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Victor HUGO, Choses vues

Publié le 05/06/2011

Extrait du document

hugo

Hier, 22 février 1846, j'allais à la Chambre des Pairs (1). Il faisait très froid, malgré le soleil et midi. Je vis venir rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond, pâle, maigre, hagard; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour des chevilles pour tenir lieu de bas; une blouse courte, souillée de boue derrière le dos, ce qui indiquait qu'il couchait habituellement sur le pavé; la tête nue et hérissée. Il avait sous le bras un pain. Le peuple disait autour de lui qu'il avait volé ce pain et que c'était à cause de cela qu'on l'emmenait. En passant devant la caserne de gendarmerie, un des soldats y entra, et l'homme resta à la porte, gardé par l'autre soldat. Une voiture était arrêtée devant la porte de la caserne. C'était une berline armoriée (2) portant aux lanternes une couronne ducale (3), attelée de deux chevaux gris, deux laquais en guêtres derrière. Les glaces étaient levées, mais on distinguait l'intérieur tapissé de damas (4) bouton d'or. Le regard de l'homme fixé sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir, fraîche, blanche, belle, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures. Cette femme ne voyait pas l'homme terrible qui la regardait. Je demeurai pensif. Cet homme n'était plus pour moi un homme, c'était le spectre (5) de la misère, c'était l'apparition, difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, d'une révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui vient. Autrefois le pauvre coudroyait le riche, ce spectre rencontrait cette gloire; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s'aperçoit que cette femme existe, tandis que cette femme ne s'aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable.

Victor HUGO, Choses vues

(1) « Chambre des pairs « (I. 1) : sous la Restauration, nom d'une des Assemblées. (2) « Berline armoriée « (l. 12) : voiture à chevaux sur laquelle sont peintes les armes d'une famille noble. (3) « Couronne ducale « (I. 12) : les armes des ducs avaient une couronne. (4) « Tapissé de damas « (l. 14) : tapissé d'un riche tissu orné de dessins. (5) « Le spectre « (l. 21) : fantôme.

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« 3.

« inévitable » (l.

28)a) De quels éléments est formé ce mot?Les nommer.b) Proposer deux adjectifs différents comportant le même préfixe.

(1 + 1 point)4.

« Je demeurai pensif » (l.

20) :a) Expliquer le sens de « pensif » en donnant un synonyme.b) Justifier la place de cette phrase dans le déroulement du texte.

(0,5 + 0,5 point)RÉAGIR— Expliquez les mots par une phrase si l'on ne vous demande pas de le faire par un seul synonyme.— Attention à bien comprendre le sens du mot dans la phrase où il apparaît.

Ce n'est pas forcément son sens le pluscourant. RÉPONDRE1.

Hagard : l'homme a l'air bouleversé par ce qui lui arrive.Effaré.Lugubre : l'apparition, qu'imagine Hugo, est inquiétante, comme chargée de sombres présages.Sinistre.2.

a) Autrefois le pauvre côtoyait le riche.

b) Autrefois la coudée était une unité de mesure.3.

a) Inévitable est formé sur le verbe éviter, qui sert de radical.

On lui adjoint le suffixe -able, qui indique lapossibilité, et le préfixe -in-, qui est négatif.

Donc qui ne peut être évité.b) Inépuisable.

Infatigable.4.

a) Songeur.b) La scène à laquelle assiste Hugo, par le contraste qu'elle souligne entre les conditions de l'homme et de la femme,l'amène à méditer.

Le résultat va apparaître dans le paragraphe suivant.

Cette phrase sert de lien entre la narrationet la réflexion.C — COMPRÉHENSION (sur 5 points) Les réponses devront être rédigées.1.

« Il faisait très froid » (l.

1)Montrer l'importance de cette indication en prenant appui sur les deux premiers paragraphes.

(1 point)2.

Etudier l'opposition des portraits de l'homme pauvre et de la femme noble et riche.

Justifier la réponse à l'aided'exemples pris dans le texte.

(2 points)3.

« La catastrophe est inévitable » (l.

27) Comment comprenez-vous cette réflexion de l'auteur? (2 points) RÉAGIR— Une indication en début de texte est souvent importante en ce qu'elle va développer ensuite un certain regard dulecteur sur l'événement raconté.— L'opposition entre les personnages se marque par le vocabulaire utilisé pour les décrire. RÉPONDRE1.

L'indication est importante en ce qu'elle met en relief le dénuement de l'homme qui nous est présenté « pieds nus», « il couchait habituellement sur le pavé », « tête nue ».

Elle souligne la différence des conditions puisque lafemme est bien au chaud à l'intérieur de sa calèche.2.

L'opposition se fonde sur les physiques et les vêtements de l'un et de l'autre.

L'homme est « pâle, maigre, hagard».

La femme est « fraîche, blanche, belle, éblouissante ».

Les vêtements de l'homme ne sont que des haillons («linges sanglants », « souillée de boue ») alors que la femme est correctement vêtue (« chapeau rose », « robe develours noir »).3.

L'indifférence des riches à l'égard des pauvres, et le fait que les pauvres se rendent compte de la différence poureux intolérable des situations ne peut qu'amener des désordres révolutionnaires. D — RÉDACTION (sur 15 points)Traiter, au choix, l'un des deux sujets suivants :1.

Supposez que la duchesse remarque le malheureux.

Imaginez la scène en précisant les sentiments et lesréflexions de cette dame.2.

Etes-vous indifférent aux dures réalités du monde contemporain, ou vous en sentez-vous solidaire ?Argumentez votre réponse en l'illustrant d'exemples tirés de vos lectures, des films ou des spectacles que vous avezvus. RÉAGIR— Deux mondes très différents se croisent.

La femme, de par son éducation, est à la fois charitable etincompréhensive.

Montrez ces deux aspects.— Difficile d'être indifférent, alors que tout est fait pour que nous prenions conscience des réalités.

Mais n'hésitezpas à montrer que parfois nous nous sentons moins concernés. RÉDIGERPremier sujet. »

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