Analyse du poème BARBARA de Prévert (Paroles)
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
mode narratif, doit maintenant être formulée : c'est que, dans tout ce récit, l'émotion précède l'action, mettant lelecteur en parfaite condition pour retentir à ce qui se passe.
L'atmosphère nostalgique est donnée avant le récit («rappelle-toi », « rappelle-toi quand même », « n'oublie pas »); le cri et la plainte sont proférés avant l'évocation del'événement qui les justifie : « Oh Barbara / Quelle connerie la guerre ».
Ainsi, la narration est subordonnée, dudébut à la fin, au caractère lyrique du poème, dont le climat pénètre d'autant mieux l'auditeur que tout est ressentià travers le prisme d'une subjectivité omniprésente, à la première personne du singulier.
L'INVOCATION POÉTIQUE : LE MODE DU SOUVENIR
Invoquer, littéralement, c'est appeler en soi-même.
Dans ce texte, l'évocation de Barbara (sa représentation parl'écriture) commence par une invocation de sa personne, dans le for intérieur du poète.
Que dit-il en effet, quand ildit « Rappelle-toi? » D'où appelle-t-il? Qui appelle-t-il, au juste? Que peut signifier le fait de demander à unepersonne absente de se rappeler une époque dont c'est lui, le narrateur-acteur, qui se souvient ? Quel est l'objet decette apostrophe?
• L'effet du tutoiement
Le tutoiement d'abord, et la pression de l'impératif présent, ont pour effet de faire exister Barbara, de la rendrecomme présente là, en face du poète, et tout près de nous, lecteurs.
Et plus ce tutoiement et cet impératif sontrépétés, plus la présence de Barbara s'intensifie, au point que, dans la dernière partie du poème, le poète s'exclame« oh Barbara » comme s'il ne faisait plus de doute qu'elle fût bien là.Le deuxième effet de ce tutoiement est bien entendu de créer une intimité fictive entre l'héroïne et le narrateur.Intimité renforcée par l'ambiguïté du début du récit, où l'on croit s'attendre à la rencontre de deux personnes que ledestin semble conduire l'une vers l'autre (cf.
les symétries : « Tu souriais / Et moi je souriais de même »; « Toi queje ne connaissais pas / Toi qui ne me connaissais pas »).Cette proximité établie par le tutoiement intime va permettre au souvenir de devenir d'autant plus sensible, d'autantplus complet, qu'il « devient » un souvenir commun.
En réalité, c'est bien entendu son propre souvenir que le poèteinterroge à travers le « souvenir » de Barbara ; mais en lui conférant la tonalité nostalgique et passionnée d'unecommunion dans le souvenir.
Le « Rappelle-toi » répété sous ses différentes formes (n'oublie pas, rappelle-toi cela)équivaut donc à un discours global qui pourrait être celui-ci : « Rappelle-toi ce qui s'est passé; rappelle-toi cetétranger que tu as croisé — c'était moi; rappelle-moi ce dont je me rappelle — confirme-le et complète monsouvenir; te rappelles-tu aussi bien que moi — car il serait dramatique que je fusse seul à me rappeler; permets-moide me rappeler à toi comme je te rappelle à mon souvenir, car j'ai besoin de me rappeler tout cela dans la tonalitéfictive d'une communion désintéressée; sois le miroir de mon souvenir en même temps que tu en es le sujet, et quecet appel conjure ton absence en chargeant d'émotion mon souvenir.
»
• La modalité du souvenir
L'invocation à Barbara ainsi opérée et réitérée tout au long du poème lui donne un climat d'abord mélancolique puisdramatique qui est directement issu de la modalité du souvenir.
Tout souvenir d'une époque heureuse est en effetambivalent, positif et négatif à la fois.
On y revit le charme du passé qu'on regrette et l'on se désole que le présenten soit à jamais dépouillé.
C'est ce qui fait dire au poète du « Pont Mirabeau », à propos de ses amours passées : «Faut-il qu'il m'en souvienne? » Se souvenir, ce n'est pas seulement plonger dans le passé, c'est en même tempsconsidérer que ce passé n'est plus, c'est répéter en soi l'incompréhensible leçon de l'expérience humaine : dire quele passé ne peut pas être dans le présent ! Le « Rappelle-toi » implique le « jamais plus ».Cette douloureuse réalité est ici rendue d'autant plus dramatique que ce n'est pas la simple usure du temps quiaurait affaibli l'amour de Barbara et de son ardent compagnon : c'est la guerre qui l'a tué.
Les deux termesantagonistes de la modalité du souvenir, avant et après, se renforcent et se valorisent mutuellement en raison de labrutalité de l'événement qui les a séparés : la « connerie » de la guerre.
Il pleut toujours (opposition des vers 2-7 etdes vers 46-47), « mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé ».
L'harmonie exceptionnelle du couple formé parBarbara et par son amoureux (« celui qui te serrait dans ses bras / Amoureusement ») fait ressortir l'horreur stupidede la guerre, et le tableau de Brest ravagé par la guerre donne rétroactivement aux amours de Barbara l'auraincomparable du paradis perdu, — et que l'écriture est chargée de retrouver...
• La conjuration du passé
Rendre présent le passé, sans oublier qu'il est passé, est en effet la mission du poète-narrateur-acteur.
Fairerevivre l'incomparable Barbara! Et donc, pour abolir le Temps, fondre dans les mots le « je » qui a été témoin(l'acteur d'avant-guerre) et le « je » qui se souvient (le poète-narrateur d'après-guerre), celui qui aima le visage deBarbara sous la pluie ce jour-là et celui qui marche aujourd'hui sur les ruines de Brest (« il pleut », constate-t-il)hanté par le souvenir.
Cette fusion nous est précisément signifiée dans l'alternance entre le « moi » qui commande «rappelle-toi » et le « moi » qui se trouve mis en scène dans le passé (« je t'ai croisée / je souriais / je ne [te].
»
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