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Après avoir fait soit un résumé soit une analyse de cette page de Camus, vous vous attacherez à en dégager et à commenter un problème qui vous paraît important.

Publié le 29/03/2014

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camus

 

[Le docteur Rieux, médecin à Oran, vient de s'entendre confirmer que l'épidémie dont sont victimes ses concitoyens n'est autre que la peste.]

Mais le docteur s'impatientait. Il se laissait aller et il ne le fallait pas. Quelques cas ne font pas une épidémie et il suffit de prendre des précautions. Il fallait s'en tenir à ce qu'on savait, la stupeur et la prostration, les yeux rouges, la bouche sale, les maux de tête, les bubons, la soif terrible, le délire, les taches sur le corps, l'écartèlement intérieur, et au bout de tout cela... Au bout de tout cela, une phrase revenait au docteur Rieux, une phrase qui terminait justement dans son manuel l'énumération des symptômes : « Le pouls devient filiforme et la mort survient à l'occasion d'un mou¬vement insignifiant.« Oui, au bout de tout cela, on était pendu à un fil et les trois quarts des gens, c'était le chiffre exact, étaient assez impatients pour faire ce mouvement imperceptible qui les précipitait.

Le docteur regardait toujours par la fenêtre. D'un côté de la vitre, le ciel frais du printemps, et de l'autre côté le mot qui résonnait encore dans la pièce : la peste. Le mot ne contenait pas seulement ce que la science voulait bien y mettre, mais une longue suite d'images extraordinaires qui ne s'accordaient pas avec cette ville jaune et grise, modérément animée à cette heure, bourdonnante plutôt que bruyante, heureuse en somme, s'il est possible qu'on puisse être à la fois heureux et morne. Et une tranquillité si pacifique et si indifférente niait presque sans effort les vieilles images du fléau, Athènes empestée et désertée par les oiseaux, les villes chinoises remplies d'agonisants silencieux, les bagnards de Marseille empilant dans des trous les corps dégoulinants, la construction en Provence du grand mur qui devait arrêter le vent furieux de la peste, Jaffa et ses hideux mendiants, les lits humides et pourris collés à la terre battue de l'hôpital de Constantinople, les malades tirés avec des crochets, le carnaval des médecins masqués pendant la Peste noire, les accouplements des vivants dans les cimetières de Milan, les charrettes de morts dans Londres épouvanté, et les nuits et les jours remplis partout et toujours du cri interminable des hommes. Non, tout cela n'était pas encore assez fort pour tuer la paix de cette journée. De l'autre côté de la vitre, le timbre d'un tramway

 

38 L'HOMME PARMI LES HOMMES

invisible résonnait tout d'un coup et réfutait en une seconde la cruauté et la douleur. Seule la mer, au bout du damier terne des maisons, témoignait de ce qu'il y a d'inquiétant et de jamais reposé dans le monde. Et le docteur Rieux, qui regardait le golfe, pensait à ces bûchers dont parle Lucrèce et que les Athéniens frappés par la maladie élevaient devant la mer. On y portait les morts durant la nuit, mais la place manquait et les vivants se battaient à coups de torches pour y placer ceux qui leur avaient été chers, soutenant des luttes sanglantes plutôt que d'abandonner leurs cadavres. On pouvait imaginer les bûchers rougeoyants devant l'eau tranquille et sombres, les combats de torches dans la nuit crépitante d'étin¬celles et d'épaisses vapeurs empoisonnées montant vers le ciel attentif. On pouvait craindre...

Mais ce vertige ne tenait pas devant la raison. Il est vrai que le mot de « peste « avait été prononcé, il est vrai qu'à la minute même le fléau secouait et jetait à terre une ou deux victimes. Mais quoi, cela pouvait s'arrêter. Ce qu'il fallait faire, c'était reconnaître clairement ce qui devait être reconnu, chasser enfin les ombres inutiles et prendre les mesures qui convenaient. Ensuite, la peste s'arrêterait parce que la peste ne s'imaginait pas ou s'imaginait faussement. Si elle s'arrêtait, et c'était le plus probable, tout irait bien. Dans le cas contraire, on saurait ce qu'elle était et s'il n'y avait pas moyen de s'en arranger d'abord pour la vaincre ensuite.

Le docteur ouvrit la fenêtre et le bruit de la ville s'enfla d'un coup. D'un atelier voisin montait le sifflement bref et répété d'une scie mécanique. Rieux se secoua. Là était la certitude, dans le travail de tous les jours. Le reste tenait à des fils et à des mouve¬ments insignifiants, on ne pouvait s'y arrêter. L'essentiel était de bien faire son métier.

Albert CAMUS, La Peste

(Gallimard).

RÉSUMÉ

Le docteur Rieux tentait de se ressaisir en énumérant les symptômes de la peste, mais la dernière phrase de son manuel lui en rappelait l'issue fatale. Malgré le spectacle tranquille de la ville, les images du fléau s'imposaient à son esprit : Athènes, Marseille, Jaffa, Constantinople, Milan, Londres. Au-delà des maisons, la mer lui rappelait les bûchers d'Athènes empestée.

 

camus

« L'HOMME PARMI LES HOMMES invisible résonnait tout d'un coup et réfutait en une seconde la cruauté et la douleur.

Seule la mer, au bout du damier terne des maisons, témoignait de ce qu'il y a d'inquiétant et de jamais reposé dans le monde.

Et le docteur Rieux, qui regardait le golfe, pensait à ces bûchers dont parle Lucrèce et que les Athéniens frappés par la maladie élevaient devant la mer.

On y portait les morts durant la nuit, mais la place manquait et les vivants se battaient à coups de torches pour y placer ceux qui leur avaient été chers, soutenant des luttes sanglantes plutôt que d'abandonner leurs cadavres.

On pouvait imaginer les bûchers rougeoyants devant l'eau tranquille et sombres, les combats de torches dans la nuit crépitante d'étin­ celles et d'épaisses vapeurs empoisonnées montant vers le ciel attentif On pouvait craindre ...

Mais ce vertige ne tenait pas devant la raison.

Il est vrai que le mot de «peste» avait été prononcé, il est vrai qu'à la minute même le fléau secouait et jetait à terre une ou deux victimes.

Mais quoi, cela pouvait s'arrêter.

Ce qu'il fallait faire, c'était reconnaître clairement ce qui devait être reconnu, chasser enfin les ombres inutiles et prendre les mesures qui convenaient.

Ensuite, la peste s'arrêterait parce que la peste ne s'imaginait pas ou s'imaginait faussement.

Si elle s'arrêtait, et c'était le plus probable, tout irait bien.

Dans le cas contraire, on saurait ce qu'elle était et s'il n'y avait pas moyen de s'en arranger d'abord pour la vaincre ensuite.

Le docteur ouvrit la fenêtre et le bruit de la ville s'enfla d'un coup.

D'un atelier voisin montait le sifflement bref et répété d'une scie mécanique.

Rieux se secoua.

Là était la certitude, dans le travail de tous les jours.

Le reste tenait à des fils et à des mouve­ ments insignifiants, on ne pouvait s'y arrêter.

L'essentiel était de bien faire son métier.

RÉSUMÉ Albert CAMUS, La Peste (Gallimard).

Le docteur Rieux tentait de se ressaisir en énumérant les symptômes de la peste, mais la dernière phrase de son manuel lui en rappelait l'issue fatale.

Malgré le spectacle tranquille de la ville, les images du fléau s'imposaient à son esprit : Athènes, Marseille, Jaffa, Constantinople, Milan, Londres.

Au-delà des maisons, la mer lui rappelait les bûchers d'Athènes empestée.. »

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