Présentation d'Oncle Vania de Tchékhov

Oncle Vania dans l’œuvre de Tchekhov

Tchekhov est d’abord un prosateur : depuis son tout jeune âge et jusqu’à sa mort, il écrit des récits brefs - une centaine en tout. Dénuées d’effets narratifs spectaculaires (retournements de situation, suspens...), la plupart de ses nouvelles dépeignent une réalité non idéalisée, des existences banales. Son style est laconique, à la fois allusif et précis ; bien souvent, la fin des nouvelles est abrupte, dissonante, laissant le récit ouvert sur une impression ambiguë. C’est par exemple le cas des Feux...

Sur le plan intellectuel et littéraire, les controverses entre les nihilistes et leurs opposants font rage plusieurs années durant. Le courant antinihiliste est incarné, entre autres, par Dostoïevski, qui conteste leur anthropologie rationaliste ; pour lui, des forces plus obscures agitent les tréfonds de l’être humain. C’est pourquoi il considère que les principes athées du nihilisme sont impuissants à édifier une éthique ; il affirme la nécessité du principe religieux comme fondement des actions humaines.

Après avoir échappé à plusieurs attentats, Alexandre II est assassiné en 1881. Aux yeux des contemporains, ce crime semble signer l’échec du réformisme, puisqu’une politique modérée n’a pu l’éviter; en même temps, il affaiblit le radicalisme en traumatisant une large partie de la population. Le nihilisme voit dès lors son influence intellectuelle et politique décroître considérablement.

Les deux dernières décennies du siècle, pendant lesquelles Tchekhov rédige la plupart de ses écrits, sont alors caractérisées par un certain abattement intellectuel, et la dissolution déconcertante des anciennes valeurs. La conscience que s’est irrémédiablement effondré le monde d’autrefois coexiste avec l’incertitude quant à l’avenir.

Les contradictions idéologiques et les aléas du progrès social en Russie n’apparaissent qu’en filigrane dans l’œuvre de Tchekhov; il ne cherche aucunement à faire de ses œuvres un moyen de divulguer des idées générales qu’au fond il avait en horreur. Pourtant, son observation méticuleuse des conditions de vie de son temps restitue, dans ses textes, une image assez fidèle des interrogations propres à son époque. Dans Oncle Vania, le personnage de la « nounou >> Marina représente cette paysannerie pleine de bon sens et de foi, mais dont les façons de penser sont désormais archaïques. Tchekhov ne reprend pas non plus à son compte les idées révolutionnaires : le bouleversement de l’ordre ancien (matérialisé par l’intrusion du couple Sérébriakov dans un monde réglé) s’impose de l’extérieur, sans être le fruit d’une volonté de changement des autres personnages. Il n’en est pas moins bel et bien advenu, et chacun, dans la pièce, doit s’en accommoder et trouver de nouvelles raisons de vivre.