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Les Fausses Confidences de MARIVAUX

Publié le 22/02/2012

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marivaux
L'idée qui a fait la fortune de ce mot est qu'il désigne une certaine manière de badinage artistique renchérissant à l'excès sur des sentiments minces. Voltaire disait que l'art de Marivaux était de «peser des oeufs de mouche dans des toiles d'araignée ». Si l'on retient cette idée, il faudra bien se dire que ce n'est pas dans cette pièce, pourtant la plus célèbre de l'auteur après Le Jeu de l'amour et du hasard, qu'on a pu trouver de quoi le repérer et le baptiser. Il serait bien difficile de découvrir dans Les Fausses Confidences une ligne de « marivaudage ». Ou bien il est ailleurs, ou bien on s'est trompé, fût-ce de bonne foi, sur la chose, sur son sens, et même sur son nom. Il n'y a pas dans toute la pièce un seul passage où les personnages puissent être vus en train de se livrer délibérément et de leur plein gré à des broderies futiles sur des sentiments qu'ils connaissent tous les deux, et avec lesquels ou sur lesquels ils jouent avec distance, comme pour passer le temps.

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« même à manipuler à son profit tous ceux qui espéraient jouer contre Dorante, la mère d'Araminte, et Monsieur Rémy,qui croit servir les intérêts de son neveu en venant lui proposer d'autres fiançailles et un parti avantageux.Paradoxe : Les Fausses Confidences débutent par une confidence vraie et la seule de la pièce —: celle que l'auteurnous fait à nous, le public, par l'intermédiaire de Dubois, le valet qui régit tout : on nous avertit qu'une machinationse prépare, dont Dorante sera le bénéficiaire, et Araminte, la cible.

On nous signale que tout ce qui va se passer vaobéir à une stratégie planifiée par un maître du jeu qui est un valet.

Dorante, pour sa part, avoue se prêter aucomplot, et accepte de n'être qu'un jouet dans les plans de Dubois.Ainsi, dès le début de la pièce, et à la différence de celles où on nous expose les éléments d'une situation afin denous dire que les personnages ne savent pas ce qui va se passer pour eux, on nous introduit dans une situation quiressemble à celle d'un laboratoire, d'un dispositif expérimental : il s'agit moins pour nous de ne pas savoir ce qui vase passer, que de ne pas savoir comment ce qu'on a préparé va se dérouler, ce qui est tout différent: nous sommesen quelque sorte deux fois spectateurs.

Une première fois de la pièce, une deuxième fois de la mise en scène queprépare Dubois, tout comme un régisseur, en distribuant des rôles à des gens qui jouent réellement leur destin. LA FAUSSE INFORMATION COMME ARME ABSOLUE Le plaisir que l'on tire de la pièce est celui :— de voir quelqu'un (Araminte) avancer sincèrement et avec toutes les ressources de la lucidité dans une situationtelle qu'elle agit non seulement à l'aveuglette, mais à son insu contre sa lucidité, parce qu'elle souhaite agir en touteconnaissance de cause et n'agit qu'en méconnaissance de cause ;— de voir comment une personne qui se veut lucide et se croit telle se verra conduite vers des sentiments auxquelselle n'était point du tout disposée, puis à dire des paroles qui trahissent ces sentiments lorsqu'elle les cache, etalors même qu'elle pense les dissimuler;— d'écouter plusieurs sens superposés dans une même parole par la situation, sens souvent inverses les uns desautres, et d'en être les seuls récepteurs possibles (chacun des personnages sur le théâtre ne pouvant entendrequ'une partie de toutes les significations de chaque réplique).C'est dire combien, chez Marivaux, nous sommes déjà loin de la comédie selon Molière.

Il ne s'agit pas ici de nousmontrer des défauts, des manies ou des caractères, mais de nous faire les témoins d'une sorte d'expérience delaboratoire.

Et notre plaisir ne vient pas de ce qu'on nous montre à observer d'un caractère et de ses effets sur unesituation, mais de notre attente envers l'intrigue, au double sens de « développements des événements », et de «stratégie calculée pour produire un effet».Dans cette expérience, nous disposons d'un guide, c'est l'intrigant, Dubois.

Serviteur, certes, et tout dévoué à sonmaître, il est impressionnant et un peu inquiétant de maîtrise.

Par son action, tous les personnages qui croient agirsont en fait conduits où lui veut qu'ils aillent.

Non seulement il est constamment maître de l'action dont il organisechaque péripétie mais, régulièrement, il nous signale directement où en est le cours de l'expérience.

Il vient rappelerque tout se déroule selon son programme, que la pièce au second degré qu'on voit avancer sur la scène est souscontrôle strict de son metteur en scène : lui-même. La pièce aujourd'hui: une leçon de désinformation Qu'on tourne la pièce comme on voudra, on ne pourra faire que ce ne soit la pièce où l'on parvient à faire aimer etépouser en un jour à une femme, Araminte, quelqu'un qu'elle ne connaissait pas le matin.On dira qu'Araminte ne fait rien contre son gré ou par contrainte : certes, mais on ne pourra faire oublier qu'on faittout pour orienter ce gré de force, et que loin de n'être par là une forme de contrainte, c'en est la forme la plussubtile, et peut-être plus terrible d'être si efficace, parce qu'elle joue sur l'insu.

La manipulation, c'est exactementcela.

Ce n'est ni du mensonge, ni de la contrainte, et c'est sa force.On a donc, dans Les Fausses Confidences, les moyens d'apprendre depuis le XVIIIe siècle ce qu'est exactement unemanipulation, sur quoi cela repose, comment fonctionne l'orientation et la rétention d'informations, et quellesréflexions cela peut inspirer à un XXe siècle où on ne la voit que trop souvent, trop fréquemment, et trop facilementbanalisée, alors qu'au lieu de concerner les destinées sentimentales, elle est un procédé étendu à toutes les formesde rapports de force, économiques, politiques, médiatiques, militaires.On apprendra de Marivaux bien autre chose que ce fameux marivaudage et ses connotations de superficialité et demièvrerie.

On apprendra qu'il est possible de faire croire aux gens qu'on leur épargne ce pire qu'est la violence, enemployant un autre moyen que la violence pour leur faire faire ce qu'on leur faisait faire jadis par elle. LA DÉSINFORMATION POUR LA BONNE CAUSEDès le début, après nous avoir avertis qu'un complot se met en place, on nous tranquillise : tout ce qu'on va voirmachiné sera fait pour une cause bonne, et défendable.Il est heureux qu'on nous le dise car, c'est un fait, ce que nous allons suivre est un tel enchaînement de procédéspervers qu'il est absolument indispensable de les « blanchir » d'avance.

Et encore n'est-ce pas possiblecomplètement : aucun spectateur moderne ne peut perdre de vue l'idée assez inquiétante que si l'amour de Dorantepour Araminte garantit la pureté des fins, les moyens qu'on va voir mis en oeuvre seraient absolument aussiefficaces si Dorante n'était qu'un intrigant sans scrupules coureur de veuves riches.

La pièce est certes censéenous apprendre comment l'amour triomphe : elle nous apprend aussi et peut-être surtout que c'est ainsi que lesescrocs peuvent triompher quand ils n'aiment pas, même s'ils n'aiment pas.

L'amour ne fait rien à l'affaire.. »

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