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ISLAM ET Démocratie de 1995 à 1999 : Histoire

Publié le 24/12/2018

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histoire

À l’heure où certains régimes islamiques, tel l’Iran, entreprennent une ouverture tandis que d’autres, tel l’Afghanistan, imposent encore leur chape de plomb à la société, il est important de s’interroger sur les relations historiques, politiques et doctrinales entretenues entre islam et démocratie. Qu'en est-il tout d’abord, dans la doctrine islamique, de la séparation du religieux et du politique, considérée comme la racine de la démocratie ? En second lieu, que peuvent impliquer pour la démocratie politique proprement dite des notions musulmanes telles que la choura (concertation) ? Enfin, la charia (voie légale inspirée du Coran et des traditions écrites de Mahomet) peut-elle s’accorder avec la démocratie, considérée comme garante de la liberté de pensée et d’expression et, plus largement, de la sauvegarde des droits humains ?

 

Islam et principe de séparation

 

DES POUVOIRS

 

Le creuset exceptionnel que fut la pensée musulmane, où fusionnèrent, avec la pensée scientifique, philosophique, juridique, politique et religieuse gréco-romaine et byzantine, les cultures perse, hindoue et turco-mongole, s’ajoutant à la culture sémitique arabe en symbiose avec les cultures juive et chrétienne locales, permit l’éclosion des grandes synthèses scientifiques, théologiques, mystiques et juridiques musulmanes. La politique n’est guère plus essentielle à la foi musulmane qu’à la foi juive ou à la foi chrétienne, contrairement à ce que l’on suppose souvent, et plus de deux siècles après les événements tragiques suscités par la succession de Mahomet, l’élaboration d’une pensée politique normative ne représentait qu’un élément réduit du monument qu’est le fiqh (droit et morale pratique islamiques). Il fut pris nettement position contre les premiers théoriciens musulmans d’un autoritarisme théocratique inspiré du platonisme ou du despotisme perse, et la grande tradition insiste au contraire sur le caractère non théocratique du pouvoir. Suivant les deux interprétations - sunnite et chiite - de la tradition dominante, Dieu n’intervient plus immédiatement et directement dans la conduite de la communauté des croyants après le temps miraculeux, révolu et non réitérable, de la théocratie médinoise. C’est selon les doctrines kharidjite (anti-chiite et anti-sun-nite) et ismaïlicnne (chiite extrémiste) que les deux ordres se confondent, ou même se fondent. Mais souvent, et c’est regrettable, c’est cette position extrême qui passe en Occident pour la vraie doctrine musulmane. Or, bien au contraire, il y a dans le sunnisme comme dans le chiisme une séparation du religieux et du politique non seulement dans la pratique historique mais dans la théorie elle-même. Cependant, dans l’islam, davantage que dans le christianisme peut-être, le religieux exerce une forte prégnance sur la vie sociale et le droit de tous les jours avec, pour conséquence, une intervention dans la sphère politique sans doute plus accentuée, mais qui s’effectue en respectant la séparation entre les deux ordres et en exerçant éventuellement un contre-pouvoir - ce qui constitue une pratique démocratique. Toutefois, comme la

 

morale politique chrétienne, la tradition musulmane prêche l’obéissance aux autorités politiques, même injustes et, sauf cas exceptionnel autorisant un djihad (guerre pour Dieu), elle rejette la révolte violente prônée par les doctrines kharidjite et ismaélienne qui, confondant faute morale et apostasie et s’autorisant à déclarer cette dernière (qui entraîne la peine capitale en droit musulman), imposent le tyrannicide. Donc, pour ce qui est de la séparation du spirituel et du temporel, la doctrine musulmane rend possible la démocratie, mais ne l’assure pas nécessairement.

 

Ainsi, dans le monde musulman du XXe siècle, la séparation et donc la citoyenneté séculière sont posées dans la Constitution égyptienne démocratique libérale de 1898 reprise par celle de 1923, de même que dans celles des Etats musulmans indépendants de l’Afrique subsaharienne et aussi dans les Constitutions peu démocratiques de la Turquie post-ottomane, de l’Iran des Pahlevi (de 1906 à 1979), de l’Indonésie, de la Malaisie, du Pakistan, des Républiques musulmanes du Caucase et d’Asie centrale. Les autres pays à population presque exclusivement musulmane connaissent une régression constitutionnelle que les extrémistes islamiques ont aggravée au cours des deux dernières décennies par des pressions au sein même des Etats (quand elles étaient possibles) ou par des actions violentes visant une réislamisation du droit et des mœurs. C’est la sécularisation qu’ils combattent, entendue, sans nuances, comme abandon de toute croyance et pratique islamiques (cas extrême qui n’a, en fait, existé qu’en Albanie communiste à partir de 1967).

 

Mais l’appareil de l’islam la rejette également. En effet, depuis les années vingt au moins, ce n’est plus la tradition majeure, sunnite ou chiite, qui domine dans les cercles autorisés de l'islam, mais plutôt une tradition marginale qui renoue avec les extrémismes des débuts. Cette tradition suit en la simplifiant la politique héritée du grand juriste Ibn Taymiyya (xnf-xiv* siècle) et de ses disciples, dont la théorie du pouvoir et de la guerre est aux marges de la grande tradition sunnite. En conséquence, s’il faut distinguer les extrémistes islamiques (couramment désignés comme « intégristes » ou « islamistes ») d’un côté, et l’islam de l’appareil mondial, de l’autre, on constate aussi que les instances de ce dernier s’alignent souvent sur les positions des premiers. Après les Congrès musulmans des années vingt et trente, ces instances sont notamment l’Organisation de la Conférence islamique (OC1) qui, fondée en 1969, est politique, la Ligue islamique mondiale (d’inspiration saoudienne), créée en 1962, qui est doctrinale et culturelle, le Congrès du monde musulman (d’inspiration pakistanaise), qui date de 1949, les conférences des oulémas, réunies périodiquement au Caire par Al-Azhar. L’association des Frères musulmans d’Égypte, de Palestine et de Syrie est présente et influente depuis les années cinquante dans ces institutions qui affirment, et répètent en termes explicites, que la fusion du religieux et du politique est essentielle à l’islam pour combattre tout despotisme.

histoire

« ISLAM ET DÉMOCRATIE.

Le Soudan est 1 'u n des principawc régimes islamiques sur le cominent a[ricai11.

En 1995.

sur l'initiative de son idéologue et homme fort, Hassan ai-Tourabi (ci-comre, à droite), il accueille tl Khart oum la Conférence islamique.

Mais, soucieux de ménag er les pays occidema ux et les groupes islamistes extrémistes, les participantS om opté pour une position plutôt modérée et la réunion n'a pas débouché sur une • internationale isla m iqu e "· () M.

AuarCorbis.Sygma ISLAM ET DÉMOCRATIE.

Qu oiq ue ne comwissa/11 pas la même médiatisation qu'en Algérie, en Afglwnistan ou tw Proche-Orielll, l'islam en Afrique noire évolue également et n'est pas com pl ète m em à l'abri d'une politisation.

Inégalement réparti, dominant dans le s franges sah ar ie nn es ( S én égal , Mali, Niger, nord du Nigeria), il reve ndique une participation plus grande aux a ff aires publique s.

Ci-contre : deux enfams renam leur rab/eue (où sont calligraphiés des versets du Coran) dCI'Ont l'une des mosquées (celle de Severi, au Mali) qui se som récemmem mul tip liées à la faveur d'tm certain " réve il cu ltu re l • des musu lma ns.

ISLAM ET DÉMOCRATIE.

Fondé par le clt eik il Altmed Yassirte, le Hamas palestinien ap par aît e11 1987 comme le bras paliti co -mili taire des Frère s mu.rulmans jordaniens et comm ence à faire parler de lui en s'employa/JI à réislamiser la société en favorisa/Il la consm•ction de mosquées, d 'éco les et de dispensaires er en distribua nt bourses er aide soc ia le .

JI fait partie de cette nébuleuse islamiste er s'oppose au processus de paix avec Israël.

Il n'est cependa nt pas exclu qu'un compromis puisse être trouvé m•ec la branche la plus laïque du mouvement palestinien.

© Liz Gilberr-Sygma !t') Magnum tion confessionnelle islamique qui exclut toute démocratie laïque.

Dans les cercles musulmans autorisés, comme en témoigne le modèle de Constitution islamique élaboré en 1983 par le conseil d'Islamabad de la Ligue islamique mondiale, la choura n'est plus interprétée en termes de démocratie pluraliste moderne comme elle l'était au temps des mouvements islamiques constitutionnalistes.

Dans la seconde moitié du XIX' siècle et dans la première moitié du XX', les « réformistes » - tels que le Turc Namik Kemal et le Caucasien de Tunis, Kheireddinc, l'Iranien Jamaleddine al-Afghani, les Égyptiens Muhammad Abduh, Ali Abd al-Raziq, les Indiens Ahmad Khan et Muhammad lqbal, 1 'Algérien Ibn Badis, le Peul Osman dan Fodio et le Toucouleur Hadj Omar ainsi que d'autres encore -contribuèrent à une certaine démocratisation de leurs États par leurs écrits et leurs actions.

On a parlé d'un« néo-islam » en poli­ tique, influencé fortement par les Lumières européennes, et envisa­ geant volontiers le " despote éclairé » musulman, autrement dit le «bon calife »,comme un monarque constitutionnel.

Étendant idéale­ ment son règne sur l'ensemble des musulmans du monde, le califat constituait.

après la période d'origine.

le régime impérial de l'islam sunnite (reconnu de facto par les chiites aussi, qui y participaient).

De type monarchique, il était fort peu démocratique dans ses institutions gouvernementales comme dans son mode de succession, et souvent assez peu soucieux de l'application de la cita ria.

Aussi, ce régime, qui s'est vite fractionné et a été soumis à l'autorité des sultans ou des émirs puis suspendu, avant d'être réintroduit par les Turcs ottomans, fut-il très souvent critiqué d'un point de vue doctrinal.

Depuis l'abolition du califat en 1924 par Mustafa Kemal « Ataturk >>, la pensée musulmane recourt à la « politique de la cita­ ria >> élaborée par Ibn Taymiyya à la place de la théorie du califat.

Le Syrien libanais Rachid Redha qui, disciple et collaborateur du cheikh Abduh, rejoignit ensuite la tendance d'Ibn Taymiyya, développe ainsi les notions, traditionnelles en droit musulman, de consensus (ijma) et d'intérêt commun, pour défendre l'idée que la volonté générale des musulmans dans le monde et dans chaque État exprime la volonté politique de Dieu, mais sans admettre cependant la séparation du spi­ rituel et du temporel.

De manière plus radicale que Red ha, Hassan al­ Banna, fondateur des frères musulmans, justifie au nom de l'islam le système parlementaire consti!ulionnel, mais en attaquant le régime des partis alors pratiqué en Egypte, et en réclamant, au nom de la choura, un rassemblement de masse à orientation islamique (et non pas «citoyenne >>).

Les partis politiques sont désormais perçus corn- mc des factions dangereuses pour la communauté musulmane.

La démocratie pluraliste et non confessionnelle n'est plus de mise.

La «démocratie islamique locale >> décentralisée, prônée par le Frère musulman radical égyptien Sayyid Qotb, entend permettre à la choura de fonctionner efficacement par des conseils locaux géographique­ ment restreints, à l'instar en partie des recommandations du Livre vert (1976) de Kadhafi, qui critique, sur un ton « anarchisant », la repré­ sentation parlementaire, les partis et le référendum, et fait l'éloge de la « démocratie directe par les comités de base >>,qui serait le régime islamique authentique se référant au seul Coran.

CHAR/A, LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES ET DROITS HUMAINS C'est donc la charia qui, depuis la fin du califat ottoman, est de plus en plus le critère de légitimité islamique d'un pouvoir moderne, quel que soit son régime.

Mais ce critère varie selon ce que l'on entend par cha ria.

Deux interprétations, chacune avec ses graves conséquences pratiques en cette fin du XX' siècle, s'opposent diamétralement.

L'interprétation fondamentaliste, déjà présente dans 1 'une des deux ten­ dances du « réformisme >> islamique, entend la dtaria comme un ensemble de codes de lois déduits du Coran et des tiaditions écrites de Mahomet, comme l'indique en annexe la Déclaration islamique univer­ selle des droits de l'homme (1983) conçue à l'Unesco par le Conseil européen de la Ligue islamique mondiale.

Pareille interprétation litté­ rale de la cita ria a été/est défendue par des intellectuels musulmans res­ pectés et influents fort nombreux, principalement Mawdudi, le fonda­ teur du parti Jamaat-i islami (proche des Frères musulmans du Moyen­ Orient arabe) au Pakistan, Khurshid Ahmad, son disciple, Saïdi Nursi en Turquie, Sayyid Qotb en Égypte, Hassan ai-Tourabi au Soudan et, dans la mouvance chiite, Khomeiny en Iran ainsi que -avec originalité et intelligence -Mobammad Husseïn fadlallah, maitre à penser du Parti de Dieu {Hizb Allah) libanais.

Concernant les libertés et droits humains, ceue conception compone, en premier lieu, des lois pénales imposant la peine capitale et des peines corporelles dont les mutilations, ou, parfois, le « prix du sang » en substitution, applicables selon le Coran- et sur­ tout selon les « traditions >> écrites du Prophète -aux apostats déclarés (la conversion d'une personne musulmane à une autre foi, à l'athéisme ou au théisme sans religion instituée étant civilement prohibée), aux rebelles à l'ordre public musulman, aux fornicateurs (dont les adultères) et aux diffamateurs en cette matière, aux voleurs et à ceux qui se. »

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