ART MALADE ET ART SAIN
Publié le 28/03/2015
Extrait du document
Un jour qu'il était venu, en l'absence de celui-ci, travailler dans le bureau de Schiller (1759-1805), Goethe fut fortement incommodé par une très forte odeur qui s'exhalait d'un tiroir rempli de pommes pourries. La femme de Schiller lui apprit alors que son mari ne pouvait travailler sans cette odeur quasi pestilentielle. En proie à un malaise, Goethe se précipita vers la fenêtre pour respirer l'air pur. On pourrait voir dans cette scène une situation symbolique exprimant bien cette opposition fondamentale entre le sain et le malade qui, aux yeux de Goethe, caractérisait l'antagonisme entre le classicisme et le romantisme.
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Art malade et art sain / 117
Nous verrons ultérieurement ce
qu'il faut entendre quand
Goethe parle des
démons ou des puissances démoniques.
Pour l'instant, restons-en à l'opposition étudiée entre sain et
malade recouvrant l'opposition entre classique et roman
tique.
Elle permet une première approche,
un peu approxi
mative, de deux mouvements littéraires étudiés, mais elle
nous éclaire plus encore sur la personnalité de Goethe lui
même.
.....
Le conflit entre le sain et le malade, entre les forces de
vie et les forces de mort, entre Eros (instinct de vie) et Tha
natos (instinct de mort),
pour parler comme Freud, Goethe
l'a d'abord éprouvé en lui-même.
La crise sentimentale qui
aboutit à
Werther (1774) lui a fait percevoir les forces de
destruction qui étaient
en lui.
Son héros se suicide, comme
le feront un certain nombre de lecteurs, et comme l'avait
fait, au moment de la rédaction,
un confrère de Goethe en
littérature.
Mais lui, l'auteur, a survécu, ayant réussi à ne
pas se laisser emporter
par les puissances démoniques.
Goethe deviendra par la suite, durant son installation à Wei
mar,
un modèle du triomphe de la force de caractère sur les
puissances dissolvantes de la passion.
Le voyage
en Italie
(1786-1788) ne fera qu'accentuer cet engagement
en faveur
de ce qui est
«sain» ou, toujours pour parler comme
Goethe,
«grec».
Pourtant Werther, et toutes les forces qui
s'y rattachent, ne sont jamais morts en lui.
Ces forces refou
lées sont toujours prêtes à affleurer au point que Goethe
répugnera toujours
à relire Werther.
Il ne le relira qu'une
seule fois dans la soixantaine d'années qui suit sa publica
tion.
La façon dont
il expliquait cette réticence à Eckermann
en 1824 montre bien qu'il situait cette œuvre du côté de la
maladie :
« Ce sont de vraies fusées incendiaires -ce livre
m'est pénible et
je crains d'éprouver à nouveau l'état
pathologique où
il a pris naissance.
» Le calme olympien du
sage de Weimar -calme d'ailleurs tout relatif - n'a
jamais été celui d'un volcan éteint.
Goethe comme Flaubert
était
un «romantique dompté».
On peut même se demander
si cette formule ne convient pas
à tous les grands écrivains,
aussi bien classiques que romantiques..
»
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