Devoir de Philosophie

BRANTÔME, Pierre de Bourdeille : sa vie et son oeuvre

Publié le 21/11/2018

Extrait du document

BRANTÔME, Pierre de Bourdeille, seigneur et abbé de (15407-1614). L’ouvrage qui a assuré la fortune littéraire de Brantôme est aussi responsable de l’oubli dans lequel a sombré — injustement — le reste de l’œuvre. Les Dames galantes, ainsi nommées par un éditeur avisé du xviie siècle, ne formaient pourtant, à l’origine, que la seconde partie du recueil des Dames, lui-même moins développé que celui des Hommes. Reléguées dans les bibliothèques parmi les livres dits de « second rayon », elles n’ont cessé de faire flotter autour de l’auteur un parfum de scandale. Constamment réimprimées depuis la première édition, elles ont été récemment traduites en italien, en suédois, en finnois, en polonais et en japonais. Rien, pourtant, ne prédisposait Pierre de Bourdeille à laisser un nom en littérature.
« Ceux de ma race n'ont jamais estez cazaniers »
 
Né dans une ancienne et noble famille du Périgord, il est voué par son père, en sa qualité de cadet, à l’état ecclésiastique et pourvu très jeune de plusieurs bénéfices, parmi lesquels l’abbaye dont il tire le nom qui le rendra célèbre. Il s’y prépare, à Paris puis à Poitiers, par des études plus longues qu’il n’est de coutume chez un jeune aristocrate. Mais l’appel de l’aventure est le plus fort : il renonce à l’Église et quitte sa province natale; comme tant d’autres, il passe les monts et se trouve à Rome pour l’élection de Paul IV. En 1561, il est de la troupe des gentilshommes qui accompagnent Marie Stuart en Écosse. A son retour, les premiers affrontements des guerres civiles (Blois, Bourges, Dreux) lui permettent de s’essayer au métier des armes. Désormais, il prend part à tous les combats, vivant à la cour pendant les intermèdes; mais l’inaction lui pèse, et toutes les occasions lui sont bonnes pour entreprendre des « voyages » : une expédition sur la côte nord du Maroc (1564); une autre jusqu’à Malte, menacée par les Turcs (1566). Au regret d’avoir manqué la bataille de Lépante, il rassemble à Brouage une flotte pour le Pérou quand lui parvient la nouvelle du massacre de la Saint-Barthélemy.
 
Les années passent. Comme la cigale de la fable, il s’aperçoit qu’il a négligé ses affaires; autour de lui, ses compagnons, bien en cour, richement pourvus, sont « avancez comme potirons »; pour lui, en récompense des services rendus, de bonnes paroles et de belles promesses — mais de faveurs concrètes, point. Lorsque, malgré la parole royale, le sénéchalat de Périgord est accordé à un autre, Brantôme décide de reprendre sa liberté et d’offrir ses services au roi d’Espagne. Une malencontreuse chute de cheval met fin à ce projet. Réduit à l’immobilité, il se réfugie dans l’écriture pour oublier son malheur. « Ce sera récupération du militaire inachevé par le courtisan et l’homme de plume » (V.-L. Saulnier). Vocation accidentelle s’il en fut.

« u Il me plaist ainsin d'en retenir et resjouir ma mémoire de ce que j'ay veu ,, Désormais, le seigneur de Brantôme ne quittera plus guère sa retraite périgourdine; notons une visite à Mar­ guerite de Navarre, en exil à Usson, dédicataire (avec le duc d'Alençon) de ses Discours.

Pour peupler sa solitude et tromper son ennui, il évoque la foule des personnages rencontrés, suivis à la Cour et dans les camps.

Une éton­ nante mémoire lui restitue les événements auxquels il a été mêlé, les anecdotes, les bons mots et les confidences, matériaux engrangés pendant un tiers de siècle.

11 ne s'agit, au début, que de souvenirs entassés sans trop d'ordre.

Mais, au fil des années, les additions se succè­ dent, l'œuvre s'épaissit et prend forme.

L'auteur s'avise que son «Recueil d'aucuns discours, devis, contes, hys­ toyres, combatz, actes, traitz, gentillesses, mots, nouvel­ les, dictz, faictz, rodomontades et louanges » aurait belle allure s'il était organisé en deux séries de discours, l'une touchant les hommes et l'autre les femmes.

Telle est l'origine des sept volumes manuscrits annoncés dans son testament ( 1609).

En dépit de son souhait, la première édition ne paraît qu'en 1665-1666.

Bien qu'incomplète et fautive, elle obtient un vif succès.

On loue 1' auteur de sa peinture simple et > qu'il apporte sur le règne des Valois.

Mme de La Fayette s'en inspire pour la Princesse de Clèves; Saint-Simon le lit, l'annote et, dans ses Notes sur les duchés-pairies, l'imite; Rousseau s'enthousiasme pour les récits héroï­ ques qu'il y trouve.

Au tournant du siècle, le ton change.

Si on reconnaît le mérite historique de l'œuvre -Balzac et Mérimée y puisent sans vergogne -, les critiques républicains et bourgeois ne parviennent plus à détacher leur regard de ces fameuses Dames galantes qui n'avaient pas autrement troublé les lecteurs de l'Ancien Régime; sous couleur de sévérité à l'égard des choses du sexe, un intérêt se manifeste qui entend se faire dire la vérité du plaisir, la saisir et la questionner.

Le livre scandaleux apparaît alors comme la preuve irréfutable de la dépravation des mœurs sous la monarchie, de l'in­ dignité des rois.

Aujourd'hui même, l'œuvre souffre de certains préjugés, elle est parfois soumise à des lectures superficielles et orientées qui y cherchent une « couleur Renaissance >• de pure convention : héroïsme et corrup­ tion, raffinement et grossièreté, sang et poison, etc.

u Ce que j'escris est plain de vérité ...

,, Brantôme est convaincu d'avoir connu un âge d'or; tout naturellement, la sphère de ses souvenirs se borne à la Cour -forme institutionnalisée de la noblesse -, ce « vray paradis »; sont exclues de ses livres les personnes de basse condition.

Cette réserve -importa nte-faite, il est un précieux témoin de son temps, intéressé par les aspects les plus divers de la vie humaine.

Qu'il s'agisse d'assauts livrés sur les champs de bataille ou dans la chambre des dames, il s'informe, observe, compare avec le même souci de précision.

Quand il décrit, intermina­ blement, les cheminements du désir et les ruses de l'amour, c'e!>t moins de sa pan vice ou obsession que volonté encyclopédique de ne rien omettre de ce qu' i 1 sait, par expérience ou par ouï-dire.

C'est avec la même application qu'il recueillera les serments et jurements espagnols : le xv1< siècle est l'époque des recensements et des inventaires.

Cette curiosité est au service d'une objectivité et d'une impartialité assez rares.

L'œuvre n'obéit à aucun dessein apologétique, à la différence des Commentaires de Monluc; die n'est pas soumise aux variations d'un moi envahissant comme celui de Montaigne.

A une épo- que de fanatismes, Brantôme se refuse à être un homme de parti; sans passion et sans haines, il accueille les idées et les hommes avec tolérance.

Où pourrait-on 1 ire à cette époque, sous une même plume, un éloge de Coligny et un éloge de Guise, une condamnation indignée de la Saint-Barthélemy et un panégyrique de Catherine? Ce Français n'hésite pas à marquer son admiration pour la bravoure des Espagnols, ce gentilhomme se plaît à recon­ naître les mérites de simples soldats issus du peuple.

Paradoxalement, cette indépendance d'esprit va de pair avec un grand respect pour les aspects conventjonnels de 1' existence et les grandeurs d'établissement.

Ebloui par les splendeurs et les fastes de la Cour, il s'enivre d'élo­ ges hyperboliques dès qu'il évoque les grands personna­ ges qui ont pu lui accorder attention ou caresses.

Ce n'est pas un moraliste ni un penseur.

Il s'en remet volontiers à l'avis des doctes et des mieux « discou­ rans »,non qu'il manque d'idées, ou qu'il soit naïf; son credo est simple : c'est l'idéal chevaleresque adapté avec pragmatisme aux réalités du temps.

Il admire la bravoure et l'exploit individuels, mais il sait que la discipline et l'organisation déterminent la victoire; il remarque que, dans les duels, les vainqueurs n'ont pas toujours le bon droit pour eux; il est catholique de naissance et d_'hab i­ tude, mais juge sans indulgence les hommes d'Eglise; dans son œuvre 1 'amour courtois s'est dégradé en exerci­ ces physiques : les jeux auxquels se livrent ses per so n na­ ges sont purs divertissements du corps, ni J'esprit ni le cœur n'y ont leur place, car il s'agit surtout de satisfaire aux exigences de la nature.

cc C'est assez demeuré en ceste digression ...

Retournons au grand chemin , Installé au cœur de ses Mémoires comme conteur, comme acteur ou comme témoin, ce discoureur ne peut se résoudre à clore un chapitre ou un récit.

La répétition et la digression sont ses figures favorites.

En l'absence de toute philosophie de l'histoire, de tout système géné­ ral d'explication, un fait ne saurait s'expliquer par une seule cause déterminante; il faut donc se résoudre à les mentionner toutes.

Lorsque les souvenirs se pressent en foule, la narration linéaire devient impossible, une dis­ continuité fondamentale est inhérente au récit; le lecteur progresse néanmoins sans difficulté dans un discours simple et précis, avec peu de néologismes, mais un cer­ tain nombre d'emprunts à l'espagnol et à l'italien.

Moins dépendant de la rhétorique classique que celui de beau­ coup de ses contemporains, le style de Brantôme abonde en métaphores, qui témoignent d'une imagination poéti­ que tournée vers la nature et les activités de la vie humaine.

«Je sçay qu'il y a plusieurs qui diront que je faictz beaucoup de petits fatz contes ...

ouy bien pour aucuns, mais non pour moy, me contentant d'en renouveller la souvenance et en tirer autant de plaisir».

Rarement une œuvre aura tenu à ce point ses promesses.

Le plaisir du lecteur rejoint, par-delà les siècles, le plaisir de l'écri­ vain.

Avec le passé récupéré s'est élevé un monument pour l'avenir.

BIBLIOGRAPHIE Excepté les Dames galantes (c'est-à-dire le second livre des Dames), régulièrement éditées, l'œuvre de Brantôme est diffici­ lement accessible.

En l'absence d'une édition critique fondée sur les manuscrits autographes, il faut se contenter de celles du siècle dernier : celle de Mérimée en 13 volumes (« Bibliothèque elzévirienne "• 1858-1895) et celle de Lalanne en ll volumes (Société de l'histoire de France, 1864-1882).

Le Discours sur les colonels a été établi avec soin par E.

Vaucheret, Vrin, 1973, à partir des manuscrits existants.

Les travaux récents sont peu nombreux; citons R.D.

Cottrell, Brantôme, The Writer as Por­ traitist of His Age, Genève, Droz, 1970; A.

Grimaldi, Brantôme. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles