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Acte II, scène 8- Giraudoux, Électre

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

ÉGISTHE. — Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple, Électre.

ÉLECTRE. — Il est des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent. Plût au ciel que ce fût le sort d'Argos ! Mais, depuis la mort de mon père, depuis que le bonheur de notre ville est fondé sur l'injustice et le forfait, depuis que chacun, par lâcheté, s'y est fait le com-plice du meurtre et du mensonge, elle peut être prospère, elle peut chanter, danser et vaincre, le ciel peut éclater sur elle, c'est une cave où les yeux sont inutiles. Les enfants qui naissent sucent le sein en aveugles.

ÉGISTHE. — Un scandale ne peut que l'achever.

ÉLECTRE. — C'est possible. Mais je ne veux plus voir ce regard terne et veule dans son oeil.

ÉGISTHE. — Cela va coûter des milliers d'yeux glacés, de prunelles éteintes.

ÉLECTRE. — C'est le prix courant. Ce n'est pas trop cher.

ÉGISTHE. — II me faut cette journée. Donne-la-moi. Ta vérité, si elle l'est, trouvera toujours le moyen d'éclater un jour mieux fait pour elle.

ÉLECTRE. — L'émeute est le jour fait pour elle. ÉGISTHE. — Je t'en supplie. Attends demain.

ÉLECTRE.— Non. C'est aujourd'hui son jour. J'ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu'elles ont tardé une seconde. Je les connais, les jeunes filles qui ont tardé une seconde à dire non à ce qui était laid, non à ce qui était vil, et qui n'ont plus su leur répondre ensuite que par oui et par oui. C'est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n'est qu'un éclair.

Giraudoux, Électre, Le Livre de Poche ©Bernard Grasset, 1937, p. 118-119.

 

« en péril.

Mais Électre place ses propres valeurs absolues au-dessus de la vie ; leur hiérarchie des valeurs estradicalement différente. II.

Une morale absolue Aux yeux d'Électre, la vérité et la justice priment toute autre considération.

La vie n'a pas de valeur en elle-même nipour elle-même, lorsqu'elle est souillée par un crime abject dont on est coupable ou complice.

Aux répliques brèveset concises d'Égisthe répondent des tirades plus longues et fortéloquentes de la jeune fille, pour qui la morale consiste à direnon à toute compromission. Des tirades éloquentes Électre, lorsqu'elle parle, est pareille à une prophétesseinspirée.

Ses discours mettent en place une logiqueimplacable, développée avec force et poésie.

On voit par làque le style des deux interlocuteurs reflète leur philosophierespective. En effet, au style assez plat, direct, qu'emploie Égisthe danscet extrait, Électre oppose une rhétorique très noble, refletde son idéalisme.

L'imparfait du subjonctif, dans la tournure«Plût au ciel que ce fût le sort d'Argos !» place très haut latonalité de son discours, digne de la tragédie et de l'épopéeclassiques.

Dans la phrase qui suit, la répétition de « depuisque » (« depuis que le bonheur », « depuis que chacun ») et« elle peut », confère à l'ensemble un balancement oratoireimpressionnant.

De même, elle s'exprime volontiers en style «gnomique », c'est-à-dire proverbial.

Plusieurs de ses phrasesont une résonance de vérité générale, universelle.

On pourraitles isoler de leur contexte et en faire des maximesphilosophiques ou morales.

C'est le cas, en particulier, de laphrase «C'est là ce qui est si beau...». La force de dire non La morale d'Électre est une morale négative, en ce sensqu'elle consiste à refuser l'impureté et les mensonges.

Ellementionne les « jeunes filles » qui n'ont pas su dire non àtemps et se sont condamnées à la fausseté d'un oui à toutesles compromissions qu'on leur a imposées.

Symbolesclassiques de la pureté, ces vierges se sont «flétries »comme les vérités qu'on n'a pas implacablement défendues.Profondément pessimiste sur le monde et l'humanité, cettemorale considère comme « inutile » de vivre sans un honneurparfait. Cette exigence de pureté confine au monstrueux, lorsque laprincesse affirme qu'elle vaut bien, au « prix courant » la mortde tout un peuple. Ce débat-duel entre les deux personnages illustre un dilemme bien connu, entre l'idéalisme et le pragmatisme, queJean Anouilh traite dans son Antigone.. »

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