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Vides et pleins dans le monde turcophone

Publié le 24/05/2011

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     Il est frappant de constater à quel point le monde turcophone se présente comme une mosaïque. Le géographe se heurte en effet sans cesse à des hétérogénéités multiples : c’est que chaque Etat d’Asie centrale, pourtant turcophone mais agité de volontés nationalistes, tient à légitimer son territoire et ses frontières. Or la présence de fortes minorités (Kurdes, Lazes, Tcherkesses, etc.) repose sans cesse la question du fondement de l’unité nationale – ceci aboutissant parfois même à la création de territoires autonomes, comme c’est par exemple le cas en Russie (Tchouvatchie, Tatarstan) ou en Chine (Xinjiang). A vrai dire, il semble que tous les facteurs habituels d’homogénéité tendent à créer des ruptures et des différences : le fond linguistique commun se subdivise en dialectes jaloux de leurs spécificités (ouzbek, azéri), l’Islam en courants originaux et composites (soufi, sunnite, chiite), etc. Bref, que ce soit au niveau politique, culturel ou humain, le monde turcophone se présente comme un ensemble juxtaposant vides et pleins, différences et similitudes. Notre réflexion passera donc par l’étude des frontières (qui sont loin de toujours représenter des limites) et des aires (qui ne coïncident pas forcément avec les territoires), mais aussi des acteurs et des flux qui, s’ils sont fortement polarisés, pourraient créer des îlots d’homogénéité. Autrement dit, il convient d’étudier les discontinuités dans la répartition géographique non seulement des populations turcophones, mais aussi des éléments culturels qui font de ces territoires des mosaïques. A cet égard, ne pourrions-nous pas penser que le monde turcophone, fort a priori d’une homogénéité de fond, tend de plus en plus à évoluer vers une hétérogénéité de fait – notamment à cause d’acteurs incapables d’arriver à un compromis sur les éléments qui pourraient constituer une identité commune ? Nous constaterons dans un premier temps que les diverses ethnies au sein des Etats leur confèrent un caractère hétérogène ; cela nous mènera à analyser les causes de l’échec de l’unité culturelle dans cette aire turcophone. Enfin, il conviendra de se pencher sur l’évolution de cette dialectique entre vides et pleins, notamment au regard des flux.   

« densités des Etats indépendants sont très hétérogènes : si la Kirghizie compte 25.87 hab./Km2, l’Ouzbékistancompte 59.11 hab./Km2.

Ainsi, les termes de « pleins » et de « vides » sont très relatifs : nous pourrions rangerdans cette catégories des régions entières de ces Etats turcophones très faiblement habitées.

Tout ceci va nousconduire à analyser le facteur économique, puisque le niveau d’urbanisation influe directement sur les densitésdémographiques. Il convient donc d’évoquer les inégalités de développement entre ces territoires : à l’échelle régionale, des videsdémographiques peuvent en effet être le fruit d’un manque d’infrastructures et de voies de communication.

Ainsi,l’aménagement du territoire prime en ce qui concerne l’homogénéité de la répartition des populations ; or lesdifférences entre Etats d’Asie centrale s’avèrent être importantes.

Remarquons par exemple que l’Azerbaïdjancompte 59.000 km de routes, alors que la Kirghizie 28.000 seulement : le maillage des axes routiers y est ainsibeaucoup plus lâche – or c’est un élément primordial au développement des villes.

Pour témoins, les taux d’urbanitéde l’Azerbaidjan (environ 51%) et de la Kirghizie (35%).

Ces retards de développement s’expliquent parfis par desconditions naturelles peu propices : ainsi le Turkménistan, recouvert à 90% par le désert du Karakoum, possèdeseulement 24.000 km de routes et 2440 de voies ferrées ; 27% de la population est sous le seuil de pauvreté (lesalaire moyen est de 14 $.), et le chômage a atteint 60% en 2004.

De fait, seuls trois axes de communicationroutiers relient la partie Nord à la partie Sud du pays ; la pauvreté ne permet pas de remédier aux rigueur du climat.Quant à la Turquie, nous pouvons constater un gradient Est-Ouest : défini par W.

D.

Hütteroth, il oppose de part etd’autre d’une ligne Zonguldak-Gaziantep un Ouest industrialisé à un Est rural et pauvre.

L’industrie est trèsdéséquilibrée : la moitié Ouest regroupe au moins 85% des actions du secteur secondaire et 90% des entreprises deplus de 25 salariés – et Istanbul pèse près d’un tiers du total.

A l’inverse, le taux de population active agricole estpartout supérieur à 65% à l’Est.

Quatre foyers industriels créés des la période ottomane conservent leurprééminence : Istanbul bien sûr (industrie légère), Izmir et son hinterland (transformation des productionsrégionales), Bursa (travail de la soie et de la laine) et enfin Adana (industrie cotonière).

Ainsi, les facteurséconomique et naturel sont responsables de vides et de pleins démographiques à l’échelle nationale. Penchons nous sur les trois types de minorités linguistiques en Turquie distinguées dans la Géographie universelle(sous la direction de R.

Brunet) : tout d’abord, citons les Arabes et les Kurdes, deux populations à empriseterritoriale étendue.

Les premiers ont une emprise limitée près de la Syrie, significative dans le Hatay seulement (M.Bazin symbolise leur répartition par une frange discontinue, ce qui est en phase avec notre dialectique de vides etde pleins) ; les seconds sont majoritaires dans un bloc homogène de dix départements montagnards du Sud-Est (M.Bazin parle d’une « aire transnationale », en référence aux provinces kurdes d’Iran, d’Irak et de Syrie).

Mais il fautégalement évoquer les groupes de populations moins nombreux, disséminés en milieu rural – musulmans d’originecaucasienne (Lazes, Géorgiens, Abkhazes, Tcherkesses) ou réfugiés des Balkans (Bosniaques et Pomaques).

Citonsenfin les minorités non musulmanes, résidus de diasporas concentrées en milieu urbain (surtout à Istanbul) : ce sontdes Grecs, des Arméniens et des Juifs sépharades, membres des principaux millet.

Ils représentent moins d’1% de lapopulation turque, car des Etats peuvent les accueillir (Grèce, Arménie, Israël) ; cependant, il sont un élément dediversité de plus.

Bref, nous voyons qu’à l’échelle locale, là encore, les Etats turcophones se distinguent par unehétérogénéité certaine : c’est que le cas de la Turquie est loin d’être exceptionnel : pensons par exemple aux1.200.000 Kazakhs présents en Ouzbékistan, ou aux 600.000 Ouzbeks en Kirghizie.

Il en va de même pour les régionsautonomes : le cas du Xinjiang est révélateur.

En effet, les Ouïghours n’en occupent que la moitié Sud, autour dudésert du Taklamakam ; des Kirghizes sont répartis le long de la frontières Sud-Est, et des Kazakhs occupent la plusgrande partie de la moitié Nord de la province.

Bref, à petit échelle, chaque peuple présente une répartition nonuniforme au sein de l’espace turcophone ; cette mosaïque de minorités qui fait pendant à celle des territoires (l’unene coïncidant pas avec l’autre) va ainsi nous conduire à envisager les éléments culturels.

Ceux-ci peuvent-ilsremédier à l’hétérogénéité qui caractérise le monde turcophone ? Il convient d’analyser les facteurs d’unité du monde turcophone : en effet, ne pourrions-nous pas transcender cettehétérogénéité démographique et économique par des aires culturelles homogènes ? Il faudra dans un premier tempsconsidérer les politiques linguistiques des différents territoires.

Nous étudierons également les répercussions desdifférentes conceptions de l’Islam ; enfin, cela nous mènera à analyser les causes des échecs des différentspanturquismes. La cohésion semble très forte sur le plan linguistique : mis à part le cas du tchouvatche et du yakoute,l’intercompréhension d’une langue à l’autre n’est pas négligeable ; L.

Bazin rapporte que lui-même, en 1982, a pus’entretenir directement avec des Ouïghours à Tourfan, en parlant le turc de Turquie expurgé des néologismes.Toutefois l’émergence de « langues nationales turques » nous oblige à un rappel historique pour bien en comprendreles enjeux.

Les territoires des Etats d’Asie centrale sont le fruit d’un découpage bolchévique ; or la chute de l’URSSen 1991 va forcer ceux-ci à se construire une identité qui légitime ses frontières.

D’où la nécessité de déterminerune politique linguistique qui va être fonction de l’homogénéité du territoire ; or ces politiques divergent en fonctiondes Etats.

Citons par exemple le Kazakhstan, qui contient une grande minorité russophone (à la chute de l’URSS,60% de la population parle alors le russe) : cette langue prédomine dans l’administration, mais le kazakh demeurelangue officielle.

Or celle-ci reste très mal maîtrisée : 85% des personnes continuent à parler russe ! Au contraire, le. »

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