BRANTÔME, Pierre de Bourdeille : sa vie et son oeuvre
Publié le 21/11/2018
Extrait du document
«
u
Il me plaist ainsin d'en retenir
et resjouir ma mémoire
de ce que j'ay veu ,,
Désormais, le seigneur de Brantôme ne quittera plus
guère sa retraite périgourdine; notons une visite à Mar
guerite de Navarre, en exil à Usson, dédicataire (avec le
duc d'Alençon) de ses Discours.
Pour peupler sa solitude
et tromper son ennui, il évoque la foule des personnages
rencontrés, suivis à la Cour et dans les camps.
Une éton
nante mémoire lui restitue les événements auxquels il a
été mêlé, les anecdotes, les bons mots et les confidences,
matériaux engrangés pendant un tiers de siècle.
11 ne
s'agit, au début, que de souvenirs entassés sans trop
d'ordre.
Mais, au fil des années, les additions se succè
dent, l'œuvre s'épaissit et prend forme.
L'auteur s'avise
que son «Recueil d'aucuns discours, devis, contes, hys
toyres, combatz, actes, traitz, gentillesses, mots, nouvel
les, dictz, faictz, rodomontades et louanges » aurait belle
allure s'il était organisé en deux séries de discours, l'une
touchant les hommes et l'autre les femmes.
Telle est
l'origine des sept volumes manuscrits annoncés dans son
testament ( 1609).
En dépit de son souhait, la première édition ne paraît
qu'en 1665-1666.
Bien qu'incomplète et fautive, elle
obtient un vif succès.
On loue 1' auteur de sa peinture
simple et >
qu'il apporte sur le règne des Valois.
Mme de La Fayette
s'en inspire pour la Princesse de Clèves; Saint-Simon le
lit, l'annote et, dans ses Notes sur les duchés-pairies,
l'imite; Rousseau s'enthousiasme pour les récits héroï
ques qu'il y trouve.
Au tournant du siècle, le ton change.
Si on reconnaît le mérite historique de l'œuvre -Balzac
et Mérimée y puisent sans vergogne -, les critiques
républicains et bourgeois ne parviennent plus à détacher
leur regard de ces fameuses Dames galantes qui
n'avaient pas autrement troublé les lecteurs de l'Ancien
Régime; sous couleur de sévérité à l'égard des choses du
sexe, un intérêt se manifeste qui entend se faire dire
la vérité du plaisir, la saisir et la questionner.
Le livre
scandaleux apparaît alors comme la preuve irréfutable
de la dépravation des mœurs sous la monarchie, de l'in
dignité des rois.
Aujourd'hui même, l'œuvre souffre de
certains préjugés, elle est parfois soumise à des lectures
superficielles et orientées qui y cherchent une « couleur
Renaissance >• de pure convention : héroïsme et corrup
tion, raffinement et grossièreté, sang et poison, etc.
u Ce que j'escris est plain de vérité ...
,,
Brantôme est convaincu d'avoir connu un âge d'or;
tout naturellement, la sphère de ses souvenirs se borne à
la Cour -forme institutionnalisée de la noblesse -, ce
« vray paradis »; sont exclues de ses livres les personnes
de basse condition.
Cette réserve -importa nte-faite,
il est un précieux témoin de son temps, intéressé par les
aspects les plus divers de la vie humaine.
Qu'il s'agisse
d'assauts livrés sur les champs de bataille ou dans la
chambre des dames, il s'informe, observe, compare avec
le même souci de précision.
Quand il décrit, intermina
blement, les cheminements du désir et les ruses de
l'amour, c'e!>t moins de sa pan vice ou obsession que
volonté encyclopédique de ne rien omettre de ce qu' i 1
sait, par expérience ou par ouï-dire.
C'est avec la même
application qu'il recueillera les serments et jurements
espagnols : le xv1< siècle est l'époque des recensements
et des inventaires.
Cette curiosité est au service d'une objectivité et
d'une impartialité assez rares.
L'œuvre n'obéit à aucun
dessein apologétique, à la différence des Commentaires
de Monluc; die n'est pas soumise aux variations d'un
moi envahissant comme celui de Montaigne.
A une épo- que
de fanatismes, Brantôme se refuse à être un homme
de parti; sans passion et sans haines, il accueille les idées
et les hommes avec tolérance.
Où pourrait-on 1 ire à cette
époque, sous une même plume, un éloge de Coligny et
un éloge de Guise, une condamnation indignée de la
Saint-Barthélemy et un panégyrique de Catherine? Ce
Français n'hésite pas à marquer son admiration pour la
bravoure des Espagnols, ce gentilhomme se plaît à recon
naître les mérites de simples soldats issus du peuple.
Paradoxalement, cette indépendance d'esprit va de pair
avec un grand respect pour les aspects conventjonnels de
1' existence et les grandeurs d'établissement.
Ebloui par
les splendeurs et les fastes de la Cour, il s'enivre d'élo
ges hyperboliques dès qu'il évoque les grands personna
ges qui ont pu lui accorder attention ou caresses.
Ce n'est pas un moraliste ni un penseur.
Il s'en remet
volontiers à l'avis des doctes et des mieux « discou
rans »,non qu'il manque d'idées, ou qu'il soit naïf; son
credo est simple : c'est l'idéal chevaleresque adapté avec
pragmatisme aux réalités du temps.
Il admire la bravoure
et l'exploit individuels, mais il sait que la discipline et
l'organisation déterminent la victoire; il remarque que,
dans les duels, les vainqueurs n'ont pas toujours le bon
droit pour eux; il est catholique de naissance et d_'hab i
tude, mais juge sans indulgence les hommes d'Eglise;
dans son œuvre 1 'amour courtois s'est dégradé en exerci
ces physiques : les jeux auxquels se livrent ses per so n na
ges sont purs divertissements du corps, ni J'esprit ni le
cœur n'y ont leur place, car il s'agit surtout de satisfaire
aux exigences de la nature.
cc C'est assez demeuré en ceste digression ...
Retournons au grand chemin ,
Installé au cœur de ses Mémoires comme conteur,
comme acteur ou comme témoin, ce discoureur ne peut
se résoudre à clore un chapitre ou un récit.
La répétition
et la digression sont ses figures favorites.
En l'absence
de toute philosophie de l'histoire, de tout système géné
ral d'explication, un fait ne saurait s'expliquer par une
seule cause déterminante; il faut donc se résoudre à les
mentionner toutes.
Lorsque les souvenirs se pressent en
foule, la narration linéaire devient impossible, une dis
continuité fondamentale est inhérente au récit; le lecteur
progresse néanmoins sans difficulté dans un discours
simple et précis, avec peu de néologismes, mais un cer
tain nombre d'emprunts à l'espagnol et à l'italien.
Moins
dépendant de la rhétorique classique que celui de beau
coup de ses contemporains, le style de Brantôme abonde
en métaphores, qui témoignent d'une imagination poéti
que tournée vers la nature et les activités de la vie
humaine.
«Je sçay qu'il y a plusieurs qui diront que je faictz
beaucoup de petits fatz contes ...
ouy bien pour aucuns,
mais non pour moy, me contentant d'en renouveller la
souvenance et en tirer autant de plaisir».
Rarement une
œuvre aura tenu à ce point ses promesses.
Le plaisir du
lecteur rejoint, par-delà les siècles, le plaisir de l'écri
vain.
Avec le passé récupéré s'est élevé un monument
pour l'avenir.
BIBLIOGRAPHIE Excepté les Dames galantes (c'est-à-dire le second livre des
Dames), régulièrement éditées, l'œuvre de Brantôme est diffici
lement accessible.
En l'absence d'une édition critique fondée sur
les manuscrits autographes, il faut se contenter de celles du
siècle dernier : celle de Mérimée en 13 volumes (« Bibliothèque
elzévirienne "• 1858-1895) et celle de Lalanne en ll volumes
(Société de l'histoire de France, 1864-1882).
Le Discours sur les
colonels a été établi avec soin par E.
Vaucheret, Vrin, 1973, à
partir des manuscrits existants.
Les travaux récents sont peu
nombreux; citons R.D.
Cottrell, Brantôme, The Writer as Por
traitist of His Age, Genève, Droz, 1970; A.
Grimaldi, Brantôme.
»
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