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Beckett et la religion

Publié le 20/12/2012

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beckett

métaphysique? Les personnages sont-ils à la recherche d'un Dieu ou tentent-ils de cerner leur moi ou

n'aspirent-ils pas seulement au Néant, au rien? Le lecteur ne peut conclure. La seule chose possible à

affirmer est que Beckett ne propose pas une théorie du nihilisme. Si Godot n'est qu'un mythe destructeur,

nous aurions tort d'en déduire un parti pris d'athéisme. Dieu est posé comme un effet de langue, affirmé

pour être nié. Il est évident que la foi naïve et les formes régressives de la religion ont exaspéré la

conscience lucide et rigoureuse de Beckett et c'est ce qui semble le pousser vers la satire et la parodie

de la religion. Mais sa rage et celle de ses personnages laisse deviner un esprit pour qui rien n'est résolu.

Un athée ne pleure pas, ne ricane pas, ne hait pas contrairement aux protagonistes des deux pièces.

L'athée est installé dans un univers de faits positifs qu'il organise au mieux et qui fait partie de la nature.

Chez Beckett, l'homme ne fait pas partie de la nature: étranger au monde, dénaturé, il a une vue

essentiellement religieuse car s'il est dénaturé, l'homme peut se distinguer de la nature et donc être élevé

au-dessus d'elle. L'homme ne peut se sauver par ses propres ressources, il est donc condamné car son

mal le dépasse infiniment. Cette vision suppose l'existence de l'infini quelque part mais il est inatteignable

par les personnages. L'attitude des protagonistes

n'est pas nihiliste mais désespérée et c'est à ce moment qu'il est possible de déduire l'expérience du

tragique car les contenus des références religieuses qui sont amoindris par le burlesque ne servent

moins à des fins critiques qu'à déjouer leur statut exemplaire.

beckett

« GARCON – Je garde les chèvres, monsieur. VLADIMIR -Il est gentil avec toi? GARCON -Oui Monsieur. VLADIMIR -Il ne te bat pas? GARCON -Non Monsieur, pas moi. VLADIMIR -Qui est-ce qu'il bat? GARCON -Il bat mon frère, monsieur. […] VLADIMIR -Qu'est-ce qu'il fait? GARCON -Il garde les brebis, monsieur. VLADIMIR -Et pourquoi il ne te bat pas, toi? GARCON -Je ne sais pas, monsieur.[4] Pourquoi Dieu traite-t-il bien son gardeur de chèvres, pourquoi bat-il son gardeur de brebis? Mystère! Le Dieu dont parle Beckett, s'il existe, semble donc incompréhensible et peu soucieux des destinées et de la souffrance humaines.

Le discours de Lucky dans En Attendant Godot le montre comme un Dieu apathique, incompréhensible, aphasique et laconique[5] incapable de réagir devant la souffrance de ses créatures Cette longue tirade montre que le questionnement obstiné des hommes sur Dieu, sur les jugements qu'il porte est confronté au silence.

Aucune réponse ne peut être donnée par cette entité indifférente au sort de ses créatures.

Cette indifférence ne serait -elle pas le marqueur d'une impuissance de Dieu à assurer le salut de l'humanité condamnant ainsi sa propre création? Dans Fin de partie, Hamm, qui rappelle, dans la Bible, le nom d'un fils de Noé Cham, incarne dans un de ses grands monologues de la fin de la pièce un Christ déchu, pleurant des larmes qui ne sont plus de sang, un Christ incapable de sauver les hommes: « On pleure, on pleure, pour rien, pour ne pas rire, et peu à peu...

une vraie tristesse vous gagne.

(Il replie son mouchoir, le remet dans sa poche, relève un peu la tête.) Tous ceux que j'aurais pu aider.(Un temps.) Aider! (Un temps) Ils sortaient de tous les coins.

»[6] Le monde de Beckett est un monde sans illusions où les personnages sont progressivement détachés de toutes les croyances ordinaires.

Mais exister suppose donc un minimum de croyances ou d'illusions mais il s'agit d'une croyance sans foi, faite pour patienter jusqu'à la fin dans la mesure où Dieu ne peut plus aider l'homme.

Il semble donc logique que les protagonistes se révoltent contre ce Dieu absent. Abandonnés de Dieu, l'homme, créature misérable et impuissante qui ne cesse de crier sa solitude vitupère contre ce Dieu à qui il reproche de l'avoir abandonné comme Job sur son fumier: « […] Peut-il y a-(bâillements)- y avoir misère plus...

plus haute que la mienne? Sans doute.

Autrefois.

Mais aujourd'hui? »[7]Hamm se plaint de cet abandon et cette plainte se change en révolte: « Mais enfin quel est votre espoir? Que la terre renaisse au printemps? Que la mer et les rivières redeviennent poissonneuses? Qu'il y ait encore de la manne au ciel pour des imbéciles comme vous? »[8] Faisant référence à deux épisodes de la Bible, la nourriture tombée du ciel pour nourrir les Hébreux dans le désert et la pêche miraculeuse sur le lac de Tibériade dans l' Exode (XVI, 1) et dans les Nombres (XI, 7-8), Hamm et les autres personnages envisagent Dieu comme un être profondément malveillant, un Dieu du Mal.

Dans ses deux pièces, c'est Dieu qui est jugé comme un être cruel et non les hommes.

C'est la création même de l'être humain qui est mise en doute comme le prouve la réplique de Hamm, furieux envers son père: « Salopard! Pourquoi m'as-tu fait? »[9] Quel est donc ce Dieu qui a crée l'homme pour le condamner à une vie misérable? Quel est l'être monstrueux qui a inventé une créature enfermée dans dans une durée aux limites insupportables ? Les personnages regardent l'être humain et concluent que Dieu est impardonnable: s'il existe, il est impardonnable d'avoir fait le monde tel qu'il est.

La colère noire de Hamm s'adresse à ce Dieu: son indifférence et son absence est simplement le dernier et le plus mauvais des tours que le créateur, dans son sadisme, s'amuse à jouer à sa créature.

Les personnages se représentent donc Dieu comme un sadique qui ne suscite la pensée et la liberté que pour en jouer cruellement et pour satisfaire une sorte d'instinct de domination et de destruction.

Il appelle les consciences à l'existence que pour se nourrir de leur angoisse, s'enchanter de leur plainte.

Pozzo, dans. »

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