Les Déracinés
Publié le 04/04/2013
Extrait du document
Paru en 1897, cet ouvrage est le premier volet de la fresque romanesque intitulée Le Roman de l 'énergie nationale, qui en comporte trois. Suivront en 1900, L'Appel au soldat et, en 1902, Leurs Figures dans lequel Barrès prend congé de ses personnages. Né en 1862 en Lorraine, mort en 1923, Barrès est surtout connu aujourd' hui pour avoir été l'un des maîtres à penser du nationalisme français. Pourtant, cet homme à la personnalité complexe - dandy brillant voué au « Culte du moi «, patriote attaché à sa terre par un amour quasi mystique - fut également un stylisticien admiré par les plus grands écrivains, d'Aragon à Gide.
«
Les funérailles
d e Victor Hugo
~------- EXTRAITS
Sept adolescents en quête d'idole
Devant ces pauvres enfants, vulgaires, cy
niques, habitués à craindre des maîtres que
les plus développés s'élevaient seulement
jusqu'à mépriser,
M.
Bouteiller tint l'emploi
d'un jeune dieu de l 'Int elligence.
De leurs
ardeurs inutilisées ,
il reçut un prodi
gieux éclat.
Certes
Maurice Roemers
pacher, Henri Gaf
fant de Saint-Phlin ,
François Sture!,
Georges Suret-Le
fort, Alfred Renau
din, Honoré Raca
dot,
Antoine Mou
chefrin, tout ce petit
troupeau, en mar
che pour la
vie, en
core indiscernabl e
paraîtrait arriéré à des
« philosoph es » de
Paris.
Bien qu'en eux une force d'hommes
soit prête à éclater, ils demeurent,
par le
geste
et le vocabulaire, des enfants.
la
formation n'est pas hâtive en province, mais
peut-être ces jeunes gens, qui profitent d'un e
longue hérédité campagnarde
et dont nul
bruit de la vie ne détourne l'enthousiasme ,
ont-i l
s une naïveté plus avide , plus récep
tive, que les merveilleux adolescents pari
siens, un peu débiles
et déjà de curiosité
dispersée par leurs plaisirs du dimanche.
L'indifférence glacée de Bouteiller
-A nous tous, nous organisons un journal.
-
Ah ! dit Bouteiller.
Et sur sa belle figure, soudain animée, son
regard brilla, ardent et moqueur.
Ce fut un
éclair, à peine
saisissable; mais l'accent
demeurait dans l'air, qui inquiéta, blessa
les deux jeunes
gens: car ce« Ah! » d'une
extraordinaire intensité de raillerie, voulait
dire:
« Ah! vraiment, chers messieurs! rien
que cela ! peste ! vous êtes toujours un peu de
Nomén y et Neufchâteau !
...
» Sture!, si
nerveux, sentit bien qu'il n'y avait pas de
bonté, mais une dure gouaillerie , dans cette
intonation où
l'on sentait la supériorité
du politicien
plutôt que la maîtrise du
philosophe.
Veillée funèbre
le jour où l'on guillotina Racadot,
Renaudin, seul de la petite bande,
eut
l'atroce courage de se porter sur le lieu du
spectacle.
Ils veillèrent ensemble, dans cette
petite chambre de l'hôtel Cujas
où
M.
Taine,
par une belle après-midi, était entré.
Ils
demeuraient étendus, dans une demi
lumière, immobiles et muets.
Des sentiments
d'atroce tristesse les emplissaient .
Quand
le
petit jour parut sur le ciel, ils avaient le front
collé contre
la vitre; cette lumière jaunâtre,
qui, s'échappant de la nuit, salissait les
espaces , les terrifia comme s'ils avaient
vu
le sang jaillissant de leur ancien ami colorer
le son du panier où dans cette seconde on le
basculait.
Union Générale d'Éditions ,
10/18, 1986
La salle de rédaction
du Journal des Débats
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Œuvre volontaire, Les Déracinés ; le
roman sociologique n'étai t pas dans la
vocat io n première de Barrès.
Et pourtant,
à
ce seu l titre, il mérite de rester.
Qu'on le
compare
à n 'importe quel livre de Bourget,
et
lon verra que le roman à th èse comporte
ses degrés, du naturel
à lartificiel.
Malgré
tout ce qu'il y a de visiblement construit,
malgré toutes les parties rapportées, le souci
d 'équilibrer les personnages les uns par les autres,
malgré surtout la difficulté
qu 'éprouvent
à prendre vie les deux
héroïnes (la petite Française, fraîche et
rose, et !'Orientale rouée), le roman
s'impose comme le document le plus
valable qu'on ait sur la vie politique de
l'époque.
» Jean-Marie Domenach, Barrès
par lui-m ê
me, Le Seuil, 1954.
traditions
provençales, dira
à Barrès son
accord sur ce diagnostic de
" déracinement " :
" Ce que vous avez vu, ce que vous
« Un homme comme Frédéric Mistral, qui
œuvrait depuis une cinquantaine d'années
pour la renaissance de la poésie et des
1 Camera P ress L1d.
2, 3, 4 pe intur es de Je a n B éra u d, Paris.
Mu sée Carnavale t I L au ros -Gi raudon
nous montrez au lycée de Nancy , nous
l 'avons
vu par toute la France.
Je suis moi
même un collégien du temps de Louis
Philippe et les bons universitaires qui
croyaient nous apprendre tout n'oubliaient
qu 'une chose, de nous parler de la
Provence.
" » Yves Chiron, Barrès et
la te rre, Sang de la terre , 1987.
B ARRÈS 03.
»
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