Devoir de Philosophie

BERNANOS Georges : sa vie et son oeuvre

Publié le 18/11/2018

Extrait du document

bernanos

BERNANOS Georges (1888-1948). Bernanos ne s’est jamais considéré comme un écrivain professionnel, encore moins comme un romancier. Pourtant, la postérité a essentiellement retenu ses romans. Écrits entre 1926 et 1936, ce sont eux qui ont su rester fidèles à cet esprit d’enfance que Bernanos revendique à travers toute son œuvre. La polémique n’en est pas exclue pour autant. Le ton du pamphlétaire réapparaît sans cesse chez celui qui, dès sa vingtième année, s’est engagé sur la voie d’un journalisme militant, agressif, à jamais rebelle à la satisfaction du confort intellectuel.

 

La fidélité à l'enfance

 

Aussi mouvementée qu’ait été la vie de Bernanos, elle semble tout entière guidée par cet idéal qui revient comme un leitmotiv sous sa plume : « J’ignore pour qui j’écris, affirme-t-il dans les Enfants humiliés (1949), mais je sais pourquoi j’écris. J’écris pour me justifier. Aux yeux de qui? Je vous l’ai déjà dit, je brave le ridicule de vous le redire. Aux yeux de l’enfant que je fus ». Cela en écho aux Grands Cimetières sous la lune (1938) : « Qu’importe ma vie. Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus ».

 

Quel est cet enfant? C’est d’abord un être rêveur, épris de solitude et de liberté, qui savoure le bonheur de sillonner le pays d’Artois dont le souvenir servira de cadre à la plupart de ses romans. C’est aussi un grand lecteur, essentiellement de Balzac. Mais les années de collège seront surtout marquées par l’accroissement d’une anxiété maladive qui explique en partie le sens que Bernanos a voulu donner à sa vie et à son œuvre. « Depuis longtemps, écrit-il en 1905, dans une lettre à l’abbé Lagrange, à cause de ma jeunesse maladive — et des précautions qu’on me faisait prendre —, je crains la mort, et, par malheur, peut-être mon ange gardien dirait-il par bonheur, j’y pense toujours ».

 

Cette méditation sur la mort comme but ultime de la vie, ou plutôt cette préparation à la mort, est le sujet principal des Dialogues des Carmélites (1949), mais elle se trouve déjà dans Madame Dargent (1922), par exemple. Le récit de l’agonie se retrouvera chez de nombreux personnages : les uns « ne se voient pas mourir »; les autres, ceux qui ont su garder la fidelité à la naïveté et à l’humilité de l’enfance, se sont engagés dans l’aventure du salut et participent au mystère de l’agonie du Christ en répétant le cycle originel de la Chute et de la Rédemption.

 

Un itinéraire spirituel

 

L’aventure commence elle-même, pour Bernanos, sur les routes, qu’il s’agisse des routes de l’Artois (« Chemins du pays d’Artois, à l’extrême automne, fauves et odorants comme des bêtes, sentiers pourrissants sous la pluie de novembre, grandes chevauchées des nuages, rumeurs du ciel, eaux mortes... »), dont on retrouvera la sauvage beauté dans la quasi-totalité de ses romans, ou de celles d’Europe, d’Amérique ou d’Afrique que ses perpétuels voyages l’ont amené à parcourir désespérément : journaliste à Paris, puis assureur, Bernanos, à partir de 1926, année où il se consacre exclusivement à la littérature, connaîtra des soucis d’argent constants qui l’amèneront à se fixer successivement à Clermont-de-l’Oise, sur la Côte d’Azur, à Palma de Majorque, au Brésil, enfin en Tunisie. Ce vagabondage constant est sans doute lié aussi à l’inquiète errance de celui qui appelait Rimbaud son « vieux camarade ». Cette quête

 

perpétuelle anime la plupart des personnages de l’œuvre romanesque de Bernanos, et Albert Béguin note très justement qu’« il y a du Rimbaud enfant dans beaucoup de ses personnages, garçons et filles, aventurés sur les routes, toujours prêts au départ ».

 

Gêne matérielle, inquiétude morale, mais surtout aventure spirituelle : journaliste, pamphlétaire, écrivain, contempteur des mœurs du siècle, Bernanos ressent avant tout son engagement comme une vocation laïque. C’est à une sorte d’accomplissement ascétique que correspond chez lui le choix de l’écriture, qu’il vit le plus souvent comme un tourment. Les héros de ses romans ou même de ses essais hagiographiques : Saint Dominique (1926), Jeanne, relapse et sainte (1934), sont tous temporairement réprouvés, bafoués, humiliés au niveau des valeurs habituelles de la société : Donissan, Chevance, Chantal de Clergerie, le curé d’Ambricourt sont incompréhensibles pour les profanes. Le sens de leur présence se situe à un autre niveau : celui de la sainteté — ou de l’enfance. C’est une quête identique, sinon une même situation, qui conduit les deux Mouchette au suicide, l’une par abandon à Satan, l’autre par désir inconscient de l’amour divin. Dans tous les cas, on trouve dressés des personnages humbles, dépouillés, pauvres, au double sens qui est donné à ce mot dans l’Écriture, en face d’une société provinciale pusillanime, hypocrite, uniquement animée de préoccupations matérielles. Bernanos n’a pas plus de tendresse pour Gallet, le médecin jouisseur mais soucieux des convenances (Sous le soleil de Satan, 1926), que pour la hiérarchie religieuse dans l'imposture (1927) ou l’autosatisfaction intellectuelle d’un M. Ouine.

 

La révolte contre le mal

 

La référence au mal apparaît à plusieurs reprises dans l’œuvre de Bernanos : la maladie puis la mort de son père (« Dieu m’éprouve de nouveau. Mon pauvre vieux papa est atteint d’une de ces ignobles tumeurs qui m’ont toujours paru, plus qu’aucun autre mal, la figuration de Satan, le symbole de sa monstrueuse fécondité dans les âmes. Il a un cancer au foie »), la Grande Guerre, la guerre d’Espagne inspirent directement au moins deux de ses romans; ses derniers essais de combat découlent partiellement de la situation mondiale à partir de la Seconde Guerre. C’est aussi contre le déclin des valeurs traditionnelles — le sentiment aristocratique de l’honneur, l’attachement à la France de l’Ancien Régime — qu’il n’a cessé de lutter, quitte à rompre avec la droite maurrassienne classique et l’Action française lorsqu’elles lui semblent trahir leur idéal.

 

Mais ce ne sont pas les seules figures du mal dans l’œuvre de Bernanos. La médiocrité et le conformisme bourgeois, l’arrivisme, la sotte vanité sont les défauts qu’il attaque le plus fréquemment. Qu’il s’agisse des deux amants de Mouchette — « Le village de Campagne a deux seigneurs. L’officier de santé Gallet, nourri du bréviaire Raspail, député de l’arrondissement. Des hauteurs où son destin l’a placé, il contemple encore avec mélancolie le paradis perdu de la vie bourgeoise, sa petite ville obscure, et le salon familial de reps vert où son néant s’est enflé. [...] Dans le même temps, M. le marquis de Cadignan menait au même lieu la vie d’un roi sans royaume» (Sous le soleil de Satan) —; des fantoches qui s’agitent dans l’entourage de Cénabre (/’Imposture) : Pernichon, qui « obtint de signer chaque semaine, dans un bulletin paroissial, des nouvelles édifiantes, puis “des Lettres de Rome” rédigées chez un petit traiteur de la rue Jacob »; Mme Jérôme dont « c’étaient là ses dernières poésies, éditées grâce à la générosité d'un amant »; M. Guérou, qui « fut un auteur à la mode, et chaque aube le vit sommeillant dans un de ces lieux de plaisir où se tient le sabbat de tous les démons de l’ennui. L’ancien chroniqueur fit la loi dans les cabarets où il n’était jadis que toléré. Il y rendit des arrêts sans recours, et son ventre pointait déjà sous la nappe ». Toujours, le ton du polémiste perce derrière le romancier, et le portrait se mue en une caricature incisive.

 

Le mal, c’est encore la curiosité de l’esprit lorsque l’intelligence n’est pas soutenue par la foi : Antoine Saint-Marin, M. Ouine ou Cénabre sont de piètres figures malgré leur vivacité intellectuelle et leur prestige social, à côté du saint de Lumbres, du curé de Fenouille ou de l'abbé Chevance : s’ils coïncident avec ce que la société attend de son élite, ils ont perdu tout contact avec les valeurs spirituelles, la joie, cette grâce à travers laquelle émerge, dans l’âme des humbles, ce qu’il y a de divin en l’homme.

 

Aucun personnage n’est d’ailleurs à l'abri de l’enfer; le mal, tant physique (l’image du cancer parcourt toute l’œuvre romanesque et polémique de Bernanos) que moral (l’ennui, le désespoir), est omniprésent. Tous les critiques ont souligné la fréquence des suicides ou des meurtres dans les romans de Bernanos. C’est la représentation métaphorique de l’esprit du mal attaché à la destruction de l’homme. Ni les prières, ni les simples forces humaines ne permettent de résister à la séduction de Satan. Aussi Bernanos ne se soucie-t-il ni de psychologie ni de morale. Dans la perspective métaphysique qui est la sienne, le Bien et le Mal se confondent. Les deux Mouchette en sont la meilleure illustration : l’abandon à Satan peut être une forme de rébellion contre l'hypocrisie du monde adulte. C’est la réaction des opprimés auxquels tout espoir est matériellement interdit. Seule une intervention miraculeuse permet de sauver l’homme de sa fatalité tragique.

 

Un romancier aux confins du romanesque

 

Bernanos est donc amené à parler de langage de l’ineffable. La présence du surnaturel, de l’invisible, imprègne son univers. Le rire de Satan perçu par le seul Donissan (Sous le soleil de Satan), le mysticisme de Chantal (la Joie, 1929), les hallucinations de Mouchette (Nouvelle Histoire de Mouchette, 1937) appartiennent à l’indicible. Encore exubérante dans son premier roman,

 

la représentation du fantastique s’épure progressivement mais se retrouve jusque dans les scènes les plus réalistes de Monsieur Ouine (1946) (l’enterrement du petit vacher et le lynchage de Jambe-de-Laine). C'est qu’écrire représente d'abord pour Bernanos le besoin d’exprimer « cette accumulation de rêves, d’images, de figures dont la surabondance [l’]étouffait ». On comprend que, dans ces conditions, sa technique narrative n’ait rien de classique. Si, au niveau de l’intrigue — souvent énigmatique ou même policière —, il a pu apparaître comme le dernier romancier du xixe siècle, dans la tradition de Balzac ou de Léon Bloy, il a surtout fait éclater le dogme du réalisme positiviste en lui substituant la logique de l’irrationnel : « Rien n’est plus réel ni plus objectif que le rêve. Mais il y a beaucoup de gens bornés qui n’admettent que les réalités de Zola ». Inversant les valeurs du romanesque conventionnel, il y a donc à la fois, dans son univers, un réalisme du surnaturel et une vision hallucinatoire de la réalité quotidienne.

 

Le lecteur peut se sentir dérouté par la labilité des points de vue : tantôt celui des personnages, tantôt celui du narrateur lui-même, qui emprunte aux hagiographies le style du témoignage ultérieur, ou par les intrusions lyriques de l’auteur (« O Merveille ») qui scandent le récit sur le mode d'un poème en prose (cf. notamment l’« écriture » très peu romanesque de Sous le soleil de Satan). Mais le plus surprenant est sans doute la fréquence des ruptures dans l’emploi des temps. Tantôt la narration bernanosienne suit le cours du récit historique, au passé simple (« Le vicaire de Campagne prit la route de Beaulaincourt et descendit vers Etaples à travers la plaine »), tantôt elle passe soudain au présent, voire au futur, pour s’insinuer à leur insu dans la conscience — ou dans l’imaginaire — des personnages, dévoilés ainsi dans toute leur profondeur : « Sous ses yeux, la petite ville s’assombrit, semble descendre sous l’horizon. Il hâte le pas. Que ne peut-il atteindre, inaperçu, le coin sombre où, jusqu’au souper, puis dans la nuit, il restera seul — seul derrière la frêle muraille de bois, l’oreille penchée vers des bouches invisibles! » Cette dimension n’est plus celle de la chronologie narrative, événementielle, mais fait un brusque saut dans un autre ordre : elle introduit le lecteur dans une temporalité différente, celle de la méditation et de la spiritualité.

 

En dépit des conventions du romanesque, Bernanos laisse donc entrevoir le mystère des âmes et la possibilité, pour ceux dont la lucidité dépasse les limites de la logique traditionnelle, d’en percevoir la signification secrète.

bernanos

« petit traiteur de la rue Jacob >>; Mme Jérôme dont «c'étaient là ses dernières poésies, éditées grâce à la générosité d'un amant>>; M.

Guérou, qui « fut un auteur à la mode, et chaque aube le vit sommeillant dans un de ces lieux de plaisir où se tient le sabbat de tous les démons de l'ennui.

L'ancien chroniqueur fit la loi dans les cabarets où il n'était jadis que toléré.

li y rendit des arrêts sans recours, et son ventre pointait déjà sous la nappe».

Toujours, le ton du polémiste perce derrière le romancier, et le portrait se mue en une caricature incisive.

Le mal, c'est encore la curiosité de l'esprit lorsque l'intelligence n'est pas soutenue par la foi : Antoine Saint-Marin, M.

Quine ou Cénabre sont de piètres figu­ res malgré leur vivacité intellectuelle et leur prestige social, à côté du saint de Lumbres, du curé de Fenouille ou de l'abbé Chevance : s'ils coïncident avec ce que la société attend de son élite, ils ont perdu tout contact avec les valeurs spirituelles, la joie, cette grâce à travers laquelle émerge, dans l'âme des humbles, ce qu'il y a de divin en l'homme.

Aucun personnage n'est d'ailleurs à l'abri de l'enfer; le mal, tant physique (l'image du cancer parcourt toute l'œuvre romanesque et polémique de Bernanos) que moral (l'ennui, le désespoir), est omniprésent.

Tous les critiques ont souligné la fréquence des suicides ou des meurtres dans les romans de Bernanos.

C'est la représen­ tation métaphorique de l'esprit du mal attaché à la des­ truction de l'homme.

Ni les prières, ni les simples forces humaines ne permettent de résister à la séduction de Satan.

Aussi Bernanos ne se soucie-t-il ni de psychologie ni de morale.

Dans la perspective métaphysique qui est la sienne, le Bien et le Mal se confondent.

Les deux Mouchette en sont la meilleure illustration : J'abandon à Satan peut être une forme de rébellion contre l'hypocri­ sie du monde adulte.

C'est la réaction des opprimés aux­ quels tout espoir est matériellement interdit.

Seule une intervention miraculeuse permet de sauver l'homme de sa fatalité tragique.

Un romancier aux confins du romanesque Bernanos eH donc amené à parler de langage de l'ineffable.

La présence du surnaturel, de l'invisible, imprègne son univers.

Le rire de Satan perçu par le seul Donissan (Sou.> le soleil de Satan), le mysticisme de Chantal (la Joi.�.

1929), les hallucinations de Mouchette (Nouvelle Histoire de Mouchefle, 1937) appartiennent à l'indicible.

Enc·o re exubérante dans son premier roman, VIE la représentation du fantastique s'épure progressive­ ment mais se retrouve jusque dans les scènes les plus réalistes de Monsieur Oui ne ( 1946) (l'enterrement du petit vacher et le lynchage de Jambe-de-Laine).

C'est qu'écrire représente d'abord pour Bernanos le besoin d'exprimer. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles