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Albert CAMUS « Retour à Tipasa » (L'Été)

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

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[Quelques années après la guerre, lors d'un voyage en Algérie (dont il était originaire), Albert Camus retourne visiter les ruines romaines du village littoral de Tipasa, qu'il avait aimé et célébré quinze ans plus tôt, comme un lieu « habité par les dieux «. Il évoque ici l'impression renouvelée que fait sur lui la solennité du site.] Sous la lumière glorieuse de décembre, comme il arrive une ou deux fois seulement dans des vies qui, après cela, peuvent s'estimer comblées, je retrouvai exactement ce que j'étais venu chercher et qui, malgré le temps et le monde, m'était offert, à moi seul vraiment, dans cette nature déserte. Du forum' jonché d'olives, on découvrait le village en contrebas. Aucun bruit n'en venait : des fumées légères montaient dans l'air limpide. La mer aussi se taisait, comme suffoquée sous la douche ininterrompue d'une lumière étincelante et froide. Venu du Chenoua, un lointain chant de coq célébrait seul la gloire fragile du jour. Du côté des ruines, aussi loin que la vue pouvait porter, on ne voyait que des pierres grêlées et des absinthes, des arbres et des colonnes parfaites dans la transparence de l'air cristallin. Il semblait que la matinée se fût fixée, le soleil arrêté pour un instant incalculable. Dans cette lumière et ce silence, des années de fureur et de nuit fondaient lentement. J'écoutais en moi un bruit presque oublié, comme si mon coeur, arrêté depuis longtemps, se remettait doucement à battre. Et maintenant éveillé, je reconnaissais un à un les bruits imperceptibles dont était fait le silence : la basse continue des oiseaux, les soupirs légers et brefs de la mer au pied des rochers, la vibration des arbres, le chant aveugle des colonnes, les froissements des absinthes, les lézards furtifs. J'entendais cela, j'écoutais aussi les flots heureux qui montaient en moi. Il me semblait que j'étais enfin revenu au port, pour un instant au moins, et que cet instant désormais n'en finirait plus.

  • Albert Camus (1913-1960) passa en Algérie une jeunesse pauvre, consacrée à des études de philosophie et au théâtre, avant de devenir un journaliste et un écrivain parisien célèbre, qui participa à la Résistance, s'engagea politiquement dans le journal Combat, entre autres lors de la guerre d'Algérie. Ses oeuvres les plus célèbres sont La Peste, L'Étranger, L'Homme révolté.

  • Dans L'Été, l'auteur évoque la terre de son enfance. Le passage offert à votre analyse raconte son retour après quinze ans d'absence.

  • A la description d'un paysage superbe s'ajoute l'émotion de retrouver intact, malgré le temps, un bonheur qui s'apparente à un sentiment d'éternité. Ces deux éléments, intimement liés dans le texte, peuvent vous livrer le plan de votre devoir. 

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    « - D'où les axes suivants : La fête des sens.I. Le bonheur retrouvé. II. Développement La fête des sens A.

    La vue 1.

    Un paysage vu de haut - Ce point de vue privilégié permet d'embrasser l'ensemble du cadre, ciel, terre et mer, et participe à l'impression debeauté.

    Les ruines de Tipasa sont en effet situées entre le Chenoua et la Méditerranée : le sol descend par étapesvers les plages.

    L'auteur décrit clairement ces différents plans et arrière-plans : D'un côté, derrière lui ou à sa gauche, la montagne : « Venu du Chenoua, un lointain chant de coq...

    » (l.

    9-10). Devant ou à droite, en trois étages, le forum où apparaissent les ruines, le village puis la mer : « Du forumjonché d'olives, on découvrait le village en contrebas » (l.

    5-6). - Au début, le regard passe alternativement de l'un à l'autre : le forum (l.

    5), le village (l.

    6), le Chenoua (l.

    9), lesruines (l.

    11).

    L'auteur insiste sur la profondeur de champ : « aussi loin que la vue pouvait porter » (l.

    11). 2.

    L'harmonie du site - Ce paysage présente la sobriété des terres sèches où ne vivent que certaines espèces : les oliviers (l.

    6),l'absinthe (l.

    12), le lézard (l.

    22).

    La mention multiple des pierres (celles des ruines et des rochers) renforce cette impression, ainsique l'expression « nature déserte » qui ouvre la description (l.

    5). - Mais cette caractéristique n'exclut pas la variété : Présence des quatre éléments qui composent le monde : terre, eau, air et feu.

    Ces éléments sont à la foisséparés (le sol, la mer, le ciel, les fumées du village) et mêlés : les fumées montent vers le ciel (l.

    7), la lumièreest une « douche » qui tombe sur la terre et la mer (l.

    8), l'air est comparé à une pierre puisqu'il est « cristallin» (l.

    13). Présence d'éléments minéraux (pierres, rochers), végétaux (arbres, absinthes), animaux (coq, lézard), humains(ruines, village, fumée venue sans doute des feux allumés pour se protéger du froid de décembre).

    La nature etles créations humaines se mêlent harmonieusement : les colonnes s'élèvent au milieu des arbres ; les olivesvoisinent avec les ruines. Présence de lignes horizontales (le forum plat, la mer) et verticales (les arbres, les colonnes, la montagne duChenoua) ; succession harmonieuse des plans vers la mer. 3.

    La lumière - Le soleil méditerranéen, qui s'affirme même au coeur de l'hiver, est une constante chez Albert Camus.

    Mais il nes'agit pas du soleil écrasant qui au milieu du jour, sur une plage estivale, enivre le héros de L'Etranger au point de le pousser au meurtre. - La « lumière glorieuse de décembre » (l.

    1) est moins agressive que celle de l'été.

    En outre, la scène se déroule lematin, avant que le soleil à son zénith ne se fasse plus brûlant. - Le moment choisi explique les caractéristiques contradictoires de cette lumière : « glorieuse » (l.

    1), « suffoquée »(l.

    8), « ininterrompue » (l.

    8), « étincelante » (l.

    9), elle est aussi « froide » (l.

    9) et « fragile » (l.

    10) comme lejour qui cherche à s'imposer à l'aube après les fraîcheurs nocturnes.

    Cette contradiction culmine avec lerapprochement des adjectifs « étincelante et froide », qui constitue un oxymore*.

    L'association du chaud et du froidse double d'une association entre le feu et l'eau : l'adjectif « limpide » (l.

    7) appliqué ici à l'air qualifie d'ordinaire unliquide ; la lumière est une « douche » (l.

    8). B.

    L'ouïe 1.

    La qualité du silence. »

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