A quoi sert le sport?
Publié le 06/09/2018
Extrait du document
A moins qu’il ne soit au contraire de la plus haute importance d’apprendre à se prendre au sérieux ? Qu’il ne faille apprendre à s’élever au sérieux du sportif prêt à tout pour gagner contre ses «adversaires? D’aucuns pourraient répondre par l’affirmative, en clamant qu’il ne faut pas se leurrer, qu’il n’y a en réalité que des rapports de force, que chacun d’entre nous recherche nécessairement, naturellement, «instinctivement», justement à être le meilleur, à dominer les autres par tous les moyens, même si c’est en général culturellement habilement dissimulé. Alors, l’éducation ne serait en fait qu’une vaine entreprise, puisque c’est la nature et sa fameuse loi du plus fort qui gouvernerait à jamais les hommes, quelles que soient les transformations culturelles qu’on s’efforcerait d’y apporter ; et la seule «éducation» possible serait effectivement celle qui enseigne comment exploiter le plus habilement possible cette loi du plus fort, comment se «battre» pour réussir à vaincre les autres, l’ «éducation» qui fait des «battants», des sportifs...
Mais, vraiment, que vaut-il mieux ? Être un joueur ou un «gagneur» ?
«
peut, et celui qui ne voudrait pas gagner du tout ne jouerait pas bien non plus.
Quoique...
il existe certains
jeux où il ne s’agit aucunement de gagner : jouer au «papa et à la maman», au «cadavre exquis»...
Néanmoins, c’est vrai qu’en général gagner apporte un plaisir supplémentaire.
Mais l’essentiel dans un jeu,
n’est-ce pas de «jouer le jeu», c’est -à -dire de quitter le monde réel et ses enjeux sérieux pour se plonger
totalement dans l’univers du jeu tel que le définissent précisément ses règles, et chercher à jouer le mieux
possible en se pliant au mieux à ces règles ? Or, vouloir absolument gagner, n’est-ce pas tout différent ? Ne
peut-on avoir bien joué, même mieux joué que jamais, mais reconnaître que ses «adversaires» ont mieux
joué encore ; et même avoir eu du plaisir à jouer «contre» quelqu’un qui jouait aussi bien ? Le plus dur
quand on joue, ce n’est pas d’avoir perdu, c’est sans doute d’avoir mal joué.
Mais ce n’était qu’un jeu...Et c’est là que l’éducation physique -- non sportive ! -- intervient : elle viserait avant tout à apprendre à
faire faire à son corps ce qu’on attend de lui afin, notamment, de permettre de jouer de mieux en mieux avec
lui, de le plier de plus en plus facilement et habilement aux règles du jeu.
Son but premier ne serait donc
pas d’apprendre à gagner à tout prix, à être le «meilleur», mais à être maître de son corps, capable de le
soumettre à des règles strictes, vaste tâche s’il en est, éducative par excellence en tout cas...
C’est que
l’éducation, c’est bien ça : tenter d’échapper à sa sauvagerie naturelle en s’imposant une discipline obéissant
à règles et lois culturelles.
Et l’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit mine de rien carrément de tenter de devenir
libre : en effet, parvenir à se discipliner, c’est cesser de subir passivement les lois naturelles -- physiques,
biologiques ou psychologiques -- qu’on n’a nullement choisies puisque justement elles sont issues de la
nature, pour se prendre soi-même en main en s’imposant volontairement les règles et limites qu’on aura
choisies en fonction de nos projets et valeurs.
Par exemple, il est clair que, si on n’apprend pas à nager en
se jetant à l’eau et en imposant à notre corps des exercices rigoureux, on sera moins libre que si on sait
nager, totalement soumis à nos limites naturelles.
L’idéal de l’éducation serait donc d’en arriver à former
des individus capables de librement s’imposer à eux -mêmes les règles qu’ils ont choisies parce qu’ils les ont
jugées justes, ou au moins judicieuses, c’est -à -dire des individus libres car «n’obéissant qu’aux lois qu’ils se
sont eux -mêmes prescrites» (Rousseau), et aussi bien l’apprentissage par le jeu, qui consiste justement à se
plier ainsi volontairement à un système de règles juste pour le plaisir, que l’éducation physique qui apprend
à maîtriser son corps, relèvent totalement de cet idéal.
Et ce serait sans doute avant tout cette maîtrise de
son propre corps qui est censée être évaluée scolairement, notamment pour le bac.
Alors, on peut bien sûr
parler de résultat, de performance, et on nage donc bien en plein sérieux, mais pas de concurrence ou de
compétition à l’horizon, puisque le but n’est aucunement d’être «meilleur» que les autres, de gagner contre
eux, «seulement» de s’y prendre bien avec son propre corps; bref, ce serait avant tout une histoire entre soi
et soi -- même si elle a bien sûr des conséquences essentielles sur son rapport aux autres.
A moins que l’«adversaire» ne soit justement le corps lui-même, et que ce ne soit fondamentalement
contre lui, contre soi-même donc, qu’il s’agisse toujours de gagner ? Sans doute est -ce la thèse de bien de
ces sportifs solitaires, ceux qui font du sport sans «adversaire» apparent, qui pratiquent le jogging ou la
musculation par exemple : vaincre leur corps en le poussant à force d’exercices à atteindre des
performances de plus en plus poussées, à repousser de plus en plus loin ses limites naturelles, à courir plus
longtemps, à sauter plus haut, à porter plus lourd, à vieillir moins vite...
L’enjeu serait alors de taille,
carrément philosophique -- ce qui n’est pas peu dire ! -- : il s’agirait fondamentalement de lutter contre sa
finitude humaine, en grande partie due à la présence en nous de ce corps accaparant, limité et infiniment
vulnérable -- à la souffrance, à la maladie, à la mort -- pour tenter de devenir des «surhommes», presque
des dieux, qui, eux au moins, ont la chance immense de ne pas avoir à s’encombrer d’un corps et de toutes
ses servitudes physiques et biologiques.
Bref il s’agirait là encore, grâce à la «culture physique», de se libérer
de plus en plus de notre nature physique..
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