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Les années 1900 ou l'apogée européen

Publié le 27/12/2018

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La «Belle Époque» ! Cette expression inventée dans le désenchantement des lendemains de la Première Guerre mondiale pour évoquer les années 1900 a souvent été brocardée par les historiens. Il ne fallait pas se laisser abuser, disaient-ils, par ces images rétrospectives qui colorent le passé de teintes d’autant plus aimables quelles ont été élaborées dans la grisaille d’un présent sans joie. Si cette époque fut « belle ». elle ne le savait pas. Pourtant, à y bien regarder, ce furent, à tout le moins pour l’Occident dominant, des années au cours desquelles le mot bonheur pouvait se référer à des réalités, et pas seulement à des rêves.

 

Non que la misère, l’inégalité, l’injustice fussent éradiquées de la condition humaine et sociale, mais une conviction s’était ancrée dans toutes les couches de la société : celle du progrès (cette foi en un progrès fatal et continu, explique Stefan Zweig, avait dans ce temps-là toute la force d’une religion). Les découvertes de la science et les merveilles techniques de la « seconde révolution industrielle » la soutenaient : la fée Électricité multipliait les villes-lumière, le téléphone abolissait les distances, les automobiles étaient lancées dans la course aux records de vitesse, les premiers avions défiaient les nuages, le Cinématographe devenait un art, et ces nouveautés accompagnaient les progrès de la médecine, de l’hygiène, de l’instruction, que la manie des statistiques rendait désormais tangibles.

 

Pourtant, ce « monde d’hier » n’a rien d’un « long fleuve tranquille » roulant ses eaux pures vers un océan de félicité. Des conflits le traversent ; des rivalités, des passions hostiles lui interdisent la sérénité.

 

La France sort d’une grande bataille idéologique et politique qui la laisse divisée : l’affaire Dreyfus. Celle-ci a eu pour dénouement parlementaire la formation durable, en 1902, d’un Bloc des gauches, dont l’œuvre anticléricale assumée par Émile Combes achève d'imposer la loi républicaine aux héritiers de l'Ancien Régime, aux partisans du gouvernement autoritaire et aux fidèles de la France catholique. Pourtant, la conclusion du conflit par la loi de séparation des Églises et de l’État (décembre 1905), passé les troubles immédiats quelle déclenche, en raison notamment de l’intransigeance romaine, se révélera un modus vivendi des plus acceptables entre des citoyens sans credo commun.

Dès 1906, la page est tournée : les grandes manœuvres de la Confédération générale du travail (CGT), le retour des socialistes à l’opposition, le discours de la révolution sociale et le drapeau rouge dans la rue. tout paraît établir le passage des vieux affrontements idéologiques issus de la Révolution (la place de l’Église dans la société, la question de l’école, le rôle politique de l'armée...) au conflit moderne par excellence : la lutte des classes. L’idée se répand que deux classes antagoniques sont en guerre pour le meilleur gouvernement des hommes ; aux Réflexions sur la violence de Georges Sorel, qui exalte la grève générale, répond la Barricade de Paul Bourget, qui appelle la bourgeoisie au combat nécessaire.

 

Plus nombreux, plus concentrés, mieux organisés, les ouvriers d’industrie représentent une nouvelle force dans les pays avancés. La IIe Internationale ouvrière et socialiste, qui a connu des débuts laborieux en 1889, s’est dotée de structures régulières dans les premières années du XXe siècle ; ses congrès se succèdent, à Paris en 1900. à Amsterdam en 1904, à Stuttgart en 1907. à Copenhague en 1910. donnant chaque fois à confirmer son rayonnement, l’existence d'un prolétariat mondial - en face duquel les États libéraux et les prospérités bourgeoises se sentent en danger. En France, Clemenceau, qui siégeait jadis à l’extrême gauche, devient le ministre à poigne qui. moyennant toutes les ressources de la police ordinaire, affronte et finit par mater les syndicalistes révolutionnaires.

 

Malgré leur gravité, la « révolution dreyfusienne » et la « guerre sociale », dont la France a été tour à tour le théâtre, restent partie prenante d’un processus de progrès qui dépasse ses frontières. Car, avec leurs caractères propres, ces deux crises sont prises dans les deux courants qui irriguent l’Europe, et dont on observe les équivalents en Amérique du Nord, en Australie, en Nouvelle-Zélande... : la démocratisation des institutions et l'émancipation des travailleurs salariés.

 

Partout, en effet, même si les rythmes varient d'un pays à l’autre, les sociétés européennes s'affranchissent des anciens régimes tutélaires. L'établissement du suffrage universel (masculin), à tout le moins les combats qui y préparent, l’élargissement progressif du suffrage par les réformes électorales - dans les pays Scandinaves, en Italie, dans l’Empire austro-hongrois -, la victoire des républicains au Portugal. la fin de la monarchie absolue en Russie, etc., témoignent d’une marche d’ensemble vers la démocratie libérale, aux dépens des aristocraties, des régimes autoritaires et d'une Église catholique restée fermée, sous le pontificat de Pie X, au «monde moderne».

 

La progression des partis socialistes, travaillistes, ou sociaux-démocrates, la syndicalisation croissante des ouvriers, sont en phase avec le mouvement politique. Souvent, ce sont les partis ouvriers qui mènent le combat en faveur du suffrage universel. Car, même sous le vocabulaire le plus tranchant, même dans les grèves les plus dures, et quoi qu’en pensent des classes dirigeantes parfois effrayées par la marée prolétarienne, c’est la promotion ouvrière dans le cadre de la société libérale qui est en cours. En Allemagne, où s’active le parti social-démocrate le plus puissant du monde, la révision des thèses révolutionnaires de Marx proposée par Eduard Bernstein est jugée inacceptable par la majorité marxiste du SPD - mais il ne s'agit que du respect formel d’un tabou, que de la fidélité aux mots du livre fondateur ; dans la pratique le révisionnisme est de plus en plus affirmé : la réforme est préférée à la révolution. En France, après les heures messianiques d'un socialisme

« de la monarchie absolue en Russie, etc., témoignent d'une marche d'ensemble vers la démocratie libéral�, aux dépens des aristocraties, des régimes autoritaires et d'une Eglise catholique restée fermée, sous le pontificat de Pie X, au «monde moderne».

La progression des partis socialistes, travaillistes, ou sociaux-démocrates, la syndicalisation croissante des ouvriers, sont en phase avec le mouvement politique.

Souvent, ce sont les partis ouvriers qui mènent le combat en faveur du suffrage universel.

Car, même sous le vocabulaire le plus tranchant, même dans les grèves les plus dures, et quoi qu'en pensent des classes dirigeantes parfois effrayées par la marée prolétarienne, c'est la promotion ouvrière dans le cadre de la société libérale qui est en cours.

En Allemagne, où s'active le parti social­ démocrate le plus puissant du monde, la révision des thèses révolutionnaires de Marx proposée par Eduard Bernstein est jugée inacceptable par la majorité marxiste du SPD -mais il ne s'agit que du respect formel d'un tabou, que de la fidélité aux mots du livre fondateur ; dans la pratique le révisionnisme est de plus en plus affirmé ; la réforme est préférée à la révolution.

En France, après les heures messianiques d'un socialisme révolutionnaire qui s'est éteint avec les premiers succès électoraux des années 1890, Jean Jaurès énonce le principe de «l'évolution révolutionnaire», tandis que le flambeau insurrectionnel repris en main par la CGT s'éteint peu à peu après l'échec des grandes grèves de 1906-1909.

En Italie, les socialistes collaborent avec les partis bourgeois contre les tenants de la réaction.

À l'autre bout du monde, l'Australie montre la voie de l'intégration du peuple ouvrier dans la nation, par des réformes sociales pionnières : l'établissement d'un salaire minimum en 1907 et, l'année suivante, les premiers fondements d'un système de sécurité sociale.

Si, alors, il y a danger de subversion, il vient d'ailleurs.

Une autre passion a parcouru tout le XIXe siècle sans faiblir, qui continue à menacer les équilibres établis.

On l'appelait l'« idée de nationalité », on parle désormais de nationalisme.

Ses expressions sont multiples, même si elles ont une source identique: l'attachement à une communauté ethnoculturelle, souvent exprimé par une langue commune.

JI s'agit d'abord de la revendication « nationalitaire »,portée par des groupes nationaux qui n'ont pas accès à la souveraineté.

C'est le cas des Irlandais, qui fondent le Sinn Fein(« Nous seuls») en 1905 ; des Baltes, soumis à la Russie tsariste; des Polonais, écartelés entre trois États, et résistant au double mouvement de germanisation et de russification ...

Un empire multinational, l'Autriche-Hongrie, est en proie aux revendications des minorités tchèque, slovaque, croate, roumaine, dans un ensemble du reste sans majorité.

La belle construction des Habsbourg, cette Mitteleuropa dont Vienne est la capitale éclatante, danse la valse, mais c'est sur un volcan.

Le nationalisme s'affirme aussi par la volonté de puissance qui envahit les États et enflamme les masses.

La France l'a découvert dans les tumultes de l'affaire Dreyfus- mais le nationalisme chez elle est hanté par l'idée de décadence, et se révèle surtout défensif.

D'autres peuples, en pleine croissance, veulent gagner leur place au soleil au détriment des anciennes hégémonies.

À Belgrade, on rêve d'une grande Serbie.

L'Allemagne se pose en rivale de plus en plus redoutable de la Grande-Bretagne sur les mers et sur les marchés du monde ; une littérature profuse, à laquelle Guillaume II n'est pas insensible, accrédite dans l'opinion la conviction d'une supériorité germanique, qui justifierait une Weltpolitik ambitieuse et agressive.

Hors d'Europe, les États-Unis se taillent un empire à leur manière, en faisant notamment surgir une République de Panama aux dépens de la Colombie, aux fins d'assurer la construction du canal transocéanique qu'ils contrôleront.

La Chine, elle, se réveille de son engourdissement séculaire, même si la révolte des Boxers, visant la présence étrangère dans l'Empire du Milieu, reste sans effet immédiat sur l'occupation et l'exploitation du territoire chinois.

Une autre puissance, surtout, se lève d'Extrême-Orient, un Japon en plein essor, qui conteste les droits de la Russie sur la Mandchourie, et inflige à celle-ci une cuisante défaite en 1904-1905.

Première brèche dans la domination européenne du monde, première défaite grave de !'«homme blanc», dont le symbole encouragera la révolte des colonisés contre les impérialismes européens.

Or ces rivalités entre les puissances qui se terminent par des guerres ne peuvent plus se régler comme autrefois par armées professionnelles réduites et mercenaires interposés, loin de la vie de chacun.

L'opinion est devenue partie active de la vie politique.

La guerre, qui tend désormais à mobiliser toutes les énergies de la nation, risque aussi de cristalliser toutes les forces de protestation.

Les revers de l'armée tsariste sont l'occasion de la vague révolutionnaire, que nourrissent. »

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