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ANTOINE FRANÇOIS PREVOST: étude de son oeuvre

Publié le 17/05/2011

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Cet abbé est un libertin : ce philosophe est un esprit religieux ; ce bénédictin écrit des romans ; il en écrit dix ou douze, les uns interminables, les autres inachevés, dans une langue abondante et souvent académique ; mais il publie un jour un bref récit, dépouillé et tragique, dans lequel il résume toutes les énigmes de sa vie. On n'en finirait pas d'énumérer les contradictions de Prévost, car il est né pour rassembler toutes les contradictions de son siècle, sans jamais parvenir à les dénouer. Sa vie est faite de sursauts pour se dégager : dès 1712, âgé de moins de seize ans, il tente d'échapper à sa famille et s'engage dans l'armée, pour se retrouver bientôt chez les Jésuites ; cinq ans plus tard, il les fuit, se jette à corps perdu dans les folies de la Régence, mais se trouve bientôt contraint d'entrer chez les Bénédictins, et d'y prononcer ses voeux ; de cette nouvelle condition, il tente vainement de s'accommoder, huit ans durant, mais soudainement, en 1728, il défroque, s'échappe en Angleterre.

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« de disette, de doute — en 1728, en 1731, en 1740 — il a écrit la meilleure partie de son oeuvre ; alors il s'interroge,se raconte, s'imagine, annonce ses choix les plus décisifs.

Il n'a écrit que sur lui-même, mais supportant tout lepoids du monde.En 1728, il s'est échappé de Saint-Germain-des-Prés.

Il a utilisé une filière protestante pour gagner l'Angleterre, quedécouvraient à la.

même époque, Voltaire, Montesquieu.

Il y rencontre une civilisation nouvelle, et le bonheur.

Il enest chassé, deux ans plus tard, par une affaire de coeur, et c'est alors la première révision déchirante : en 1731,solitaire, déçu de ses illusions, il termine les Mémoires d'un homme de qualité, commencés au couvent ; il écritCleveland, ou du moins toute cette partie anglaise, américaine et utopique du roman, qui est la plus audacieuse detoutes ses oeuvres ; et enfin, l'Histoire du Chevalier des Grieux.Il a utilisé la forme romanesque dans ce qu'elle a de plus traditionnel, récits pseudo-historiques, nouvelles réalisteset tragiques, romans de voyage et d'utopie.

Ses héros, cadets de famille, mousquetaires en demi-solde, chevaliersd'industrie ou beaux ténébreux ne sont pas nouveaux ; les aventures qu'ils ont, n'offrent rien de bien rare mais onsent tout de suite, et dès les premières pages de l'homme de qualité, que là n'est pas l'essentiel.

Le feuilletonromanesque n'est pour Prévost qu'une matière première, un dictionnaire de thèmes.

Il réfléchit sur l'aventure commed'autres romanciers chrétiens, Bernanos, Mauriac, se penchent sur le fait policier.Il écrit des romans faciles, pour le grand public, mais en y inscrivant ce qu'il porte en lui de plus difficile à dire.

Sesromans seront à la fois, comme ceux de Hugo au siècle suivant, de grandes imageries naïves, et des poèmes de lavie intérieure.

Ils sont donc chargés de symboles, et le symbole-clé y paraît toujours en premier, c'est le thème dela malédiction.

Le jeune héros choisit l'amour et la liberté, rompt avec sa famille, est chassé, déshérité, destitué ; ilne sait plus à quel saint se vouer, il défend tour à tour la chrétienté, ou les Turcs, les jansénistes ou les jésuites,erre, s'exile, revient, bâtit des royaumes éphémères, ne lutte en fait que pour son bonheur ; cette cause-là, il ladéfend en désespéré contre les pères, les vieillards, les banquiers, les prêtres, les sauvages.Mais ce choix de l'amour fou ne peut que se retourner contre lui ; il découvre l'incompréhension, le pouvoir del'argent, l'aveuglement de la passion, la jalousie : il affirme encore la suprématie de l'amour face aux malentendus,au rempart de la société, face à l'obstacle de la mort ; il joue, il perd ; l'absurde triomphe, et avec lui, lamalédiction.

L'étoile, « l'ascendant » qui domine cette destinée, c'est le désordre inhérent aux passions, c'est lamarque sociale, et l'imperfection de la vie.

La première trilogie de Prévost y est tout entière soumise.Dans les Mémoires d'un homme de qualité, le romanesque devient symbole ; mais dans Cleveland, l'histoire ne sertplus qu'à porter des mythes personnels.

Le père cruel et transmetteur de malédiction, c'est Cromwell ; le pèreadoptif, tuteur idéal, c'est, au gré de l'évolution de Prévost, un roi banni ou un noble légitimiste, une princesseassassinée, ou une victime du roi Charles II, chaque figure étant lourde de signification.Le voyage de Cleveland est comme une image de la vie : un homme de bonne foi, sorte de bon sauvage, sort de sacaverne, s'élance dans le monde, vierge et réceptif comme la statue de Condillac ; Il découvre la société, le mal, lestyrannies, fait son éducation sentimentale, éprouve les religions et tente de construire la sienne ; il fonde parmi dessauvages naïfs, une société patriarcale, et une religion fondée sur la morale naturelle et l'adoration du grandmystère naturel.Dans une sorte d'élan généreux, Prévost propose sa fol dans le progrès des lumières ; mais l'élan se perd, lacontradiction repars% avec ses terreurs saturniennes : la peste, la barbarie, l'aveuglement des passions, lesmalentendus et la mort ruinent tous les efforts de Cleveland.

C'est sans doute parce que Prévost ne s'est jamaislibéré de son angoisse que son seul chef d'oeuvre est un récit tragique.Tous les problèmes laborieusement passés en revue dans Cleveland sont présents dans l'Histoire de des Grieux, et lechevalier semble parfois revivre, avec plus d'intensité et de réalisme, le drame du philosophe anglais, celui del'aveuglement des passions ; mais ici, tout est imposé dans un conflit insoluble, dans une tragédie en cinq actes,sans explication, avec une sorte d'évidence simple, de nécessité implacable.Peu de mots, peu de justifications : les plaidoyers jansénistes du héros, ou ses emprunts à la casuistique jésuite nesignifient rien d'autre que sa mauvaise foi et la déchéance de sa raison, prête à tous les sophismes de la passion.L'étoile, enfin, est devenue fatalité tragique ; le simple déterminisme du vice ne suffit pas à expliquer ledénouement, non plus que le destin funeste d'un jeune homme maudit par son père ; le héros choisit sa perte poursauver un amour condamné ; il se laisse accabler pour retrouver, dans un malheur injuste, une sorte d'innocence ; ilchoisit le désordre, l'exil et le deuil pour que sa vie ait une unité, et son amour un sens.

C'est donc bien l'amour quiest tragique : parfait en son désir — premier regard, instant de grâce, souvenir ébloui —, mais menacé dans soncours par l'égoïsme, l'aveuglement, le malentendu, la jalousie et la réalité, H trouve dans la mort sa plus sûre alliée.Tel est le chef-d'œuvre de Prévost, oeuvre désespérée, anarchiste, sorte de saison en enfer, mais qui s'achève surla paix du souvenir, et sur les harmoniques d'un pur langage : la vie n'est rien, rien d'autre que la matière d'un beaupoème d'amour et de mort.Dans tous ses romans, Prévost a repris la même question : que vaut la nature de l'homme, et que vaut son amour ?est-il désordre, ou pure générosité sur laquelle se fondera le monde ? En 1731, le pessimisme triomphait ; à partir de1735, l'abbé, rentré en France, entouré d'amis, relié au monde, reprend vie.

Protégé par Conti, aidé par Voltaire,bientôt en trêve avec les Jésuites, il rêve de réconcilier les lumières et les traditions.Dans sa revue périodique Le Pour et Contre, il va, de 1733 à 1740, pressentir l'esprit nouveau, faire connaîtrel'Angleterre ; il prend partie pour la tolérance, pour la dignité de l'écrivain, pour Newton et la science nouvelle ; ilpose le problème colonial, ou celui du féminisme ; il participe à l'élaboration du programme des philosophes.

Il ne lefait qu'avec prudence ; il a hérité de la méthode de Bayle : il aide la vérité à se faire jour lentement, à travers lesréférences, les notes, les exemples ; il élabore une sorte d'encyclopédie de la pensée moderne, comme plus tard ildonnera, avec son Histoire des voyages, l'encyclopédie du monde connu.Cela ne l'empêche pas de ménager la religion : d'abord parce qu'il reste attaché à la morale chrétienne, et aussiparce que son passé pèse sur lui, et qu'il craint les méchantes querelles.

La même tentative de conciliation paraîtdans Le Doyen de Killerine (1735-1740) ; il prend appui sur la casuistique jésuite, sur une psychologie desconsciences toute imprégnée d'humanisme ; à l'imitation de François de Sales, il pense que l'homme est bon, que les. »

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