Un Jardin sur l'Oronte
Publié le 04/04/2013
Extrait du document
Pour mener à bien la rédaction du Jardin sur l'Oronte, Maurice Barrès s'est longuement penché sur la lyrique arabe et persane et sur ses commentateurs, qu ' il connaissait admirablement bien. Le roman est tressé de maximes et de proverbes dont les images sont souvent empruntées à cette poésie, procédé qui unit le récit linéaire à des « sagesses « orientales de valeur générale.
«
« Les deux amants
passaient leurs jours et
leurs nuits dans un état
de vibration de leurs
âmes, montées
au plus
haut point et pourtant accordées étroitement.
»
EXTRAITS
C'est le chant d'Oriante qui ravit
Guillaume lorsqu'il la rencontre
pour
la première fois :
Quand la musulmane chantait, les paroles,
pourtant si tendres.faisaient la moindre im
portance de cet enchantement.
Mais un
cœur fier éclatait, une eau fraîche jaillissait ,
sur des mains brûlantes de
fièvre.
( ...
) Après chaque
strophe, elle avait une
pause, un temps de
rêverie, puis une sorte
de gémissement, en notes
vagues, et suspendait de se
raconter
pour qu'on suivît
mieux son sillage, comme
la fusée, à mi-route des
étoiles, épanouit son cœu r
brûlant
et retombe en gerbe
de feu.
« Eh quoi ! se disait le
jeune homme, serions-nous
dans le
monde ? »
Ce n'était pas des confi
dences
qu'elle murmurait,
ce soir, aux étoiles.
Ce n'était aucun appel,
ces cadences caressantes,
mais à ciel ouvert
les états d'u
ne conscience brûlant au fond
du harem.
les mots mal discrets, sa voix les
enveloppait d'un tendre mystère.
Jamais
elle ne désignait tout droit un sentiment ;
elle
l'entourait , le dessinait, comme font les
pas d'une danseuse , et le jetait de ses deux
mains tout vif dans les âmes.
Par cette
chaude nuit violette, son chant soulevait des
mousselines, lamées d
'or et d'argent, pour
découvrir, croyait-on, les heures secrètes
d'une jeune femme, mais déjà ils' enfuyait,
et sa confidence, toujours reprise et refusée,
en mêlant à d 'ex trêmes douceurs des
minutes d'irritation, blessait mortellement
le cœur.
Lorsque Guillaume, mortellement
blessé, retrouve enfin Oriante,
les
malentendus semblent se dénouer :
- Te trahir ! dit-elle, et toi, comment
nommes-tu ton refus, inavoué mais certa in,
de défendre Qalaat contre tes core ligion
naires chrétiens ? Tu nous avais engag és
dans une résistance pureme nt passi ve, où tu
ne voyais, à part toi, aucun espoir sérieux
de succès.
Pourquoi ? Ah ! je te comprends.
Tu ne pouvais pas frapper tes frères chré
tiens.
Mais à ton tour comprends
ma nature!
Comprends qu 'Oriante n'est pas née pour
admettre qu'il y ait des vainqueurs qu'ell e
renon
ce à s'assujettir.
Je ne pouvais pas me
résigner à être comme une morte .
Il faut
connaître ce que sont les femmes, ou du
moins leur reine .
Tu peux me demander de
ne plus vivre; c'est peut- être le
devoir d'une femme de mourir
avec celui qu'elle aime, mais,
tant que je respir e, il m'est
impossible de ne pas obéir à la
force
roya le qu'il y a en moi.
-
C'est cette force royale que j'ai
mais en toi, et c'es t d 'elle qu e j'ai
souffert et que je meurs.
N'espère .
pas que je n'a ie pa s déchiffré à la
longu e tes parol
es rusées, ton vi
sage trompeur et quelque chose
d'âpre et de ca lcul é sous tant de
r
êves exaltés et tendres.
Nul ne
peut passer à la port ée de ton re
gard ou de ton imagination, plus
étincelante encore , que tu ne veuilles te
l 'assujetti
r.
Que de fois, lumi ère de ma v ie,
tu m'as déplu sans que je cesse de t'admirer
et de t'adorer ! Personne ne pou va it empê
cher que je ne fusse à ta discrétion dès l 'ins
tant que
je te co nnus.
«A la vie, à la mort! »
entendis-je alors mon cœ ur murmurer.
Gallimard ,
1990
«La dépouille [de
l'Émir) fut dépos ée dans l'appartement des femmes.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
«Il [Barrès] a éprouvé l'ivresse des
formules orientales, sinon
il ne se fût pas
arrêté à des textes orientaux parfois
austères, arides ou maniérés, pour en tirer
des phrases exquises, légères, expressives ,
musique du cœur et de l'esprit.
Peut-être
est-ce là que
l'on perçoit le mieux
l'originalité du rêve oriental de Barrès ,
so rte d
'entêtement à créer, avec une matière
dont
il a subi les enchantements, une beauté
qui parût aisée, naturelle , adaptée aux
exigences du goût occidental.
poétique
, le Jardin
sur/ 'Oront e est une
création romanesque vivante, non une
œuvre lyrique .
Que la simplicité ou la
grâce des mots ne nous en cachent pas
l'humanité profonde, la vérité humaine
saisies toutes vives.
Sans doute est-ce dans
cette atmosphère d'Orient, et dans nul
autre de ses romans, que Barrè s a le mieux
rendu la palpitation de la vie et du cœur.
»
Ida-Marie Frandon, l'Ori ent de Maurice
Barr ès, Étude de genèse, Droz, Genève,
1952.
secrets désirs, il lui permet au ss i de parer
son récit de tous les miroitements, de tout es
le s grâces et plaintes voluptueuses que
véhicule
l'image du harem.
D'autre part, en
situant son conte à l'époque des Croi sade s,
l 'écrivain ne prétend nullement à une
reconstitution authentique, mais
il bénéficie
d'un support historique qui lui fournit des
épisodes dramatique s et lui offre la
possibilité d'une confrontation entre le
monde chrétien et le monde musulman .
»
Émilien Carassus, préface à Un Jardin sur
!'Oront e, Gallimard , 1990.
» Malgré son caractère personnel et
1 Cnmern Press Ltd.
2.
3.
4 Suréda.
favnl et Bourdeaux.
Paris.
1927 / B.N .
« Le cadre oriental permet à Barrès de
tracer des figures féminines accordées à ses
BARRÈSO~.
»
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