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Peut-on expliquer et justifier la désaffection dont la poésie est l'objet au détriment du roman et des biographies ?

Publié le 22/02/2012

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Longtemps considéré comme genre phare qui brillait au firmament de la littérature, la poésie n'intéresse plus guère qu'un public restreint. Il suffit, pour s'en assurer, de constater la disproportion entre le nombre de prix littéraires destinés à récompenser des oeuvres romanesques ou poétiques. D'ailleurs, qui pourrait citer un prix poétique alors que les prix Goncourt, Fémina, Renaudot viennent rapidement à l'esprit. Se pose dès lors la question : peut-on expliquer et justifier la désaffection dont la poésie est l'objet au détriment du roman et des biographies ? Pour répondre à cette question, nous verrons qu'il faut prendre en considération aussi bien les problèmes liés à l'évolution que les caractéristiques respectives des genres concernés. Le cours de la poésie et le mouvement même de l'Histoire entrent pour une grande part dans ce désintérêt.

« Il faut aussi reconnaître que la poésie est affligée d'un handicap certain : sa complexité tant générique qu'esthétique. L'évolution de la poésie est telle que nous ne savons plus quand un texte entre dans cette catégorie ou non.

De fait, lespoètes eux-mêmes ne s'accordent pas sur sa définition et sa fonction.

Les uns célèbrent cet art à l'image de la peinture ( Que lapoésie soit comme la peinture, disait déjà Horace), d'autres la louent pour sa musicalité ( c'est le cas de Verlaine qui veut « De lamusique avant toute chose ») tandis qu'une autre catégorie (les surréalistes, en l'occurrence) y voit le moyen d'exprimerl'inconscient par la dictée automatique sans contrôle de la raison.

Se pose dès lors la question de la définition même de la poésieen tant que genre.

Et cela est d'autant plus grave depuis que Baudelaire, avec ses Petits poèmes en prose, a envoyé aux oubliettes la notion de versification en tant que caractéristique traditionnelle de la poésie, confondant délibérément prose etpoésie.

D'autres sont même allés plus loin.

Ainsi Francis Ponge dans Le parti pris des choses compose des poèmes en prose en s'inspirant des menus objets de la vie quotidienne tels que le pain ou le cageot.

Parfois même ce poète emploie des termesappartenant au lexique des sciences expérimentales ! Dans leur volonté d'être les démiurges des temps modernes, certainsaccaparent tout et voient de la poésie partout.

Blaise Cendrars affirme ainsi à ses amis poètes « La publicité est votre domaine.Elle parle votre langue.

Elle réalise votre poétique ».

Considérer la publicité et ses jeux de mots, ses hyperboles et métaphorescomme étant de la poésie a de quoi déconcerter par son aspect spécieux.

C'est oublier que dès lors que tout est poétique, lapoésie en tant que genre n'existe plus.

Désaccord sur la notion même, rejet de la métrique, goût pour les sujets triviaux, voilà dequoi embarrasser plus d'un lecteur bien disposé qui ne sait plus à quel saint se vouer pour savoir s'il lit encore de la poésie.

Etpendant ce temps, le roman et la biographie continuent calmement leur voie dans le sillon chronologique traditionnel.

Leurspersonnages typés ou sortant du lot rassurent le lecteur qui sait au moins à quoi s'attendre. Qui pis est, il faut reconnaître que l'écriture poétique s'est faite précieuse et donc artificielle, s'imposant des contraintes tellesqu'elle devenait inabordable et incompréhensible.

Nous pensons à tous ces procédés qui en alourdissent la lecture.

Lesantépositions de termes pour les besoins de la rime peuvent certes donner lieu à des trouvailles intéressantes, mais constituent laplupart du temps un facteur agaçant.

Ajoutons-y les procédés de rejet et de contre-rejet, les chiasmes, les harmonies censéesêtre imitatives (pour une de réussie, combien en est-il qui semblent lourdes ?), les comparaisons et les hyperboles qui sonnentfaux.

Cette insincérité nuit à la crédibilité des poètes.

Du Bellay a beau s'en être pris à tous ses contemporains qui pétrarquisaientà l'envi en rivalisant d'ingéniosité et de subtilité pour chanter les perfections ô combien rarissimes de maîtresses réelles ouimaginaires, sa leçon n'a guère été entendue.

Boileau prônait le naturel et la vraisemblance, mais en vain.

Il suffit de citer lesRomantiques - Lamartine, Nerval, Hugo ne sont que la masse émergée de l'iceberg - et leur culte du moi, leurs appels délirants àla nature déifiée, leurs cris déchirants clamant leur misère morale ou sentimentale, leur incompréhension, leur malédiction pour serendre compte que l'excès continue d'être l'apanage des poètes toujours en train de prier, de souffrir et de mourir pour mieuxressusciter au prochain recueil… Bref, le lyrisme débridé a mené la poésie à sa tombe.

Quand ce n'est pas le cas, laresponsabilité en incombe à ceux qui, tels Mallarmé ou Valéry, ne reconnaissent de valeur poétique à un texte que s'il estabscons, raffiné, concis et sacré.

Ces prêtres de la poésie et du mystère refusent au profane l'accès du temple.

Pour cela, ilss'efforcent de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » (Mallarmé) et, choisissant des mots rares tels que « mandore,ptyx, Idumée », se coupent du grand public qui ne peut plus aborder leurs œuvres qu'avec un appareil de gloses et d'exégèses.Ne nous étonnons donc plus que la poésie soit de plus en plus délaissée par le grand public. La réflexion que nous avons menée a donc eu le mérite de clarifier les positions.

En effet, la désaffection actuelle de la poésies'explique et se justifie à plus d'un titre.

Tout d'abord, nous devons avouer que ce genre ne correspond plus aux attentes d'unpublic intéressé avant tout par des récits imaginaires ou non qui rendent compte de la complexité foisonnante de la vie avec sesaléas et ses rebondissements.

Par ailleurs, il faut reconnaître que le genre poétique a mal évolué aux yeux d'un lectoratdémocratisé aux yeux duquel il passe pour un art d'élite qui date d'une époque révolue.

A ces inconvénients d'importances'ajoutent des difficultés d'appréhension de la notion même.

De fait, nous avons dû constater que les poètes ne s'accordent paseux-mêmes sur ce qui constitue l'essence de leur art en même temps que leurs pratiques dépassées passent pour artificielles àl'ère du naturel et de la simplicité.

Peut-être ce désamour était-il nécessaire et se révélera-t-il, un jour, salutaire à un art qui attendun poète digne de ce nom pour revenir sur les devants de la scène…. »

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