TRAITÉ DE LA RÉFORME DE L'ENTENDEMENT Baruch SPINOZA

« de déterminer si une chose est bonne ou mauvaise.

Il n'est donc pas nécessaire de trans­ former la philosophie en exercice d'ascétisme.

Suivant les individus et les circons­ tances, les passions peuvent être bonnes ou mauvaises : ainsi la pitié est une passion néfaste pour le sage, mais elle est utile pour le vulgaire ; la joie est en général une bonne passion et la tristesse mauvaise, etc.

t Ainsi en va-t-il de toutes les autres oppositions de valeurs.

Le parfait et l'imparfait sont également relatifs.

«Nulle chose, en effet, considérée dans sa propre nature, ne sera dite parfaite ou imparfaite.

surtout quand on aura connu que tout ce qui arrive se produit selon un ordre éternel et des lois de nature déterminées.

» L'homme projette sur l'ensemble de la nature des notions qui n'ont de sens que rapportées à lui-même.

Mais en même temps, l'homme, à cause de sa faiblesse même, «conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure en force à la sienne propre », ce qui le pousse à l'union avec les autres hommes.

t Le « souverain bien » est atteint en portant sa propre nature à la perfection alors que les éthiques religieuses traditionnelles impliquent qu'on s'en dépouille pour acqué­ rir une nature divine.

En outre, cette sagesse n'est nullement individuelle.

Elle est au contraire d'emblée sociale, il faut « acquérir cette nature supérieure et faire de mon mieux pour que beaucoup l'acquièrent avec moi ; car c'est encore une partie de ma félicité de travailler à ce que beaucoup connaissent clairement ce qui est clair pour moi, de façon que leur entendement et leur désir s'accordent pleinement avec mon entendement et mon désir ».

t La réforme de l'entendement sera donc aussi une réforme politique.

La réforme de l'entendement, de proche en proche, finira par atteindre tous les domaines (la médecine et la mécanique, comme la philosophie morale ou la science de l'éducation).

Mais « avant tout, il faut penser au moyen de guérir l'entendement et de le purifier autant qu'il se pourra au début de façon qu'il connaisse les choses avec succès, sans erreur et le mieux possible ».

~ Sur la conception spinoziste du bien et du mal, voir§ 5.

2.

EXPOSÉ DE LA RÉFORME A.

Les étages de l'entendement t Ce qui doit venir en premier, c'est donc la réforme de l'entendement afin de «le rendre apte à connaître les choses comme il est nécessaire pour atteindre notre but».

Le souverain bien ne peut être atteint que par la connaissance adéquate des choses ; or, savoir déterminer de quelle manière nous pouvons atteindre à cette connaissance, cela nécessite qu'on suive d'abord« l'ordre tiré de la nature».

La considération des modes de connaissance permet ainsi de déterminer celui qui convient le mieux.

Ces modes sont au nombre de quatre, selon une division qui rappelle celle qu'expose Platon dans le livre VI de La République.

t Le premier mode est la connaissance par ouï-dire, celle que nous donne l'opinion et qui est la plus incertaine, car la connaissance des signes des choses n'est pas la connais­ sance des choses.

Le deuxième mode est la connaissance par expérience vague, qui nous fait prendre les sensations que la chose produit en nous pour la chose elle-même.

Ces deux premiers modes sont entièrement sous la direction del 'imagination.

Le troi­ sième mode, hypothético-déductif, est celui des sciences de la nature, qui supposent les causes à partir des effets.

Bien que rationnel, ce mode de connaissance reste incer­ tain en raison de l'incertitude des hypothèses.

Enfin, le quatrième mode est la connais­ sance intuitive de l'essence des choses et procède des causes vers les effets.

Et« seul le quatrième mode saisit l'essence adéquate d'une chose et cela sans risque d'erreur».

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