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Analyser le premier chapitre de L'Ile mystérieuse en étant sensible au type de « contrat » que l'auteur passe avec le lecteur

Publié le 08/09/2012

Extrait du document

Œuvre didactique, L'Ile mystérieuse ménage malgré tout une part importante à l'imaginaire. Les données scientifiques sont traduites en termes d'actions qui touchent les personnages. Or, dans le roman d'aventures, l'identification du lecteur au héros de l'histoire est très importante. Comme nous l'avons vu, le roman d'aventures transporte son lectorat loin de son quotidien banal, et cela essentiellement grâce à l'identification au héros. Le lecteur vit une aventure par procuration en quelque sorte. Le roman d'aventures devient alors une sorte de roman d'apprentissage. L'image du héros est donc primordiale car elle constitue un modèle pour le jeune lecteur. Il est tout d'abord important de souligner que les héros de roman d'aventures ne sont pas aventuriers, comme Jules Verne le précise lui-même à propos de son personnage de Michel Ardan : « aventureux, mais pas aventurier «. Ainsi, ce n'est pas le goût de l'aventure qui est mis en avant, mais le courage de l'affronter. Dans L'Ile mystérieuse, les cinq passagers du ballon ne sont pas partis en quête d'aventures, comme l'auteur le révèlera dans le second chapitre, ils se sont évadés de Richmond pour combattre aux côtés de l'armée de Grant. Leur intention est donc patriotique, et leur naufrage sur l'île est accidentel, l'aventure est non désirée. Le personnage de Cyrus Smith est un modèle héroïque au service de la patrie, de même que ses quatre compagnons. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer le quasi effacement des entités individuelles. C'est le groupe, désigné sous l'appellation « les passagers «, puis « les naufragés «, qui est mis en avant. Toutefois, le délestage collectif n'empêche pas le sursaut héroïque de l'un d'entre eux pour consolider l'arrimage de la nacelle. Ainsi, dès le premier chapitre du roman, alors que les personnages n'ont pas encore été présentés, un héros, que l'on identifiera plus tard comme Cyrus Smith, se distingue du groupe. Sa voix couvre celle des autres (« Alors une voix puissante déchira l'air «, « En ce moment, une voix mâle - la voix d'un homme dont le cœur était inaccessible à la crainte - se fit entendre. «). C'est cette voix qui donne les ordres et sauve ainsi l'équipage. A deux autres reprises, le héros se détache des autres passagers, lorsqu'il consolide l'arrimage de la nacelle (« et l'un deux, s'étant hissé sur le cercle auquel se réunissaient les cordes du filet, chercha à lier solidement l'appendice inférieur de l'aérostat. «), et lorsque le ballon s'échoue sur l'île (« La nacelle avait contenu cinq passagers, plus un chien, et le ballon n'en jetait que quatre sur le rivage. «). Mais si le héros se distingue déjà par sa voix et son courage, les autres passagers ne sont pas moins héroïques (« La nuit se passa au milieu d'inquiétudes qui auraient été mortelles pour des âmes moins énergiques «, « A cette voix répondirent des voix non moins énergiques «). Grâce à l'image de ces personnages héroïques et patriotiques, Jules Verne permet l'identification du lecteur et fait de son œuvre un roman de formation.

« « A l'ouverture d'un roman incombe la responsabilité de distribuer les règles du code, du protocole de lecture que la fiction à venir exige ».

Cette rhétorique del'ouverture est-elle respectée par Jules Verne ? Pour répondre à cette question, il faut s'interroger sur les éléments que nous fournissent le premier chapitre de L'Ilemystérieuse : indices de lieux et de temps par exemple.

Pour ce qui est de l'époque, nous l'avons vu plus tôt, Jules Verne ancre son roman en pleine guerre deSécession.

Les indices de lieux sont bien plus vagues, mais bien plus importants car ils révèlent au lecteur la tonalité du roman.

En effet, les indices de lieux sont peunombreux, le lecteur sait seulement que le ballon survole l'océan Pacifique (« Telles sont les paroles qui éclataient en l'air, au-dessus de ce vaste désert d'eau duPacifique »).

Les passagers eux-mêmes ignorent « sur quelle partie du monde l'ouragan les [a] entraînés ».

Cette absence de précision permet de comprendre que leroman de Jules Verne se classe dans la lignée des « robinsonnades ».

La fin du premier chapitre se clôture sur l'arrivée des passagers sur une île inconnue.

Lespersonnages passent alors du statut de passagers à celui de naufragés comme le souligne le narrateur (« A peine les quatre naufragés - on peut leur donner ce nom »).Jules Verne revendique d'ailleurs cette filiation aux romans de Defoe, Robinson Crusoe, et de Johann David Wyss, Le Robinson suisse, dans le chapitre 6 de L'Ilemystérieuse (« Les héros imaginaires de Daniel De Foé ou de Wyss, aussi bien que les Selkirk et les Raynal, naufragés à Juan-Fernandez ou à l'archipel desAuckland, ne furent jamais dans un dénuement aussi absolu », extrait de L'Ile mystérieuse - Première partie, chapitre 6) et dans une lettre adressée à Hetzel, sonéditeur (« Le sujet de Robinson a été traité deux fois.

De Foe a pris l'homme seul, Wyss a pris la famille […].

Moi j'ai à en faire un troisième qui ne soit ni l'un nil'autre »).

L'incipit de L'Ile mystérieuse répond donc aux attentes du public littéraire de la fin du XIXe siècle qui est en quête d'aventures et d'exotisme.

On apprendque l'histoire se déroule sur une île du Pacifique, le lecteur est donc arraché à sa vie quotidienne et peut ainsi s'évader grâce à la lecture.

Le roman d'aventures, qui aconnu son âge d'or en Europe entre 1850 et 1950, au moment de l'établissement des empires coloniaux, est marqué par l'exploration du monde dit « sauvage ».

Cetaspect est en effet traité dans le roman de Jules Verne puisque les cinq héros apprendront à domestiquer l'île pour y survivre grâce à la science et au progrèstechnique.

« Un horizon d'attente propose comme trait définitoire du roman d'aventures de contenir le récit d'un déplacement géographique ».

Jules Verne ne trahitdonc pas cet horizon d'attente puisque, dès le début de son roman, il se propose de conter le voyage en ballon des cinq futurs naufragés.

Déplacement et dépaysementgéographiques constituent donc l'entrée dans le roman, révélateurs de l'atmosphère de l'œuvre. 2.

Le caractère dramatique Le déplacement géographique et l'exotisme sont des éléments fondamentaux du roman d'aventures, mais ce ne sont pas les seuls.

Le caractère dramatique joueégalement un rôle important.

L'accent est mis sur l'action et les péripéties.

« L'ouverture de « L'Ile mystérieuse » fournit un exemple d'entrée en matière in medias resutilisée à des fins dramatiques ».

En effet, le roman s'ouvre sur un dialogue entre des personnages qui ne seront présentés que dans le chapitre suivant.

Le lecteur estimmédiatement plongé dans l'action, il vit la détresse des personnages.

Celle-ci est palpable.

Les personnages ignorent où ils se trouvent, l'épaisse brume empêchetoute visibilité (« Leurs yeux ne pouvaient percer l'épais brouillard qui s'amoncelait sous la nacelle »), le ballon se dégonfle et menace de sombrer dans l'océan.

L'effetde suspense est renforcé par la description précise de la chute de l'aérostat : « A deux heures, l'aérostat était à peine à quatre cents pieds au-dessus des flots […].

Aquatre heures, le ballon n'était plus qu'à cinq cents pieds de la surface des eaux ».

Le mouvement descendant du ballon, l'absence de maîtrise des hommes sur satrajectoire sont ainsi soulignés, tandis que l'expression de l'angoisse et de la violence est représentée par la fréquence des exclamatives.

D'autres ressorts sont utiliséspour renforcer le caractère dramatique de la scène, notamment les dialogues qui permettent à l'action d'avancer, et les rebondissements tels que les remontées puisredescentes successives du ballon et l'accostage brutale sur la côte.

Un vocabulaire dramatique abonde, on peut relever des termes tels que « terrible », « désastre »,« drame », « effroyable », « violences », « dangers », « redoutables », « l'inévitable catastrophe », etc.

Les nombreux syntagmes négatifs soulignent la perte de toutespoir (« Aucun reflet de lumière, aucun bruit des terres habitées, aucun mugissement de l'Océan », « L'espace n'offrait pas un seul point d'atterrissement, pas unesurface solide », « Le gaz fuyait par la déchirure, qu'il était impossible de réparer.

Les passagers avaient fait tout ce qu'ils pouvaient faire.

Aucun moyen humain nepouvait les sauver désormais.

»).

Le caractère dramatique est renforcé par les interventions du narrateur qui semble aussi ignorant et désarmé que les personnages(« Ils étaient donc perdus ! », « Situation terrible que celle de ces infortunés ! », « Peut-être accosterait-il ainsi la côte ! »).

Les exclamatives renforcent l'impression dedésespoir, tandis que les interrogatives rapprochent le narrateur du lecteur.

En effet, la focalisation externe laisse le lecteur dans l'ignorance, le narrateur décrit lasituation, mais il ne connaît pas la suite des événements, ou feint de ne pas la connaître, d'où les interrogations : « D'où venait cet aérostat, véritable jouet del'effroyable tempête ? De quel point du monde s'était-il élancé ? […] On eût donc été fondé de croire que ce ballon venait de très loin, car il n'avait pas dû franchirmoins de deux mille milles par vingt-quatre heures ? ».

Le narrateur ne propose que des hypothèses qu'il semble incapable de vérifier.

Ce procédé ingénieux dunarrateur de faire croire à son ignorance, permet au lecteur d'entrer dans l'action, de mieux ressentir la détresse des personnages.

Il en ressort une sensation d'urgence.Le narrateur tient le lecteur en attente, et entretient ainsi le suspense en faisant croire à la condamnation des cinq passagers, renforçant du même coup l'impact desrebondissements. TROISIEME PARTIE : L'Ile mystérieuse, un roman pédagogique ? Comme nous venons de le voir, Jules Verne est un grand auteur dramatique qui sait divertir son lectorat en l'entraînant dans des aventures exotiques.

Comme leprécise Jean-Yves Tadié dans Le roman d'aventures, « à vivre l'aventure, on en connaît surtout la peur, parfois l'angoisse; le plaisir disparaît vite, ne reparaît qu'à lafin […].

A lire l'aventure, on en connaît surtout le plaisir, et la peur n'est qu'un jeu.

».

Mais si le but du roman d'aventures est avant tout de distraire ses lecteurs, JulesVerne le double d'un enjeu pédagogique, comme nous allons maintenant l'étudier à travers le vocabulaire et l'image du héros. 1.

Le vocabulaire scientifique Ce n'est pas un hasard si Jules Verne publie tout d'abord son roman dans une revue intitulée « Le Magasin d'éducation et de récréation », destinée à la jeunesse.

Sonbut est, comme le titre de la revue l'indique, de divertir (« récréation »), mais également d'instruire (« éducation »).

L'éditeur Hetzel incite d'ailleurs l'auteur à donnerune dimension pédagogique à ses romans, et c'est de cette idée que naîtra la série des « Voyages extraordinaires ».

Cette dimension pédagogique est remarquable dèsle début de L'Ile mystérieuse, comme en témoigne un vocabulaire riche et parfois même scientifique.

On remarque avant tout la diversité des noms et adjectifs utiliséspour décrire une même situation.

Ainsi, alors que l'auteur vient de parler de « désastre » pour décrire les dégâts causés par l'ouragan, dans la phrase suivante, leromancier parle de « catastrophe » et de « drame ».

Ces trois mots appartiennent au même champ lexical, mais ici, Jules Verne évite la répétition et, du même coup,enrichit le vocabulaire de ses lecteurs.

Il en est de même, un peu plus loin, avec « brouillard » et « brume » utilisés dans deux phrases juxtaposées.

A cette diversitélexicale s'ajoute un vocabulaire technique voire scientifique.

Par exemple, « aérostat », mot technique pour désigner le ballon, est répété quatorze fois dans le premierchapitre.

Ainsi ce nom technique, le plus souvent remplacé dans le langage courant par le mot « ballon », entre dans le vocabulaire commun à force d'être répété.Jules Verne ne se contente pas d'utiliser un vocabulaire élaboré, en effet, il accompagne son roman de sorte de leçons.

Ainsi dans le premier chapitre de L'Ilemystérieuse, l'auteur décrit le trajet et les dégâts causés par l'ouragan de 1865.

Il utilise alors des mots et expressions tels que « équinoxes », « trente-cinquièmeparallèle nord », « quarantième parallèle sud », « vésiculaire », « la vitesse de translation des couches atmosphériques ».

Il profite également du voyage en ballon pourglisser quelques notions scientifiques telles que la « sensibilité statique [dont] sont doués les aérostats ».

Jules Verne, passionné de mathématiques, de physique, degéographie et de botanique, fait profiter le lecteur de son savoir rendant ainsi son œuvre à la fois divertissante et didactique.

Cette dimension didactique est d'autantplus importante que, comme nous l'avons vu, la littérature touche maintenant un large public qui n'a pas toujours accès au savoir scientifique.

Ainsi Jules Verne va àl'encontre des préjugés sur le roman populaire, souvent qualifié de « sous-littérature », et prouve que le divertissement n'exclut pas l'éducation. 2.

L'image du héros Œuvre didactique, L'Ile mystérieuse ménage malgré tout une part importante à l'imaginaire.

Les données scientifiques sont traduites en termes d'actions qui touchentles personnages.

Or, dans le roman d'aventures, l'identification du lecteur au héros de l'histoire est très importante.

Comme nous l'avons vu, le roman d'aventurestransporte son lectorat loin de son quotidien banal, et cela essentiellement grâce à l'identification au héros.

Le lecteur vit une aventure par procuration en quelquesorte.

Le roman d'aventures devient alors une sorte de roman d'apprentissage.

L'image du héros est donc primordiale car elle constitue un modèle pour le jeunelecteur.

Il est tout d'abord important de souligner que les héros de roman d'aventures ne sont pas aventuriers, comme Jules Verne le précise lui-même à propos de sonpersonnage de Michel Ardan : « aventureux, mais pas aventurier ».

Ainsi, ce n'est pas le goût de l'aventure qui est mis en avant, mais le courage de l'affronter.

DansL'Ile mystérieuse, les cinq passagers du ballon ne sont pas partis en quête d'aventures, comme l'auteur le révèlera dans le second chapitre, ils se sont évadés deRichmond pour combattre aux côtés de l'armée de Grant.

Leur intention est donc patriotique, et leur naufrage sur l'île est accidentel, l'aventure est non désirée.

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