Les années quatre-vingt (1980 - 1989) dans le monde
Publié le 30/11/2018
Extrait du document
La décennie qui s’achève avec l’année du Bicentenaire est de celles qui confirment - pour le plus grand bien de l’humanité - l’idée, au demeurant peu « vendable » dans le champ médiatique, que le pire n’est jamais certain.
Qu’on se souvienne en effet. 1979, c’est l’année à la fois du second choc pétrolier, de la prise d’otages à l'ambassade américaine de Téhéran, de l’entrée des blindés soviétiques à Kaboul et de la décision de l’OTAN de déployer en Europe, face aux SS 20 soviétiques, des vecteurs nucléaires de portée intermédiaire (missiles de croisière et Pershing 2). Au cours des quatre années précédentes, une partie de l’Afrique a basculé dans le camp des pays du « socialisme réel » et l’Amérique centrale, l’«arrière-cour» de la superpuissance de l’Ouest, paraît devoir suivre le même chemin. La République impériale n’en finit pas de surmonter les effets conjugués du syndrome vietnamien et du Watergate, l’Europe d’affirmer qu’il est temps de «parler d’une seule voix» sans se donner les moyens de la faire entendre, l’Union soviétique de pousser ses pions sur tous les continents sans peser, semble-t-il, les risques d'éclatement de l'Empire.
Certains croient pouvoir annoncer que la guerre entre l’Est et l’Ouest n’est pas seulement redevenue possible, mais qu’elle est certaine et que l’on peut en prévoir l’échéance. D’autres, que les Trente Glorieuses sont bel et bien enterrées et que. plus jamais, les économies occidentales ne retrouveront une croissance de la même ampleur. Ou encore, comme le très sérieux Club de Rome, que l’on aurait à faire face à une pénurie de pétrole avant l’an 2000. Sans parler des certitudes fondées sur des présupposés idéologiques plutôt que sur l’examen du réel, à savoir : « La participation communiste à un gouvernement d’\"union de la gauche” [France] ou de “compromis historique” [Italie], est le premier pas vers le goulag » ; « il faut soutenir les régimes autoritaires contre les régimes totalitaires car - dixit Madame Jeane Kirkpatrick, ambassadeur de Ronald Reagan auprès des Nations unies - on “sort” des premiers et pas des seconds», etc.
Dix ans plus tard, on peut mesurer à quel point les Cassandres peuvent se tromper quand elles pensent pouvoir tirer des «leçons de l’Histoire » automatiquement applicables
au futur et lorsqu’elles oublient de faire la part du contingent. Qui pouvait sérieusement miser en 1979 sur les chances d’accès à la Maison Blanche d’un ex-acteur de séries B hollywoodiennes qui allait rendre à l’Amérique sa puissance et sa fierté ? Qui pouvait imaginer que le «jeune » apparatchik (il avait alors quarante-huit ans), qui venait d’entrer au Politburo comme membre suppléant, serait six ans plus tard le maître de l’Union soviétique et engagerait celle-ci dans une formidable restructuration dont personne ne peut encore dire à ce jour jusqu’où elle ira et quelles en seront les retombées planétaires ? Qui pouvait concevoir dans le court terme le retour de l’inflation à un chiffre, l’économie mondiale affrontée au «contre-choc» de l’abondance pétrolière ? Qui pouvait penser que les stratèges de l’économie cogiteraient sur des « scénarios de sortie de crise » ? Et aussi, que le « machin » onusien pût servir au rétablissement de la paix dans la zone la plus turbulente du globe, en favorisant le cessez-le-feu entre l’Iran et l’Irak ?
Il est vrai que les premières années de la décennie ont paru confirmer les prophéties les plus sombres. De l'Asie du Sud-Est, où ses alliés vietnamiens ont établi leur protectorat sur le Cambodge, à la mer des Caraïbes, en passant par le Proche-Orient, l’Éthiopie et le sud du continent africain. l’Union soviétique, surarmée, a continué de marquer des points, installant des bases d’appui et des relais maritimes à proximité de la route du pétrole, cette artère vitale pour les économies occidentales qui joint, via Le Cap, le golfe Persique aux pays de l’Europe de l’Ouest. Rien ne prouve que, en dépit du messianisme révolutionnaire qui continue de nourrir les discours de ses dirigeants, elle ait en vue autre chose que le souci d’assurer sa sécurité. Simplement, elle sort de la logique de la sécurité «relative» qui avait été celle de la détente, chacun des deux partenaires/adversaires acceptant de ne pas rechercher d’avantages unilatéraux, susceptibles de modifier radicalement l'équilibre de la terreur. En déstabilisant des zones vitales pour l’Occident, en faisant peser une menace indirecte sur son ravitaillement énergétique, en rompant à son profit l'équilibre stratégique, elle donne l’impression de rechercher une sécurité « absolue », laquelle passe on le sait par la mort de l’autre.
«
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C'est bien ainsi que le président élu, en novembre 1980, à
la tête de l'exécutif américain, interprète les initiatives du
Kremlin.
Son prédécesseur, Jimmy Carter, avait été envoyé
quatre ans plus tôt à la Maison Blanche pour rendre à
l'Amérique son «âme» et lui faire oublier qu'elle avait quelque
peu transigé avec ses propres principes.
Reagan, lui, est le
produit d'un autre consensus, fondé sur le refus des
humiliations subies aux quatre coins de la planète depuis le
départ de Nixon et la lamentable retraite de Saïgon.
L'ancien
gouverneur de Californie a des idées simples qui plaisent à la
majorité silencieuse.
L'URSS est «l'Empire du mal».
L'Amérique n'en triomphera qu'en appliquant, partout où les
alliés du Kremlin, réels ou supposés, menacent de renforcer
l'hydre totalitaire, la politique du big stick chère à Theodore
Roosevelt.
Et en se réarmant: moralement, économiquement
et militairement.
Tandis que la décision de l'OTAN d'installer en Europe
des missiles de portée intermédiaire déclenche dans nombre de
pays (République fédérale d'Allemagne, Grande-Bretagne,
Italie, etc.) d'importantes manifestations pacifistes (dont
Moscou ne peut que se réjouir), Reagan passe aux actes en
renouant avec la politique du «gros bâton» -soutien de la
contra au Nicaragua, élimination de la dictature marxiste dans
l'île de la Grenade en octobre 1983, raid de représailles contre
la Libye en avril 1986 ...
-, et en engageant son pays dans une
nouvelle course aux armements dont le clou est l'Initiative de
défense stratégique (IDS), dite «Guerre des étoiles» : un
projet qui vise à développer, à long terme, un système de
protection antimissiles extrêmement coûteux et jugé de ce fait
inaccessible aux Soviétiques.
Jusqu'en 1985, la tendance est donc au retour à la guerre
froide et au renforcement des blocs.
Elle est également à la
proliférati�n des conflits : les uns qui opposent classiquement,
par petits Etats et mouvements de libération interposés, les
deux superpuissances et leurs alliés-il en est ainsi en
Indochine, au Nicaragua ou dans la corne de l'Afrique -, les
autres qui échappent de plus en plus aux impulsions du
« centre » et mettent aux prises -comme au Tchad, au Liban, au
Sahara occidental, aux Malouines et, bien sûr, dans le Golfe où s'affrontent
pendant huit ans l'Iran et l'Irak -des acteurs
régionaux affichant une volonté d'autonomie de plus en plus
forte.
Il en résulte un «désordre mondial» qu'accroissent
encore l'action du terrorisme international -devenu dans les
années quatre-vingt un véritable substitut de la guerre -et le
jeu de forces centrifuges qui se réclament du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes (Kurdes, Érythréens, Tamouls, Basques,
Irlandais, etc.).
Reliés à d'autres phénomènes tels que la
persistance et l'aggravation du sous-développement, la
malnutrition, l'endettement considérable du tiers-monde, la
montée des intégrismes religieux et de l'intolérance qui les
accompagne, le chômage incompressible dans les pays
industrialisés, la concurrence sauvage entre pays exportateurs,
cette situation paraît devoir mener inéluctablement à une issue
comparable à celle qu'a engendrée la crise des années trente.
Pourtant, quelque chose va se produire entre 1985 et 1987
qui fait que le monde bascule dans une autre Histoire.
Il est
encore trop tôt pour donner de ce renversement de conjoncture
une explication absolument fiable et qui, de toute manière, ne
saurait être monovalente.
La reprise, encore timide et précaire
certes, mais réelle, des économies du monde industrialisé y a
sans doute fortement contribué, et aussi l'impulsion donnée par
Reagan, dont l'Initiative de défense stratégique, pour en partie
utopique que soit sa réalisation, a peut-être été le point de
départ pour l'Union soviétique d'une réflexion au sommet sur
les possibilités réelles qu'elle avait de relever les défis
technologiques et financiers lancés par Washington.
C'est en
effet sous le court règne de Youri Andropov qu'apparaissent les
premiers signes d'une volonté de détente.
Celle-ci cependant va
sourtout se manifester après l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl
Gorbatchev, en 1985.
C'est la volonté du premier secrétaire du
PCUS, comparable à celle de Khrouchtchev à la fin des années
cinquante, de donner à son pays le temps et les moyens de
dégripper les rouages d'une économie paralysée par les rigidités
du système, la conscience qu'il a des pesanteurs que
représentent pour l'Union soviétique la course aux armements
et les responsabilités d'une action extérieure aux dimensions de
la planète, qui vont en effet inciter la nouvelle équipe
dirigeante d'une part à s'engager dans la voie d'une relative
démocratisation de la vie politique (objectif de la.
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