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BALZAC Honoré de : sa vie et son oeuvre

Publié le 15/11/2018

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balzac

30 janv. (11 pluviôse an V) : mariage à Paris de Bernard-François Balzac, directeur des vivres de la 22e division militaire à Tours, âgé de cinquante et un ans, avec Anne-Charlotte Sallambier, âgée de dix-neuf ans.

 

20 mai (1er prairial an VII) : naissance à Tours d’Honoré Balzac, second enfant du couple. Le premier est mort à l’âge de trente-deux jours. Honoré est mis en nourrice à Saint-Cyr-sur-Loire.

 

29 sept. : naissance de Laure Balzac, qui est mise en nourrice avec son frère.

 

6 janv. : naissance en Ukraine d’Eveline Rzewuska, future Mmc Hanska et qui deviendra « l’étrangère » de la Correspondance.

 

18 avr. : naissance de Laurence Balzac. L’acte de baptême la déclare fille légitime de Bernard-François de Balzac.

 

Début de l’année : premier voyage d’Honoré à Paris, chez ses grands-parents Sallambier. Mort du grand-père Sallambier.

 

B.-F. Balzac est nommé administrateur de l'hospice général de Tours, puis adjoint au maire de Tours.

 

Avr. : Honoré entre comme externe à la pension Le Guay, à Tours, où il restera jusqu’en 1807.

 

Juin : Honoré entre au collège de Vendôme. Il y restera jusqu’en 1813.

 

De 1807 à 1810, B.-F. Balzac publie différentes brochures d’utilité publique : Mémoires sur les moyens de prévenir les vols et assassinats; Mémoire sur le scandaleux désordre causé par les jeunes filles trompées et abandonnées; De la grandeur des nations, etc.

 

21 déc. : naissance d’Henri-François Balzac, sans doute fils adultérin de Jean de Margonne, ami de la famille Balzac.

BALZAC Honoré de (1799-1850). Par son œuvre gigantesque, par son ambition démesurée, Balzac est certainement devenu, avec Molière et Hugo, l’écrivain le plus représentatif de la littérature française dans ce qu’elle a de plus saisissant et de plus universel. Comme Dante en Italie, Cervantès en Espagne, Shakespeare en Angleterre, Goethe en Allemagne et Tolstoï en Russie, son nom s’impose à notre époque pour désigner l’auteur qui, en France, a su imprimer sa marque au réel, a su dire la réalité du monde contemporain en exploitant au mieux toutes les ressources de la langue, et en investissant plus qu’un autre sa propre personnalité dans son œuvre, jusqu’à inaugurer des rapports étonnamment modernes entre la vie et la littérature. Plus que Rousseau, que Proust ou que Céline, il a fait corps avec son œuvre. Mêlant inextricablement vie et roman, mettant sur le même plan les « triomphes de la vie » et ceux de la « littérature », construisant « absolument de la meme manière » (Proust) sa vie et ses romans, Balzac, en 1843, découvre dans ses œuvres les « grands événements » de sa vie.

 

Balzac et le monde

 

L’homme est d’une stature tout aussi impressionnante que ce qu’il écrit. Travailler, s’étonner, vouloir sont les maîtres mots de la vie de Balzac. Devant sa table de travail jusqu’à dix-huit ou vingt heures par jour dans ses périodes les plus actives, respectant scrupuleusement un emploi du temps de moine ou de forçat des lettres, il s’épuise à la tâche. Livre de bord du martyre vécu par l’écriture, la Correspondance de Balzac, et particulièrement les Lettres à Madame Hanska, laisse, derrière les exagérations et les déformations volontaires, un irremplaçable témoignage : « le cerveau halluciné n’obéit à rien; il se couche comme un cheval fourbu qui se laisse tuer plutôt que de se lever »; « la rapidité du travail m’ôte le sens de la composition, je n’y vois plus clair, je ne sais plus ce que je fais ». Tout en plaidant pour l’antiquaire de la Peau de chagrin, qui a su conserver une égalité d’esprit en ménageant son capital énergétique, Balzac ne cesse de dissiper ses forces. Buvant des « torrents de café », il s’acharne sur ses pages, raturant beaucoup, corrigeant inlassablement épreuve sur épreuve, reprenant sans cesse les passages imparfaits, et lutte, sa vie durant, contre une monstrueuse fatigue, rapidement devenue le rythme propre de cette existence hallucinée. Toujours hanté par un irrésistible besoin d’argent, menacé par les créanciers, il doit satisfaire à toutes les exigences d’un « commerçant en livres ». A l’image de Vautrin, échappé du bagne et en danger perpétuel, de Lucien de Rubempré, vaincu par les puissances supérieures qu’il a libérées, de David Séchard lui-même, qui finira par succomber, mais aussi de Raphaël de Valentin

 

et de Louis Lambert, de Balthazar Claës et de Mme de Mortsauf, l’écrivain, défiant la société au nom de son génie, meurt de sa dévorante passion. A la question de jeunesse : « Mes deux seuls et immenses désirs, être célèbre, et être aimé, seront-ils jamais satisfaits? » répond l’amer bilan de la maturité : « La vie aura été pour moi la plus douloureuse des plaisanteries. Mes ambitions tombent une à une. Le pouvoir est peu de chose. La nature avait créé en moi un être d’amour et de tendresse, et le hasard m’a contraint à écrire mes désirs au lieu de les satisfaire » (à Mme Hanska, août 1836).

 

Avant d’être une obligation, puis un destin, la littérature s’affirme comme un véritable métier. Balzac, qui écrit d’abord pour vivre, propose une conception précise du travail littéraire. Malgré des dons évidents, nulle aisance dans l’élaboration de l’œuvre, mais une suite de reprises et de tâtonnements, une méthode. Quand il met en scène de grands artistes au travail, Balzac insiste toujours sur cette lucidité besogneuse inhérente à toute création : « L’art procède du cerveau et non du cœur (...). Sentir trop vivement au moment où il s’agit d’exécuter, c’est l’insurrection des sens contre les facultés! » (Mas-simila Doni).

 

Au travail sur les mots correspondent un intérêt inépuisable pour les hommes et une curiosité toujours en éveil pour leur vie. Balzac incarne par avance l’image du « philosophe », défini par Nietzsche comme un homme qui « ne cesse pas de vivre, de voir, d’entendre, de soupçonner, d’espérer, de rêver des choses extraordinaires ». En témoigne sa disposition, dont certains personnages d’ailleurs héritent, à remarquer ce qu’il nomme fréquemment le « sublime » : le père Goriot est sublime pour Rastignac, comme Eugénie Grandet pour sa mère; et une vieille paysanne, pour le commandant Genestas, représente le « sublime en sabots ». L’émerveillement suprême naît quand l’artiste se met à l’écoute de lui-même alors qu’il perçoit les correspondances entre les choses et qu’il porte, en pensée comme en imagination, les romans virtuels : « Je trouve en moi des textes à développer», dit Louis Lambert. Devant l’homme que fut Balzac, nombreux d’ailleurs furent les contemporains saisis par le magnétisme du personnage, admiratifs et enthousiastes, tels Théophile Gautier ou Baudelaire qui, dans le Salon de 1846, l’apostrophe ainsi : « Honoré de Balzac, vous le plus héroïque, le plus singulier, le plus romantique et le plus poétique parmi tous les personnages que vous avez tirés de votre sein ».

 

S’étonner revient aussi, pour Balzac, à imaginer. Or, l’imagination fait courir à l’écrivain un risque tel que, dès 1822, dans une lettre à Mme de Berny, il s’en déclare la « victime ». Mais Balzac ne confond réel et imaginaire que momentanément, par excès de travail ou faiblesse circonstancielle. Le mot célèbre « Revenons à la réalité, parlons d’Eugénie Grandet » n’est en rien exemplaire d’un homme toujours attentif à la densité et au jaillissement du réel. De fait, deux formes d’imagination se distinguent chez Balzac. L’une échafaude théories trompeuses et entreprises plus ou moins chimériques (fondation d’éphémères revues parisiennes, exploitation d’une mine argentifère en Sicile, culture des ananas à Ville-d’Avray); l’autre, féconde et active, perce les secrets et donne vie à l'œuvre d’art. De cette lutte avec l'imagination, la correspondance et l’œuvre portent témoignage. Avouant à sa sœur Laure qu’il se tient « en garde contre l'intempérance de l’imagination », Balzac fait dire à Louis Lambert : « Personne dans le monde ne sait la terreur que ma fatale imagination me cause à moi-même. Elle m’élève souvent dans les cieux, et tout à coup me laisse tomber à terre d’une hauteur prodigieuse ». Si l’imagination électrise la pensée et la porte à des visions sublimes en forme de crises bouleversantes, la période critique passée, l’individu reste pantelant et désolé. Balzac dénonce « le penchant qui porte les imaginations vierges à s’abandonner aux croyances», l’imagination du poète, qui « est sa plus cruelle ennemie ». Dans la Peau de chagrin, précisément, il est question de « cette excessive mobilité d’imagination, le malheur des poètes », de la « fatale imagination » qui dessine « mille projets sans base » et dicte des « résolutions impossibles ». Reconnaissant l’importance de cette faculté en l’homme, Balzac la tient à distance et l’exorcise en décrivant ses ravages chez certains personnages. Exagérant jusqu’à la tragédie les effets de la force destructrice, il en prend conscience et la maîtrise, s’affirmant ainsi écrivain-lecteur de lui-même.

 

Cette puissance qui surpasse la fatale imagination en corrigeant ses effets, Balzac la nomme volonté. Sans aucun doute, l’écrivain s’est fait une devise de la formule de Louis Lambert, qui ira, lui, jusqu’à mettre « la volonté avant la pensée » : « Tout est possible à celui qui veut tout ». Pour affermir et consolider le vouloir, les conditions de vie de l’écrivain jouent un rôle capital. La pauvreté, par exemple, dans sa nudité, est nécessaire aux grands hommes : c’est dans sa mansarde que Raphaël de Valentin écrit une « théorie de la volonté », que le jeune Honoré a imaginée — et peut-être même composée — au collège de Vendôme; c’est le manque d’argent qui donne du génie à Bianchon; et Émile Blondet s’interroge devant Raphaël : « Ne faut-il pas toujours des luttes, à nous autres? »

 

La volonté, à la fois thème et moteur de l'œuvre, suppose une vision du monde et participe d’une véritable mythologie de l'homme d’après laquelle des forces surhumaines (la passion, la puissance, l’argent) mènent les personnages. Tout roman de Balzac est l’histoire d'une énergie, plus ou moins consciente, plus ou moins grande, qui se concentre puis se libère. Jacques Colin, par exemple, porte en lui la puissance considérable d'un homme révolté et donc démoniaque, qui incarne « le Mal, dont la configuration poétique s’appelle le Diable ».

 

Les personnages les plus attachants de Balzac sont guidés par une volonté ou une passion mortelles : l’abnégation de Mme de Mortsauf, l'avarice de Grandet, la volonté de puissance occulte de Vautrin ou de Ferragus. Mais c’est l’amour qui apparaît véritablement comme la plus dangereuse des passions. Lucien de Rubempré inspire à Clotilde de Granlieu un désir qui la conduit aux pires débordements, à Esther un sentiment si exclusif qu’elle en meurt, à Vautrin enfin, une passion maudite. Dans la Peau de chagrin, Pauline tue Raphaël en refusant de croire, par amour, à la fatalité du talisman.

 

L'œuvre

 

Balzac n’a pas commencé par le roman. C’est le théâtre, genre majeur à l’époque, qui l’attire d’abord et, dans

 

le théâtre, le vers. Toute sa vie, d’ailleurs, il gardera la nostalgie d’un mode d’expression qui s’est refusé à lui. Dans le vers, il voit un outil littéraire des plus importants que tout grand écrivain se doit de maîtriser à l’égal de la prose : « De tous les poètes de ce temps, trois seulement, Hugo, Théophile Gautier, de Vigny ont pu réunir la double gloire de poète et de prosateur que réunirent aussi bien Racine et Voltaire, Molière et Rabelais, une des plus rares distinctions de la littérature française et qui doit signaler un poète entre tous » (Modeste Mignon).

 

L’œuvre romanesque s’échappe parfois vers le théâtre. Les Employés se composent, en grande partie, de longs échanges dramatiques, typographiquement présentés sous forme de dialogues scéniques. Une brève remarque suffit également à transmuer le roman en pure tragédie classique : « Ici se termine en quelque sorte l’introduction de cette histoire. Ce récit est au drame qui le complète ce que sont les prémisses à une proposition, ce qu’est toute exposition à toute tragédie classique ».

 

Balzac prend du théâtre, non la forme, mais la parole, qu’il laisse s’épanouir dans le roman. En choisissant ce dernier, il songe à Rabelais, à Rousseau, à Chateaubriand, au roman noir anglais aussi, et au roman historique de Walter Scott. Mais, tout en dialoguant avec ses devanciers, il renouvelle les lois du genre et invente un roman qui participe de tous les « genres » à la fois : « Quant à moi, je me range sous la bannière de l’éclectisme littéraire pour la raison que voici : je ne crois pas la peinture de la société moderne possible par le procédé sévère de la littérature du XVIIIe siècle... L’introduction de l’élément dramatique, de l’image, du tableau, de la description, du dialogue me paraît indispensable dans la littérature moderne ». Si, aux xvnc et xvme siècles, le roman n’était pas reconnu comme un genre littéraire, avec Balzac il acquiert non seulement ses lettres de noblesse, mais aussi une profondeur nouvelle par l’élaboration d’une théorie critique.

 

La forme de l’œuvre ne s’impose qu’après une patiente recherche : le sujet lui-même la détermine, non l’auteur. « Protée insaisissable », la forme est une donation de la matière qui lui est consubstantielle. « A chaque œuvre sa forme », dit Balzac dans la préface de l’édition originale du Lys dans la vallée.

 

Cette matière, c’est l’histoire. Dans la préface (P Une fille d'Eve, Balzac compare l’histoire (domaine de la vérité et de la rigueur) au roman (où s’affirme la royauté de l’imaginaire et du vraisemblable). Entre roman et histoire règne une rivalité que Balzac ne tranche pas en choisissant l’un ou l’autre : il hausse les deux instances vers une troisième qui les résume et les dépasse. Le romancier peut exprimer l’histoire, à condition d’« être vrai dans tous les détails quand son personnage est fictif » (Lettres sur la littérature, 1840). Mais l’histoire n’offre que des faits. Or, l’auteur de roman ne doit pas entasser des événements, mais peindre les « causes qui engendrent les faits », autrement dit les « mystères du cœur humain ».

 

« Nous avons à saisir la vie, l’âme, la physionomie des choses et des êtres. Les effets! Les effets! mais ils sont les accidents de la vie, et non la vie » (le Chef-d'œuvre inconnu)). Exprimer la vie exige que l’on perçoive les deux versants du monde : l’ombre et la lumière, le superficiel et le profond, l’étrange et le mesurable. De là, l’embarras du critique privilégiant tantôt le Balzac « réaliste », tantôt le Balzac « visionnaire ». La vérité de l’écrivain est certainement à chercher par-delà cette opposition mutilante dans une vision à la fois unique et «bilatérale», selon le mot de d’Arthez dans Illusions perdues, dans une écriture où se mêlent inextricablement le réel et l’imaginaire : « Certaines intelligences bifrons embrassent tout, veulent et le lyrisme et l’action, le drame et l’ode, en croyant que la perfection exige une vue totale des choses. Cette école (...) demande une représentation du monde comme il est : les images et les idées, l’idée dans l’image ou l’image dans l’idée, le mouvement et la rêverie ».

 

Si l’histoire apprend à Balzac l’importance de l’« observation » et le roman celle de l’« imagination », l’œuvre nouvelle ne deviendra elle-même que par la « construction ». Sans être assujetti à un réel contraignant, sans succomber aux charmes du romantisme fantastique, l’art affirme d’abord son autonomie par le travail du romancier, qui reconnaît et accepte ses exigences. Ainsi Balzac dénonce, dans certaines critiques de romans contemporains, les erreurs de l’auteur qui copie le réel sans permettre à l’œuvre de s’élaborer dans un univers proprement artistique : « C’est une des plus grandes fautes qui se puissent commettre que d’introduire au début d’un livre un personnage qui ne sert à rien et qu’on ne verra plus (...). Ces incohérences, ces invraisemblances d’action que la nature se permet souvent sont funestes à la vie d’un livre (...). Le vrai de la nature ne peut pas être, ne sera jamais le vrai dans l’art » (1840).

 

Le retour des personnages

 

La technique du retour des personnages, que Balzac découvre vers 1833, permet de regrouper les œuvres dans un vaste ensemble qui représente, non un reflet mais une analogie de la société française contemporaine, elle-même représentative de toute société et, plus généralement, de la condition humaine [voir Cycle romanesque]. Rastignac, par exemple, dont Balzac dresse la biographie fictive dans la préface d’une fille d'Eve, joue un rôle primordial dans la Peau de chagrin. Il sera, différemment, l’un des héros du Père Goriot, un des personnages secondaires de la Maison Nucingen et une figure parmi d’autres de Splendeurs et misères des courtisanes. Ne s’inquiétant guère de la minutie et de l’exactitude dans les réapparitions successives du personnage, Balzac ne procède pas à des réajustements chronologiques ou psychologiques qui feraient de Rastignac un prototype scrupuleusement fini, errant d’une œuvre à l’autre. Les personnages, silhouettes connues, mais riches en métamorphoses, cimentent l’édifice entier en réapparaissant et créent un monde où le lecteur pourra retrouver un écho de la résonance et de l’épaisseur du monde réel. « Il n’y a rien qui soit d’un seul bloc dans ce monde, tout y est mosaïque. Vous ne pouvez raconter chronologiquement que l'histoire du temps passé, système inapplicable à un présent qui marche » (préface d’Une fille d'Ève).

 

Grâce au retour des personnages, le monde de Balzac gagne en densité et en crédibilité, comme si un roman recevait la lumière qui l’éclairait d’un autre roman avant de la recevoir du monde réel. Les personnages ne se contentent pas d’assurer la liaison d’une œuvre à l’autre, ils fondent la cohérence et l’autonomie de l’univers romanesque, qui, toujours le même, est présenté au lecteur selon un point de vue, un angle d’attaque, une perspective chaque fois différents. Oubliant la « dimension » purement « verbale » de la littérature (Valéry), le lecteur circule dans le monde de la Comédie humaine avec l’impression que, derrière ce qu’on lui montre, la vie est là, dans toute sa profondeur, l’ensemble prenant la dimension d’un univers gigantesque et complet dont seule apparaît une petite partie. [Voir aussi Roman historique].

 

Les romans de jeunesse

 

Outre la Comédie humaine, Balzac a écrit des romans de jeunesse et des œuvres diverses.

 

Après avoir rédigé des « notes philosophiques », inspirées par le rationalisme athée de son père, après quelques tentatives théâtrales rapidement découragées par

 

l’entourage familial et des amis avertis, le jeune Balzac s’essaye au roman. Ces coups d’essai, qui appartiennent à l’archéologie balzacienne, témoignent d’une création qui cherche sa modernité dans le dialogue avec le passé et d’une promesse de l’œuvre à venir.

 

Les premiers récits tentent de faire parler conjointement littérature et philosophie. Sténie ou les Erreurs philosophiques, roman par lettres inachevé, embarrasse de digressions philosophiques sur Dieu, le rêve et la pensée, l’histoire d’amour malheureuse de Jacob del Ryès et Sténie de Formosand, son amie d’enfance. Teinté de mysticisme, le premier Falthurne conte l’histoire d’une magnifique géante dont le nom signifie « tyrannie de la lumière », qui deviendra, dans la seconde version, une mystérieuse jeune fille s’élevant vers Dieu « assise sur un nuage de belles actions ». Au centre des premières tentatives rayonne l’idée centrale de la volonté, née d’une force de caractère hors du commun ou d’un pouvoir magique tiré de quelque science occulte.

 

Les thèmes se mettent ainsi en place. Le Vicaire des Ardennes, histoire d’un amour incestueux, ouvrage qu’il publia sous le pseudonyme d’HoRACE de Saint-Aubin et qui fut saisi par la censure, s’inspire du Melmoth de Maturin traduit en 1821. Balzac y développe le thème d’une longévité acquise au prix d’un pacte avec le diable. Et tout en écrivant, en collaboration avec Le Poitevin de L’Egreville, quelques romans alimentaires bâclés, comme /’Héritière de Birague (« véritable cochonnerie littéraire », selon Balzac lui-même), Jean-Louis ou la Fille trouvée, Clotilde de Lusignan ou le Beau Juif, Balzac fait montre d’un art du récit emprunté tout à la fois à Rabelais, aux conteurs du xviiie siècle, à Sterne et à Cervantès.

 

La Dernière Fée représente certainement l’apport le plus important de Balzac à la nouvelle littérature. Cette œuvre affirme, derrière l’impossibilité de la féerie où tout s’achève heureusement, la nécessité d’un type de représentation beaucoup plus problématique du réel, interrogeant la littérature et le monde. Le conte de fées fini, commence le roman.

 

Aux romans de jeunesse appartiennent Falthurne (1820), Sténie ou les Erreurs philosophiques (1820), L'Héritière de Birague (1822), Jean-Louis ou la Fille trouvée (1822), Clotilde de Lusignan ou le Beau Juif (1822), le Centenaire ou les Deux Béringheld (1822), le Vicaire des Ardennes (1822), la Dernière Fée ou la Dernière Lampe merveilleuse (1823), Annette et le criminel (1824), suite du Vicaire des Ardennes, Wann-Chlore (1825).

 

Les œuvres diverses

 

Les œuvres diverses comptent des pièces de théâtre qui n’ont jamais eu le succès escompté par Balzac, mais la dernière, le Faiseur (Mercadet), fut encore montée en 1976 dans une mise en scène très vivante de Jean Le Poulain au théâtre de l’Atelier, à Paris : étonnamment moderne, la pièce met en scène un spéculateur professionnel qui, avec un cynisme clairvoyant et sympathique, se tire au mieux de situations fort précaires.

 

De nombreux articles de revues, croquis de mœurs, critiques littéraires, articles politiques, témoignent d’un intérêt très vif porté à la société de l’époque, embrassée par Balzac dans tous ses aspects.

 

Ses pensées, ébauches d’œuvres futures, réflexions nées de lectures ou d’entretiens, aperçus parfois géniaux sur la littérature, la morale et la philosophie, sont recueillies sous le titre de Pensées, Sujets, Fragments.

 

Enfin, pochade tant par les sujets — volontiers joyeux et paillards — que par la langue, imitée de Rabelais, les Cent Contes drolatiques, « colligez ès Abbaïes de Touraine et mis en lumière par le sieur de Balzac pour l’esbattement des Pantagruélistes et non autres », représentent, par-delà le délassement léger (trois dizains seulement furent composés), une œuvre de salubrité. En opposition à la politesse guindée de l’Angleterre, aux brouillards du romantisme allemand, Balzac veut restau

 

rer un certain fonds gaulois, dont il a su tirer une vérité dans l’observation et une habileté dans l’art de conter que seul Barbey d’Aurevilly saluera, tandis que la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris jugeront ces contes « obscènes ».

balzac

« d'un homme toujours attentif à la densité et au jaillisse­ ment du réel.

De fait, deux formes d'imagination se dis­ tinguent chez Balzac.

L'une échafaude théories trompeu­ ses et entreprises plus ou moins chimériques (fondation d'ép hémères revues parisiennes, exploitation d'une mine argentifère en Sicile, culture des ananas à Ville­ d' Avray); l'autre, féconde et active, perce les secrets et donne vie à l'œuvre d'art.

De cette lutte avec l'imagina­ tion, la correspondance et 1' œuvre portent témoignage.

Avouant à sa sœur Laure qu'il se tient « en garde contre l'intempérance de l'imaginat ion», Balzac fait dire à Louis Lambert : «P ersonne dans le monde ne sait la terreur que ma fatale imagination me cause à moi-même.

Elle m'élève souvent dans les cieux, et tout à coup me laisse tomber à terre d'une hauteur prodigieuse ».

Si l'imagination électrise la pensée et la porte à des visions sublimes en forme de crises bouleversantes, la période critique passée, l'individu reste pantelant et désolé.

Bal­ zac dénonce « le penchant qui porte les imaginations vierges à s'abandonner aux croyanc es», l'imagination du poète, qui «est sa plus cruelle ennem ie».

Dans la Peau de chagrin, précisément, il est question de «cette excessive mobilité d'imagination, le malheur des poè­ tes », de la «fatale imagination >> qui dessine « mille projets sans base» et dicte des « résolutions impossi­ bles ».

Reco nnaissant l'importance de cette faculté en l' homme, Balzac la tient à distance et l'exorcise en décri­ vant ses ravages chez certains personnages.

Exagérant jusqu'à la tragédie les effets de la force destructrice, il en prend conscience et la maîtrise, s'affirmant ainsi écrivain-lecteur de lui-même.

Cette puissance qui surpasse la fatale imagination en corrigeant ses effets, Balzac la nomme volonté.

Sans aucun doute, 1 'écrivain s'est fait une devise de la formule de Louis Lambert, qui ira, lui, jusqu'à mettre« la volonté avant la pensée >> : «T out est possible à celui qui veut tout ».

Pour affermir et consolider le vouloir, les condi­ tions de vie de l'écrivain jouent un rôle capital.

La pau­ vreté, par exemple, dans sa nudité, est nécessaire aux grands hommes : c'est dans sa mansarde que Raphaël de Valentin écrit une «théorie de la volonté "• que le jeune Honoré a imaginée -et peut-être même composée - au collège de Vendôme; c'est le manque d'argent qui donne du génie à Bianchon; et Émile Blondet s'interroge devant Raphaël : « Ne faut-il pas toujours des luttes, à nous autres? >• La volonté, à la fois thème ct moteur de l'œuvre, suppose une vision du monde et participe d'une véritable mythologie de l'homme d'après laquelle des forces sur­ humaines (la passion, la puissance, l'argent) mènent les personnages.

Tout roman de Balzac est l'his toire d'une énergie, plus •)u moins consciente, plus ou moins grande, qui se concentre puis se libère.

Jacques Colin, par exem­ ple, porte en lui la puissance considérable d'un homme révolté et donc démoniaque, qui incarne « le Mal, dont la configuration poétique s'appelle le Diable >>.

Les personnages les plus attachants de Balzac sont guidés par une volonté ou une passion mortelles : l' abné­ gation de M'"• de Mortsau f, 1' a varice de Grandet, la volonté de puissance occulte de Vautrin ou de Ferragus.

Mais c'est l'amour qui apparaît véritablement comme la plus dangereuse des passions.

Lucien de Rubempré ins­ pire à Clotilde de Granlieu un désir qui la conduit aux pires débordements, à Esther un sentiment si exclusif qu'elle en meurt, à Vautrin enfin, une passion maudite.

Dans la Peau de chagrin, Pauline tue Raphaël en refu­ sant de croire, par amour, à la fatalité du talisman.

L'œuvre Balzac n'a pas commencé par le roman.

C'est le théâ­ tre, genre majeur à l'époque, qui l'attire d'abord et, dans le théâtre, le vers.

Toute sa vie, d'ailleurs, il gardera la nostalgie d'un mode d'expression qui s'est refusé à lui.

Dans le vers, il voit un outil littéraire des plus importants que tout grand écrivain se doit de maîtriser à régal de la prose : « De tous les poètes de ce temps, trois seulement, Hugo, Théophile Gautier, de Vigny ont pu réunir la dou­ ble gloire de poète et de prosateur que réunirent aussi bien Racine et Voltaire, Molière et Rabelais, une des plus rares distinctions de la littérature française et qui doit signaler un poète entre tous» (Modeste Mignon).

L'œuvre romanesque s'échappe parfois vers le théâ­ tre.

Les Employés se composent, en grande partie, de longs échanges dramatiques, typographiquement présen­ tés sous forme de dialogues scéniques.

Une brève remar­ que suffit également à transmuer le roman en pure tragé­ die classique : « Ici se termine en quelque sorte l'i ntroduction de cette histoire.

Ce récit est au drame qui le complète ce que sont les prémisses à une proposition, ce qu'est toute exposition à toute tragédie classique ».

Balzac prend du théâtre, non la forme, mais la parole, qu'il laisse s'épanouir dans le roman.

En choisissant ce dernier, il songe à Rabelais, à Rousseau, à Chateau­ briand, au roman noir anglais aussi, et au roman histori­ que de Walter Scott.

Mais, tout en dialoguant avec ses devanciers, il renouvelle les lois du genre et invente un roman qui participe de tous les « genres» à la fois : «Q uant à moi, je me range sous la bannière de l'éclec­ tisme littéraire pour la raison que voici :je ne crois pas la peinture de la société moderne possible par le procédé sévère de la littérature du xvw• siècle ...

L'introduction de 1 'élément dramatique, de 1' image, du tableau, de la descri ption, du dialogue me paraît indispensable dans la littérature moderne>>.

Si, aux xvn• et xvme siècles, le roman n'était pas reconnu comme un genre littéraire, avec Balzac il acquiert non seulement ses lettres de noblesse, mais aussi une profondeur nouvelle par l'éla­ boration d'une théorie critique.

La forme de l'œuvre ne s'imp ose qu'après une patiente recherche : le sujet lui-même la détermine, non l'auteur.

«Protée insaisissable », la forme est une dona­ tion de la matière qui lui est consubstantielle.

« A chaque œuvre sa forme », dit Balzac dans la préface de l'édition originale du Lys dans la vallée.

Cette matière, c'est l'histoire.

Dans la préface d'Une fille d'Ève, Balzac compare l'histoire (domaine de la vérité et de la rigueur) au roman (oi:l s'affirme la royauté de l'imaginaire et du vraisemblable).

Entre roman et histoire règne une rivalité que Balzac ne tranche pas en choisissant l'un ou l'autre : il hausse les deux instances vers une troisième qui les résume et les dépasse.

Le romancier peut exprimer l'histoire, à condition d'« être vrai dans tous les détails quand son personnage est fic­ tif» (Lettres sur la littérature, 1840).

Mais l'histoire n'of fre que des faits.

Or, l'auteur de roman ne doit pas entasser des événements, mais peindre les « causes qui engendrent les faits >>, autrement dit les « mystères du cœur humain ».

«N ous avons à saisir la vie, l'âme, la physionomie des choses et des êtres.

Les effets 1 Les effets! mais ils sont les accidents de la vie, et non la vie » (le Chef ­ d'œuvre inconnu)).

Exprimer la vie exige qu·e l'on per­ çoive les deux versants du monde : l'ombre et la lumière, le superficiel et le profond, l'étrange et le mesurable.

De là, l'embarras du critique privilégiant tantôt le Balzac « réaliste », tantôt le Balzac « visionnaire >>.

La vérité de l'écrivain est certainement à chercher par-delà cette opposition mutilante dans une vision à la fois unique et «b ilatérale >), selon le mot de d'Arthez dans lllusions perdues, dans une écriture où se mêlent inextricablement le réel et l'i maginaire :. »

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