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Analyse de passage de Le Diable amoureux de Jacques Cazotte

Publié le 11/01/2023

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« Ian Iracheta García Master Cultures Littéraires Européennes M1 Analyse de passage de Le Diable amoureux de Jacques Cazotte Dans cette étude nous présenterons une analyse philologique et sémantique des pages 41-43 du Diable amoureux de Jacques Cazotte (suivant l’édition Champion classiques éditée par Yves Giraud).

En premier lieu, nous commenterons les aspects matériels du texte, prenant en compte l’état de la langue et les changements linguistiques dont un lecteur moderne devrait avoir connaissance pour en comprendre le sens.

Puis, nous discuterons la structure et la typologie du texte.

Enfin, nous nous servirons de notre passage pour analyser le rapport entre la littérature et d’autres arts (précisément la gravure et la musique) présents physiquement dans le manuscrit. Ainsi donc, nous cherchons répondre à la question suivante : comment est-ce que l’utilisation de diverses disciplines artistiques dans notre livre modifient la représentation du diable dans la tradition de la littérature fantastique ? Description matérielle et variations textuelles Le texte de Cazotte existe dans quatre éditions publiées de son vivant et une posthume.

Aucun autographe ne nous est parvenu1. La première édition (désormais A) date de 1772.

Il s’agit d’une édition anonyme, imprimée par le libraire parisien Edme-Jean Le Jay sous une fausse adresse (une pratique courante à l’époque à cause des soucis de censure) 2.

Ce livre est décoré également avec six gravures et une partition musicale que nous discuterons dans la dernière partie de ce travail. La deuxième édition (B) est le produit d’une révision extensive par Cazotte en 1776. Outre de multiples petites corrections, Cazotte réélabora la fin du récit.

À la différence de la première édition, celle-ci est collective et regroupe plusieurs textes sous le titre de Œuvres badines et morales de Mr.

Cazotte.

Comme Giraud le signale, cette édition est la dernière « certainement revue par Cazotte3 ».

Toutes les suivantes (C, D, E) ont été publiées « sans son concours4.

» Néanmoins, elles « ne comportent d’ailleurs aucune variante ayant la moindre portée5.

» Le passage qui nous concerne commence à la page 41 de l’édition Champion Classiques ; cependant, nous confronterons cette version avec A et C pour en établir les différences.

Dans A, le passage commence à la page 78 et dans C à la page 1776. Pour aborder les variations textuelles spécifiques à l’extrait qui nous concerne, nous commencerons par la première correction de Giraud.

À la page 41, Biondetta s’exprime à voix haute : « Hélas ! cela devient impossible.

Quand il me connoîtroit pour ce que je suis, mes foibles charmes ne pourroient l’arrêter ; une autre… ».

Dans A, B, C, et D le texte dit « un autre » et non pas « une autre.

» 1 Giraud, Yves.

« Introduction ».

Dans Cazotte, Jacques.

Le Diable Amoureux.

III. Ibid.

VII. 3 Ibid.

IX. 4 Ibid. 5 Ibid. 6 Ces deux textes sont disponibles dans une version digitalisée sur Gallica.

Voir références pour le lien. 2 1 Ian Iracheta García Master Cultures Littéraires Européennes M1 Giraud corrige le sens pour évoquer la concurrence amoureuse féminine, i.e.

Olympia ; cependant, l’on pourrait penser à un rival non humain mais diabolique/spirituel.

Il faut se souvenir que dans Le Diable amoureux le genre du diable est particulièrement flou. Dans sa première apparition, il prend la forme d’une tête de chameau.

Cette métamorphose peut être expliquée dans des termes sexuels, puisque selon Bottacin le chameau symboliquement « a aussi le sens de pénis.7 » Immédiatement, le diable se transforme en chien et Cazotte met l’accent sur son genre : « je vis que c’étoit une petite femelle.8 » C’est clair que le changement de genre est un élément iconographique du diable dans ce roman. La deuxième variation que notre texte présente témoigne plutôt de l’évolution phonétique de la langue.

Dans A, on lit « Je reconnus l’air d’une Barcaruole9.

» Dans B, ce mot est orthographié « Barcarole10 », ayant perdu le « u », peut-être le résultat d’une assimilation à la phonétique française.

C’est intéressant que l’on continue à y mettre une majuscule tout au long des cinq différents éditions11.

Les règles orthographiques à cette époque-là n’étaient pas si précises comme de nos jours, mais nous imaginons que la majuscule servait à mettre l’accent sur le caractère étranger de l’origine du mot.

Cela aide aussi à mettre l’accent sur le goût italianisant de Cazotte.

D’après le dictionnaire de l'Académie française, dans son édition de 1798, une barcarolle (dans une graphie encore plus française et moins italienne), est une « chanson Italienne, chantée à Venise par le peuple, et surtout par les Gondoliers.12 » La troisième variation que l’on trouve dans le texte a lieu dans le champ du temps verbal. Dans la dernière strophe de la chanson de Biondetta l’on voit ce qui suit (Figure 1 & 2). Figure 1 Édition A, 1772 p.

82 Figure 2 Édition E, 181713 p.

181 Dans ce cas, on voit un changement grammatical, du futur de l’indicatif au conditionnel présent.

Les vers précédents servent à donner un peu de contexte linguistique : 7 Dans Giraud.

« Introduction » IV. Le Diable amoureux 14 (lorsque aucune autre information de l’édition est donnée, nous utilisons l’édition de Giraud). 9 Édition A 80. 10 Édition C 178. 11 Cette décision est abandonnée dans l’édition de Giraud. 12 S.v. 13 Ce changement est déjà présent en B, mais nous n’avons pas trouvé la version digitalisée de cette édition. 8 2 Ian Iracheta García Master Cultures Littéraires Européennes M1 Ne brisez pas votre chaîne, Mouvements d’un cœur jaloux : Vous éveilleriez la haine. Je me contrains : taisez-vous. La phrase précédente est à l’impératif (malgré son caractère négatif), un mode verbal qui sémantiquement demeure dans le présent.

Donc, le verbe éveiller fonctionne au futur, puisque cela reste à l’indicatif.

Le conditionnel « éveilleriez » sert néanmoins à éloigner l’action du champ de l’immédiateté de l’indicatif.

Le résultat est une virtualité augmentée.

Or, il faut considérer que l’utilisation des modes et temps verbaux a changé depuis le XVIII e siècle.

Giraud parle de « un certain nombre de tours syntaxiques (ainsi le conditionnel présent à valeur de passé ; l’imparfait de la principale à valeur de conditionnel) difficiles à comprendre à partir de la langue moderne.14 » Quoi qu’il en soit, la variante implique néanmoins l’intentionnalité chez Cazotte d’éloigner le sens de cette phrase de l’immédiateté à travers l’hypothèse intrinsèque au temps du conditionnel. Structure et typologie Le Diable amoureux n’est pas divisé en chapitres.

Comme les Nouvelles exemplaires de Cervantès (que le sous-titre « nouvelle espagnole » nous rappelle) le texte n’a pas d’interruption et est assez court.

Ce récit fut publié tout seul dans l’édition de 1772, mais toute édition postérieure l’a mis à côté d’autres compositions, suivant un regroupement soit stylistique, (Œuvres badines et morales de Mr Cazotte, 1776) soit thématique (Voyages imaginaires, Songes, Visions et Romans cabalistiques 1789)15. Comme Giraud le signale, dans l’édition de 1776 (B), après le titre Le Diable amoureux l’on peut lire le sous-titre « Troisième partie16.

».

Dans ce tome-là, notre texte est précédé d’un récit appelé Lord impromptu, « qui est divisé en une Première (p.1) et une Seconde (p.143) Parties17.

» Ce traitement enlève de la stabilité au texte.

Les histoires ne sont pas liées, mais la confusion demeure.

S’agit-il d’un roman ? Ou plutôt d’une nouvelle à la façon de Cervantès, c’est-à-dire, une histoire conçue pour être mise dans le cadre d’une œuvre narrative plus grande ? En effet dans la tradition de la littérature diabolique, et à cause de la taille/volume du texte, le public probablement s’attendait au format de Le diable boiteux de Lesage, où plusieurs récits sont regroupés sous un même apparat narratif. La typologie de notre récit pose un autre problème.

À nos yeux modernes, il peut avoir l’air d’être très traditionnel, mais sa texture est très diverse.

Nous avons en main un livre qui combine au moins quatre arts : la prose, la poésie, la gravure et la musique.

La prose ne mérite pas d’explications postérieures, mais nous devons parler brièvement des autres arts. 14 « Introduction » III. Le premier recueil n’a que textes de Cazotte ; par contre, le second est une compilation organisée par des éditeurs avec des récits d’autres auteurs. 16 Dans Le Diable amoureux 7a1 17 Ibid. 15 3 Ian Iracheta García Master Cultures Littéraires Européennes M1 En premier lieu, l’inclusion de petits poèmes ou textes lyriques, comme la chanson de Biondetta à la page 42 change la texture du livre.

Ceci n’est pas une erreur momentanée, puisque lors de la réécriture de la fin en 1776, Cazotte pensa à inclure un autre poème dans Le Diable amoureux, la prophétie des Égyptiennes à la page 72.

Cette texture textuelle, combinant la prose et la poésie, est caractéristique du roman comme forme littéraire, et spécifiquement, nous rappelle l’œuvre de Cervantès.

Don Quijote de la Mancha, par exemple, est remplie de poèmes et de chansons et inclut plusieurs nouvelles qui racontent l’histoire d’autres personnages. Dans Le Diable amoureux, la poésie saute visuellement aux yeux ; néanmoins, il y a aussi une autre texture textuelle, plus cachée, mais dont la popularité dans l’époque moderne est incontournable : le théâtre.

Ainsi donc, quand Biondetta dans notre passage s’exclame : « Biondetta ! Biondetta ! […] Il m’appelle Biondetta, C’est le premier, c’est le seul mot caressant qui soit de sa bouche18.

» il est impossible de ne pas penser à un soliloque dans une pièce de théâtre.

Normalement, les gens ne crient pas leur propre nom quand tous seuls dans une chambre. La représentation du diable : gravure et musique Dans sa première édition, Le Diable amoureux est décoré par six gravures dont une se trouve parmi les pages que nous avons analysées.

D’après Giraud, « le texte de Cazotte semble naturellement appeler une mise en images19.

» Dans l’Avis de l’Éditeur de 1772, on lit à propos de « la nécessité indispensable, que tout le monde connoît, d’orner de gravures tous les ouvrages qu’on a l’honneur d’offrir au public20.

» L’Avis de l’Éditeur de 1776 parle de la gravure dans de pareils termes : « Cet ouvrage parut dans sa nouveauté enrichi de gravures 21.

» Le vocabulaire utilisé, avec des mots comme « orné » et « enrichi » est un peu hyperbolique, et les commentaires ironiques de Cazotte concernant les gravures nous font douter de leur sincérité. Néanmoins, si l’on met de côté ses opinions sur ces images, la planche (Figure 3) que l’on trouve dans notre passage.... »

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