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Les oeuvres théâtrales de Camus Albert

Publié le 21/11/2018

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Œuvres théâtrales

Camus s’est reconnu du nombre de « ceux que le théâtre passionne à l’égal d’une seconde vie » (« Sur l’avenir de la tragédie », conférence prononcée à Athènes en 1955). Quand il cherchait, dans ses dernières années, à se voir confier la direction d’un théâtre parisien, il restait fidèle à l’animateur du Théâtre du Travail et du Théâtre de T Équipe qu’il avait été à Alger. Il fut acteur et metteur en scène autant que dramaturge, adaptateur autant que créateur, aimant par-dessus tout le travail collectif que requiert tout spectacle, et trouvant dans la création théâtrale l’occasion de cristalliser simultanément les aspects les plus profonds de sa pensée et de son esthétique : sur une scène, son goût de la tragédie pouvait se donner libre cours, son désir de stylisation littéraire se voyait justifié jusque dans les contraintes spatio-temporelles de la représentation, la présence physique des acteurs imposait l’ordre du corps contre les prétentions hégémoniques de l’esprit, le privilège de la situation et l’impossibilité pour le dramaturge d’intervenir directement autorisait une mise à l’épreuve permanente du langage par le réel; pour toutes ces raisons, le théâtre fut sans doute pour Camus une expérience-limite de la création littéraire en même temps qu’une source d’exaltation renouvelée.

 

Force est pourtant de constater que son œuvre dramatique reste limitée, et de qualité médiocre : en dehors des adaptations (Calderén, Faulkner, Dostoïevski...) qui lui permirent de s’approprier certaines œuvres qu’il admirait, conformément à une démarche mimétique qui lui était familière, et qui servirent parfois de palliatifs dans des périodes de stérilité littéraire, son œuvre théâtrale se

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« réduit à quatre pièces : Caligula, créé en 1945 mais écrit dès 1938, la seule pièce qui eut un réel succès; le Malentendu (1944), qui fut un demi-échec; l'État de siège (1948), un échec complet; et les Justes (1949), qui obtint un succès d'estime.

D'une pièce à l'autre, 1 'esthétique théâtrale de Camus semble hésiter entre les deux pôles de la stylisation épurée (le Malentendu, les Justes) et du foisonnement baroque (Caligula, l'État de siège), soit entre un théâtre du langage et un théâtre du corps, entre le dépouillement dramaturgique et l'ex­ pressionnisme gestuel autant que verbal.

Seul le théâtre pouvait éclairer à ce point 1 'une des tensions littéraires les plus fortes de Camus, d'autant plus sensible que ces pièces accompagnent par ailleurs l'évolution de sa réflexion : l'État de siège, qui montre la nécessité d'une lutte collective contre le mal, et les Justes, où se trouve posée la question du meurtre politique, prennent naturel­ lement place dans le cycle de la Révolte, alors que le Malentendu est une tragédie de l'absurde : revenu dans sa famille après une longue absence, un homme est tué par les siens qui ne l'ont pas reconnu, et s'aperçoivent trop tard de 1' identité de leur victime.

C'est de la même inspiration désespérée que participe Caligula, la première pièce de Camus (en dehors des œuvres collectives et des adaptations), la plus réussie, et celle à laquelle il est le plus revenu puisqu'il l'a rema­ niée jusqu'en 1958.

Ca ligu la.- Le rideau s'ouvre sur le palais de Caligula, dont on attend le retour : absent depuis trois jours.

il a.

pense-t-on.

été égaré par la mort de sa sœur-amante Dru­ silla.

Lorsqu'il ,:araît.

c'e st pour confier à ses proches qu'il s'est >, un «comédien >> ou un « impuis­ sant » pour ceux qui l'observent?), le drame d'une exis­ tence qu'il tente d'élever à l'universel.

Caligula lui-même vit et meurt devant un miroir, Narcisse ivre d'une liberté qu'il met au service d'une soif absolue de puissance.

Il rêve de commander à l'univers, mais sa tyrannie politique et métaphysique n'est que l'envers d'un désenchantement qu'a précipité la mort de Dru­ silla : la liberté est totale pour qui a reconnu que «ce monde est sans importance » et que « les hommes meu­ rent et ( ...

) ne sont pas heureux ».

L'amour et la souf­ france étant privés de signification dans un monde sans dieux, Caligula vit jusqu'à la démesure la passion déses­ pérée d'une existence qui se sait absurde.

Sa déraison aurait pu être le support d'une fable politi­ que sur le totalitarisme; Camus en fait à l'inverse une raison supérieure; proche par certains aspects de la folie d'Hamlet et de Lorenzaccio, retrouvant la joie nietz­ schéenne de 1' exaltation dionysiaque, elle est une conduite authentique guidée par une ambition promé­ théenne.

Du même coup, elle a valeur de révélateur et de provocation permanente pour ceux qui entourent Cali­ gula : celui-ci « force tout le monde à penser », reconnaît Cherea; il lève les masques, dénonce les facilités de la bonne conscience, contraint ses victimes à s'avouer leur lâcheté, leur absence d'idéal, et révèle leur liberté en les humiliant : l'exercice de sa tyrannie est une maïeutique permanente.

Il est cependant condamné à une protesta­ tion impuissante; face à la mesure d'un Scipion qui pense que «la haine ne compense pas la haine », ou d'un Che­ rea pour qui « il y a des actions qui sont plus belles que d'autres», il est l'homme de la démesure : mime pathétique d'un univers qu'il n'arrive pas à changer, il retourne contre le monde la violence que celui-ci lui inflige.

Néanmoins la logique implacable dans laquelle il s'enferme ne masque qu'imparfaitement les contradic­ tions qu'elle tente de fuir : Caligula cultive la cruauté par impossibilité de vivre la tendresse, et conserve au milieu de sa démence la nostalgie d'un bonheur impossi­ ble.

La dramaturgie de la pièce s'accorde à cette tension des contraires qui fait l'unité profonde du personnage : la farce se mêle à la comédie d'intrigue, le drame sanglant voisine avec des scènes de Grand-Guignol.

Rythmée par cette alternance de registres comme par les répliques rapides qui se mêlent aux développements lyriques, l'in­ trigue progresse avec rapidité et emporte le spectateur vers le dénouement tragique.

Caligula échappe par là à l'« esprit de lourdeur » et à la contrainte symbolique dont pâtiront les pièces ultérieures de Camus : dans cette mise en scène d'une existence confrontée à l'absurde, la créa­ ture du dramaturge échappe à la récupération idéologi­ que et gagne par son autonomie un mystère nourri de contradictions qui en font un personnage pleinement théâtral.. »

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