crier
ce qui est peut-être sa véritable
histoire, laissant percer
le désir profond
de tout recommencer
Yolande chérie, ma petite Yoland e.
Ils ne
comprendron t pas.
Ils ne
voudront pas compren
dre que
c'est la faute
à Claudette, la faute à
mes parents, la faute à
toi ...
Pourquoi Claudette
m'avait-elle quitté?
Oui,
je t'avoue que toute
l'histoire de sa maladie,
ce
n'est pas vrai.
Elle
n'a jamais été folle.
C'est en 1945 , à Biar
ritz,
qu'elle a suivi un
type, un étranger, sans
me laisse r un mot.
Et
Yolande voulait faire la
même
chose.( ...
) J e vais
tout
te dire.
Je te jure que
je ne vais pas arranger
ma petite vie.
Tout.
Je su is né dans un pet it
village de Seine-et-Marne, un soir d'hiver,
dans une famille
d'une grande noblesse.
Mon père qui avait servi
...
Éditions du Seuil, 1959
« La terre , j'en ai trop
entendu parler , avec la
colère dans les yeux ou
du dépit dans la voix.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
L'écrivain François Mauriac est né à
B ordea ux, comme Je an Cayrol.
Et, comme
lui , il se souvient de la ville de son enfance.
Mais une histoire cruelle sépare les deux
homme
s, celle des camps dont Cayrol
réchappa.
Mauriac écrit :
« Tant de douceur
et de songe ne lui a servi de rien lorsque fut
venu
le temps des assassins.
Il le ur a été
livré.
Les nuits et les brouillards de
Bord eaux annonçaient à Jean Cayrol une
a utre Nuit, un autr e brouillard d
'où il a ressurgi
par miracle, avec ce ch ant tragique
s
ur l es lèvres, et tous les corps crucifié s de
ses camarades qu'il ne finira plus de porter
et qui tiennent tous pour lui, désor mais, guerre)
et romanesque
à partir de la
nou velle vis ion qu'un concentrationnaire
s'es t faite du monde et qui a boule versé en
lui sentiment
s, pen sées et concepts.
Quand
il revient à la vie quotidienne , il ne retrouve
plus l'homme qu'il était: il demeure
"co ncentrationnaire " à perpétuité .
( ...
)
1 co ll.
Violl et 2, 3 , 4 peintures d'Egon Schiele I SPADEM
sur l a même croix .
»
Dans un ch ap itre intitulé « L'Événement
s u scite les œuv res
»,Maurice Nadeau ,
édite ur et critique , consacre des pages
import ante s
à l'œuvre de Cayrol:
«Jean Cayrol n 'a pas écrit le récit de sa vie
co ncentrationn aire.
Il édifi e une œ uvre
poétique (qu
'il avait commencée avant la La
littérature parle de la solitude de
l 'homme , de son ab se nce au monde , de
la déré liction , de la non-vie.
» Maurice
N adeau,
L e Roman français depuis la
guerre, Gallimard , 1970.
CAYROL02.
»
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