Apprécier, en partant de textes déterminés et pris dans le Choix de Lettres du XVIIIe siècle de M. Lanson, les différences générales entre la Lettre au XVIIe et au XVIIIe siècle.
Publié le 15/03/2011
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Quand on lit la correspondance d'un grand écrivain, ce sont les traits individuels de son caractère ou de son intelligence qu'on se plaît à rechercher. Dans les lettres de personnages secondaires, on va surtout puiser des renseignements sur l'esprit d'une époque. Quelle évolution les sentiments, les idées, la langue ont-ils subie depuis un siècle, voilà ce qui nous intéresse quand nous lisons la correspondance de Mme de Staël, du président de Brosses, du prince de Ligne ou de Mme Roland.
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Lettres du XVIIe siècle.
Chez Mme de Sévigné elle-même, il est bien superficiel : le printemps, les blés dorés, lesfoins l'enchantent comme un enfant son jouet; elle s'en divertit une heure, elle y voit surtout le prétexte à unspirituel bavardage, elle n'est pas émue.
Au XVIIIe siècle, le spectacle familier de la Seine à Paris excite l'admiration, l'émotion, l'enthousiasme de MmeRoland.
Le sentiment de la nature est à la mode, et on tient à honneur de l'éprouver.
Le prince de Ligne, décrivantles lieux fantastiques où Font conduit les hasards de la guerre ou de la diplomatie, ne conte pas seulement lasplendeur des costumes et des palais asiatiques, il dit encore les merveilles des paysages, les campements en pleindésert, les longues files ondulantes de dromadaires ou de chevaux blancs, la rive argentée de la mer Noire, et lesrochers qui la surplombent, et la profusion des arbres en fleurs, et les torrents du Tezetterdan.
« La nuit seradélicieuse, la mer, fatiguée du mouvement qu'elle s'est donnée (sic) pendant le jour, est si calme qu'elle ressemble àun grand miroir dans lequel je me vois jusqu'au fond de mon cœur.
» Cette façon d'associer la nature à sa rêverie,de se chercher soi-même jusque dans les beautés qui enchantent les yeux, et de contempler son âme dans le fondde la mer, c'est déjà du Lamartine.
Et ce n'est que bien plus tard que les hommes apprendront à contempler lanature en purs artistes, qu'ils la décriront pour elle-même, objectivement; que la description ne sera pas un simplecadre, un prétexte à des effusions sentimentales.
En même temps que le sentiment de la nature, se développe le goût du passé, et cet amour des ruines queChateaubriand mettra à la mode.
Le président de Brosses estime qu'à Rome, « le peu qui reste (des édificesanciens), défiguré comme il l'est, est encore autant au-dessus des modernes pour la simplicité et la grandeur, que larépublique romaine était au-dessus de l'État de l'Église ».
Le prince de Ligne, en face de la mer Noire, évoque lessouvenirs de l'histoire et de la légende; il éprouve un plaisir mélancolique à ramasser des débris de monumentsanciens, à rencontrer des restes d'aqueducs, une colonne « triste reste du temple de Diane »,
VII.
Comme les idées et avec elles, la langue se transforme.
Au commencement du siècle, elle exagère les caractères de l'époque précédente : elle devient sèche et froide.
Desphrases courtes, hachées qui se succèdent comme une série de petits coups de marteau bien frappés, disent toutce qu'il faut dire, sans mots inutiles, sans expressions banales, avec vivacité et avec force, mais sans cette grâce,sans cette nonchalance qui pîaît et qui repose.
Le style, comme les gens, est vif, alerte, spirituel, mordant : il n'apas de douceur, de tendresse et de charme.
Plus tard, la langue et le style gagnent au contraire en couleur et en richesse.
Des mots, des formes nouvellesexpriment les sensations et les idées nouvelles.
Mais le style perd en clarté et en précision.
On trouve, dans leslettres de la fin du siècle, des termes impropres, du vague dans l'expression, de la lourdeur, de l'emphase.
La phraseest longue, souvent enchevêtrée, parfois incorrecte.
Elle n'a pas la belle tenue de la période classique.
La mesure,le souci de la perfection, l'élégante sobriété, ont fait place à un langage plus passionné, plus coloré, plus vivantpeut-être, mais plus négligé.
Le style, plus brillant, est moins solide.
VIII.
Ainsi l'horizon visuel, intellectuel, moral s'élargit au XVIIIe siècle.
Mais si l'esprit embrasse un plus grand nombred'objets, il pénètre moins avant dans chacun.
Les hommes regardent davantage autour d'eux, ils lisent moins attentivement en eux-mêmes.
Ils exprimentbeaucoup plus d'idées et de sentiments : ils les expriment moins bien.
La pensée a gagné en étendue ; la langue, en richesse : la pensée a perdu quelque chose de sa profondeur; lalangue, quelque chose de sa perfection..
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