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Acte I - Scène IV (6) - Le Cid de Corneille

Publié le 11/03/2011

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LE MONOLOGUE DE DON DIÈGUE Scène IV DON DIÈGUE O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? Mon bras, qu'avec respect toute l'Espagne admire, Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire, Tant de fois affermi le trône de son roi, Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ? O cruel souvenir de ma gloire passée ! Œuvre de tant de jours en un jour effacée ! Nouvelle dignité fatale à mon bonheur ! Précipice élevé d'où tombe mon honneur ! Faut-il de votre éclat voir triompher le Comte, Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ? Comte, sois de mon prince à présent gouverneur : Ce haut rang n'admet point un homme sans honneur; Et ton jaloux orgueil, par cet affront insigne, Malgré le choix du Roi, m'en a su rendre indigne. Et toi, de mes exploits glorieux instrument, Mais d'un corps tout de glace inutile ornement, Fer, jadis tant à craindre, et qui, dans cette offense, M'as servi de parade et non pas de défense, Va, quitte désormais le dernier des humains, Passe, pour me venger, en de meilleures mains. Et, comme s'il avait entendu cet appel, à l'instant même Rodrigue est devant lui.  

L'ÉPREUVE Scène V DON DIÈGUE, DON RODRIGUE don Diègue. Rodrigue, as-tu du cœur ? don rodrigue. Tout autre que mon père L'éprouverait sur l'heure. don diègue. Agréable colère ! Digne ressentiment à ma douleur bien doux ! Je reconnais mon sang à ce noble courroux ; Ma jeunesse revit en cette ardeur si prompte. Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma Viens me venger. [honte don rodrigue. De quoi ? don diègue. D'un affront si cruel, Qu'à l'honneur de tous deux il porte un coup mortel: D'un soufflet. L'insolent en eût perdu la vie ; Mais mon âge a trompé ma généreuse envie, Et ce fer, que mon bras ne peut plus soutenir, Je le remets au tien pour venger et punir. Va contre un arrogant éprouver ton courage : Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage ; Meurs ou tue. Au surplus, pour ne te point flatter, Je te donne à combattre un homme à redouter : Je l'ai vu, tout couvert de sang et de poussière, Porter partout l'effroi dans une armée entière. J'ai vu par sa valeur cent escadrons rompus ; Et pour t'en dire encor quelque chose de plus, Plus que brave soldat, plus que grand capitaine, C'est... don rodrigue. De grâce, achevez. don diègue. Le père de Chimène. don rodrigue. Le... don diègue. Ne réplique point, je connais ton amour ; Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour. Plus l'offenseur est cher, et plus grande est l'offense. Enfin tu sais l'affront, et tu tiens la vengeance : Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi ; Montre-toi digne fils d'un père tel que moi. Accablé des malheurs où le destin me range. Je vais les déplorer : va, cours, vole, et nous venge.   

Don Diègue appelait son fils Hernan Diaz, lui serrait la main de toutes ses forces, et l'adolescent ne faisait que gémir : « Mon père, mon père, vous me tuez ! Par l'amour de Dieu, lâchez-moi ! « — « Tu vas t'évanouir ! Et tu pleures, femmelette !... Est-ce bien là mon fils Sors d'ici!«    C'est ensuite le tour de Bermudo, et Bermudo, lui aussi, pleure et défaille : « Misérable ! Es-tu donc un homme ? Va-t-en, opprobre de ma race ! «    Rodrigue enfin se présente, le vieillard lui mord un doigt : « Lâchez-moi, mon père ! Jour de Dieu, lâchez-moi ! Si vous n'étiez pas mon père, je vous donnerais un soufflet. «   

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« Le... don diègue. Ne réplique point, je connais ton amour ; Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour.

Plus l'offenseur est cher, etplus grande est l'offense.

Enfin tu sais l'affront, et tu tiens la vengeance : Je ne te dis plus rien.

Venge-moi, venge-toi ; Montre-toi digne fils d'un père tel que moi.

Accablé des malheurs où le destin me range.

Je vais les déplorer :va, cours, vole, et nous venge. Voici comment, fidèle comme presque toujours au texte du Romancero, Guillen de Castro avait présenté cetteépreuve. Don Diègue appelait son fils Hernan Diaz, lui serrait la main de toutes ses forces, et l'adolescent ne faisait que gémir: « Mon père, mon père, vous me tuez ! Par l'amour de Dieu, lâchez-moi ! » — « Tu vas t'évanouir ! Et tu pleures,femmelette !...

Est-ce bien là mon fils Sors d'ici!» C'est ensuite le tour de Bermudo, et Bermudo, lui aussi, pleure et défaille : « Misérable ! Es-tu donc un homme ? Va-t-en, opprobre de ma race ! » Rodrigue enfin se présente, le vieillard lui mord un doigt : « Lâchez-moi, mon père ! Jour de Dieu, lâchez-moi ! Sivous n'étiez pas mon père, je vous donnerais un soufflet.

» « Ce ne serait pas le premier », s'écrie Don Diègue et il lui raconte l'offense, il lui nomme l'offenseur.

En termes dontCorneille s'est souvenu, il se félicite d'avoir trouvé parmi ses fils un homme de cœur : « Comme j'aime ta colère !comme je bénis ta vaillance ! Ce sang bouillonnant qui voudrait déborder de tes veines et qui monte jusque dans tesyeux, c'est bien le sang ancien de Cas-tille..., que je t'ai transmis en héritage...

Ton adversaire est redoutable...Mais voilà l'offense (il montre sa joue), et voici l'épée ; je n'ai plus rien à te dire, je n'ai plus de souffle.

Je vaisdéplorer mon affront, tandis que tu en tireras vengeance.

» Ces expressions étaient fortes, Corneille a su leur donner plus de valeur encore ; et, une fois de plus, il aprofondément modifié la scène dont il s'inspirait. Non seulement, l'épreuve est devenue unique, puisque le Rodrigue français est le seul espoir du vieillard, mais ellen'a plus le même caractère.

Elle n'est plus une épreuve physique, puérile et brutale.

Une question, une réponse, — et tout est dit : le père saitqu'il pourra compter sur son fils. Don Diègue, dans le drame espagnol, prenait la peine d'expliquer à Rodrigue pourquoi il l'avait appelé le dernier,quoiqu'il fût l'aîné.

Ici pas un mot qui ne serve.

Après la brève réponse, une explosion de joie, bien naturelle.

Etensuite, en quelques beaux vers, un éloge enflammé de la vaillance du Comte, que Don Diègue n'a pas peur degrandir, sûr que le renom de l'adversaire ne sera qu'un stimulant de plus pour un adolescent qui aime la gloire. Cet adversaire, il ne l'a pas nommé encore ; le nom, Rodrigue l'attend en frémissant, avec une impatience presquejoyeuse, brûlant d'exercer son courage.

Et c'est alors qu'est porté le coup, plus terrible d'avoir été longtempssuspendu. Don Diègue ne dit pas : « C'est le Comte ».

Il dit : « C'est le père de Chimène ».

Ce n'est pas le moment de ménagerson fils : il faut tout de suite le mettre en face du grand sacrifice. Coup de théâtre saisissant, supérieurement amené : toute la scène monte progressivement vers cette révélation.Rien de pareil chez Guillen de Castro : son Don Diègue ne parlait pas de Chimène, il ignorait sans doute l'amour deson fils ; il était d'ailleurs d'une époque et d'une race plus rudes où, quand l'honneur de la famille était en jeu, les tendresses du cœur ne comptaient pas.

Le Don Dièguefrançais est plus humain, il adore cet enfant qui est sa fierté, il ne risque pas sans émotion sa précieuse vie, ilsouffre surtout à la pensée qu'il va le faire souffrir.

Mais l'honneur commande : la loi est dure, mais c'est la loi. Le grand mot dit, le père n'insiste pas.

Il sait ce que vaut l'héritier du nom.

Il le laisse prendre son parti, mais il saitd'avance quel parti il prendra : Va, cours, vole, et nous venge. Ces monosyllabes ardents sont son dernier cri ; ils précipitent la délibération, ils appellent l'acte.. »

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