Léviathan de Green
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
Le cadre de l'action de Léviathan (1929) est réduit à l'essentiel ; très peu de descriptions, nul pittoresque ; il semble que tout le raffinement de l'évocation soit concentré dans la psychologie des personnages. L'immense solitude de chaque protagoniste est angoissante: pas d' amitié, pas de sourire sincère, mais partout suspicion, dissimulation, exploitation. La mort ou la folie sont l'unique rayon de soleil.
«
EXTRAITS ~~ ~~~~~ -
(Mme Londe, tante d'Angèle) « Quelles
pensées menait cette
femme
? Elle ne
semblait ni heureuse, ni malheureuse ...
»
Portrait d'Angèle
Elle était celle dont on ne voulait pas ; ses
jolis yeux clairs, ses joues pleines ne ser
vaient d'appât qu'à de tristes v.ieillards ou
des hommes flétris et timorés qui n'osaient
Pli ..
~
point s'adresser ailleurs.
Elle était la débauche des
faibles, la mauvaise action
des timides.
Ah ! quelle la
mentation elle eût jetée au
ciel, si elle avait eu la foi !
Pouvait-elle faire la diffi
cile ? Un homme venait à
elle
aujourd'hui, moins af
freux que les autres parce
qu 'il l'aimait et parce qu'il
lui parlait avec cette défé
rence craintive qu'elle por
tait elle-même au fond de
son cœur pour tous ceux
qu 'elle regardait du bord de
la route, ou par la fente d'un
volet.
Comme elle compre-
nait à présent le tremble
ment qui agitait la main de cet homme
lorsqu 'il lui avait touché le bras! Pouvait
elle repousser un être à
qui une même souf
france l'unissait par tant de liens ?
Et, dans le trouble où cette pensée la jetait,
elle se leva.
N'était-ce pas cela le bonheur,
après tout, l'amour d'où qu'il vînt ? Et
même si cet amour n'était pas celui qu'elle
avait rêvé, dans sa solitude inquiète,fallait
il
pour ce la qu 'elle méprisât le don mysté
rieux
qui lui était offert ? Elle qui ne pensait
qu 'à l'amour, est-ce que cela ne lui porte
rait pa s malheur de repousser l'amour ?
(.
.
.)N'y a-t-il aucun moyen de conjurer la
tristesse
de l'avenir ?
La fureur aveugle Guéret,
qui devient
brutal
Dans la rage qui lui faisait perdre tout
contrôle de ses gestes, il eut tout à coup un
mouvement de tendresse en voyant la blan
cheur de cette chair que soulevait une res
piration difficile et il murmura le nom
d'Angèle, mais elle le regarda d'entre les
longues
mèches qui lui cachaient à moitié
le visage et se remit à crier, hors d'elle
même à l'idée que cet homme allait peut
être la tuer.
Elle eut le temps de voir la
colère revenir dans ses
yeux comme une es
pèce de flot qui en changea la teinte, et
ferma les paupières .
Il la tenait par le cou,
étranglant ces cris dans
sa gorge.
- Tais-toi, répétait-il
sur un ton de suppli
cation
et de fureur.
Et comme elle essayait de se libérer et de
crier, il la frappa à la poitrine et au visage,
plusieurs fois.
Il lui sembla tout à coup
que
la rivière, les arbres , l'air ,
tout remuait
autour de lui
et qu'un rugissement
continu emplissait le ciel.
Les poings se levaient et
retombaient sans qu 'il en
fût le maître.
Sa seule pen
sée était de faire cesser les
abominables cris qui sor
taient
de cette bouche, ce
son aigu qui pénétrait
dans son cerveau comme
une arme et le déchirait.
Une terreur subite, la
propre terreur de sa vic
time le gagnait.
(.
.
.)
Brusquement , il saisit la
branche qu 'il avait jetée """
de côté et qui était à por- ,.,,,
tée de sa main.
Dans '------- ~- ------__J
l'excès de sa colère, il leva son arme et en
frappa Angèle au visage, sur les joues , sur
le front, jusqu 'à ce qu'elle se tût et que le
sang dérobât
aux yeux du vainqueur la vue
de ces traits
qu'il adorait.
Plon, 1929
(M me Grosgeorge et
Guéret) « Elle en
profita pour fermer
la
porte
à double tour et,
avant qu' il eût pu l'en
empêcher, elle traversa
la pièce et lança la clef
par la fenêtre.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
«Les écrivains saluent en Julien Green l'un
des meilleurs écrivains de son temps.
Il ne
les décevra pas :
Épaves (1932), Minuit
(1936), Varouna (1940) et les premiers
tomes du
Journal confirment leur jugement.
« Pendant la deuxième guerre mondiale, il
vit aux États-Unis.
Mobilisé en 1942, puis
chargé des émissions de radio destinées à la
France, il écrit pendant cette période son
seul ouvrage en anglais,
Memories of happy
days,
souvenirs de sa vie en France.
« A la Libération, il revient en France.
Si
j'étais vous, Moïra et L' Autre Sommeil
précèdent d'éclatants débuts au théâtre: gâché
sa vie.
Elle se sent, un instant, proche
de cet homme qui
s'est abaissé devant elle
et en qui elle voit un
vassal.
» (op.
cit.)
Sud ( 1953), puis L' Enn e mi et L' Ombre, Le
Malfaiteur
...
» Préface de Leviathan, Plon ,
1929.
« Mme Grosgeorge qui, pour parfaire
l
'éducation de son fils, avait engagé le
précepteur, accueille et cache l'assassin.
Cette femme autoritaire , en dépit de son
empire sur son entourage et de sa richesse
est, comme Guéret, consciente d'avoir
1 Sipa -lcono 2, 3 , 4 , 5 dessin s de Deni se de Bravura , éd.
Pion, Paris, 1959 /cli chés 8.N.
«A la recherche d'un bonheur qui lui
échappe et que son comportement de faible
lui interdit de connaître, Paul Guéret, après
d'autres fuites, a fui Paris.
Dans la petite
ville de Chanteilles, il a accepté un poste de
précepteur et
il cherche le calme qui lui
ferait oublier le désespoir
qu'il ressent de
n'avoir pas
su comprendre le monde et s'en
faire accepter.
» (op.
cit.)
GREEN02.
»
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