Cadre mythologique et identités, Phèdre
Publié le 23/09/2018
Extrait du document
Jean Racine, en tant que l’un des plus grands dramaturges classiques n’allait pas simplement se contenter de recopier une pièce, ne changeant que la formulation des phrases, non. Il changea un détail ou deux des personnages, leur créant ainsi une toute nouvelle personnalité sour le regard du spectateur. Mais là justement se situe le problème. Au final, qui est Phèdre ? Est-elle la malheureuse reine qui subit sa passion coupable, comme nous la montre Racine, ou bien une femme impudique qui profiterait de la mort de son mari pour essayer de séduire son beau-fils, comme Sénèque la décrit ? Et Hippolyte alors ? Est-il le fils obéissant sans faute ou celui coupable d’aimer malgré la loi ? Sans parler d’Aricie qui, d’une forêt, devient une princesse.
Il faut rappeler que l’identité est formé par des éléments extérieurs à la personne, mais aussi par les éléments internes ( qui sont souvent le résultat des éléments extérieurs ). Mais cela ne fait que rendre ce qu’il y a à l’intérieur plus important : les choix d’un individu ne sont inhérents qu’à lui-même et à son identité, pas au monde qui l’entoure.
En changeant ainsi le caractère de ses personnages, Racine change l’identité même de ses personnages. Il crée une œuvre nouvelle qui diverge du canon et cela se voit, comme un dernier coup de pinceau à un chef d’oeuvre, à la fin de sa pièce. Phèdre, plutôt que de s’empaler au-dessus du corps meurtri d’Hippolyte dans un geste soudain, se tue lentement avec l’ingestion d’un poison. Les deux morts sont des suicides, mais là où le premier est soudain et sec, le second est douloureusement lent. Alors que l’un apporte une joie méchante et petite, l’autre n’inspire que la pitié. Ou encore Hippolyte qui, dans la version d’Euripide, est en tout point l’homme chasseur : sauvage, fier, parfois même rude. Racine, lui, le rend plus… Innocent, dans un sens. Il est moins dédaigneux de l’amour, puisqu’il aime, et sa fierté n’est pas dans ses prouesses physiques, mais dans sa grandeur et pureté d’âme.
De la reine ou du prince, d’une œuvre à une autre, ce n’est plus la même personne que le spectateur fête ou pleure la mort.
Comme dit au début de ce travail, la question de l’identité n’aura jamais une réponse toute faite. Il faut chercher, supposer et développer son propre esprit critique – qu’est-ce qui fait de soi un être différent des autres ? Et c’est par rapport à cette vision du monde que vous, en tant que spectateurs, pourriez juger des personnages d’une pièce. L’identité de Phèdre devrait-elle être jugée par rapport à ses liens, aux éléments extérieurs qui fait d’elle l’héritière de Minos et de Pasiphaé ? Ou bien par son caractère, son combat mental, ou absence de combat, contre des sentiments que la société d’autrefois et d’aujourd’hui rejette ?
«
sens.
Leur relations, qu’elles soient familiales, amicales ou amoureuses, sont parfois complexes et d’autres
fois simples à comprendre.
Ces relations sont aussi une part importante de l’identité des personnages : ils
sont grandement identifiés à leur entourage.
Les servants ont souvent une meilleure compréhension de telle personne ou telle situation que leur
maître.
Oenone, de ce fait, est le personnage le plus proche de la reine jusqu’à ce que cette dernière l’envoie
au loin.
Phèdre n’est pas seulement sa reine, elle est aussi l’infante dont elle s’est occupée pendant des
décennies et cela se voit.
Oenone parle à Phèdre comme à une enfant ; elle n’hésite pas à forcer sa reine à
parler de ses peines en la manipulant émotionnellement aux vers 243 à 245 : « Madame, au nom des pleurs
que pour vous j’ai versés, / Par vos faibles genoux que je tiens embrassées, / Délivrez mon esprit de ce
funeste doute.
», la console et la soutient comme une mère le ferait : « Vivez, vous n’avez plus de reproche à
vous faire.
/ Votre flamme devient une flamme ordinaire.
» ( vers 349 et 350 ).
Mais la servante est bien la
seule qui restera aux côtés de la reine.
Hippolyte, au contraire, ne connaît Phèdre que récemment et l’image qu’il se fait d’elle est loin d’être
splendide.
Dès l’acte premier il déclare que Phèdre est son ennemie : « Hippolyte en partant fuit une autre
ennemie.
» ( vers 49 ) et, plus tard, il se retrouve horrifié face à l’aveu de la reine : « Dieux ! Qu'est-ce que
j'entends ? Madame, oubliez-vous / Que Thésée est mon père, et qu'il est votre époux ? » ( vers 663 à 664 ).
Phèdre, d’un regard à un autre, passe donc d’une sorte d’enfant en besoin de réconfort à une marâtre froide
et peu scrupuleuse des lois qui la retient.
En parlant de Thésée, sa relation maritale avec Phèdre est aussi une relation importante à l’histoire
puisque c’est elle qui est le plus grand obstacle entre la reine et son amour coupable.
Pour Phèdre, Thésée,
plus qu’un mari ou un roi, est le père d’Hippolyte – son identité réside donc dans ses liens de sang plutôt
qu’en sa personne.
Après tout, il est l’homme qui a envoûté sa sœur et l’a ensuite abandonnée sur une île et,
dans la version de Pierre Commelin, il aurait même enlevé la future reine et Hippolyte nous le confirme :
« Phèdre enlevée sous de meilleures auspices ; » (vers 89).
Pourtant, elle ne semble pas éprouver de
sentiments hostiles envers le roi d’Athènes et agit tel qu’elle le devrait envers son mari, vers 299 :
« Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis, ».
Nous pouvons nous demander si cela est parce qu’elle
revoit Hippolyte en lui, vers 290 : « Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
», et si cette
ressemblance est ce qui l’empêche d’haïr Thésée.
Mais bien plus que simplement cette relation, il faut noter que, dans l’oeuvre, Thésée n’est jamais vu
comme étant lui-même, Thésée seul.
C’est toujours le roi ou le père, le persécuteur ou le héros, le libertin
volage ou l’homme marié.
Il est restreint par ses titres et ne s’en rend pas réellement compte, au contraire
de Phèdre qui ne le sait que trop bien.
Le passé est aussi une part imposante, sinon même fondamentale de l’identité.
C’est lui qui va amener
le présent et tous ses problèmes, c’est lui qui va forger une personne en déterminant, avant même sa
naissance, si son enfance sera aise ou bien difficile.
Si l’adulte que cet enfant deviendra sera une personne
amère ou optimiste.
Et il est possible d’en dire de même pour cette tragédie offerte à nos yeux.
Elle est le
résultat de choix, d’actions et d’évènements qui se sont accumulés afin de déboucher sur ce que nous ne
pouvons que constater : mort et remords.
Le passé de cette tragédie remonte bien loin, mais faute d’espace, il devra être raccourci.
Sachons juste
que tout commença avec Hélios, dieu du soleil, Vénus, déesse de l’amour, et un désagrément unilatéral de la
part de la déesse.
C’est d’ailleurs à cause de ce désagrément qu’elle est maudite par Vénus, comme toute sa.
»
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