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CAMUS: l'héritier du silence

Publié le 03/10/2018

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A certains écrivains, le langage est donné d'entrée avec lequel ils construiront leur œuvre. Ils se savent détenteurs d'une culture contre laquelle il leur arrivera sans doute de se dresser, mais qui leur a offert jusqu'aux armes avec lesquelles ils prétendront la combattre. Ils ne peuvent oublier que les berceaux où ils dormaient enfants étaient adossés à d'imposantes bibliothèques: «Babel sombre, où roman, science, fabliau, / Tout, la cendre latine et la poussière grecque, / Se mêlaient», pour parler comme Baudelaire. Avant même de découvrir le monde des choses, ils avaient déjà épuisé celui des mots. Fidèles ou rebelles, ils sont des héritiers. Albert Camus, lui, ne reçut rien sinon le silence en héritage. Ses parents ne lui laissèrent aucun des mots avec lesquels il aurait pu dire le monde tendre et misérable où il avait été jeté. Son père mourut à la guerre; quant à sa mère, qui jamais n'avait appris à lire ou à écrire, le chagrin la rendit presque muette. C'est à l'ombre de ce silence que grandit Camus. Dans la maison où il vécut enfant, il n'y avait pas de livres. Pour Camus, écrire fut autant consentir à trahir ce silence qu'entreprendre de le perpétuer. Des hommes se trouvèrent sur le chemin de l'enfant pauvre d'Alger pour lui découvrir la possibilité d'un autre monde. Alors commença pour Camus ce qu'Aragon nomme la «grande nuit des mots». Les livres se succédèrent jusqu'à l'ultime consécration du prix Nobel. Une des principales œuvres de la littérature française du XXe siècle se constitua. Le silence avait été rompu. Mais au cœur même de ce langage aussi superbement déployé demeurait sans doute la nostalgie d'un silence originel qui creuse sa profondeur poignante dans chaque texte. Ce vide vibre, persistant, dans le «silence des soirs d'été» que chantent Noces comme il hante certaines des scènes muettes de L 'Exil et le royaume. Il est aussi ce «silence déraisonnable du monde» dont Camus nous dit, dans Le Mythe de Sisyphe, que, confronté au «désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme», il crée l'absurdité de notre condition. A l'aube de son œuvre, dans le premier des livres qu'il ait publiés - L'Envers et /'Endroit - Camus avait tracé ainsi le portrait d'une mère dont le mutisme introduisit l'enfant qu'il avait été à la grandeur tragique de lexistence : «Elle ne pense à rien. Dehors, la lumière, les bruits; ici le silence dans la nuit. L'enfant grandira, apprendra. On l'élève et on lui demandera de la reconnaissance, comme si on lui évitait la douleur. Sa mère toujours aura ces silences. Lui croîtra en douleur. Etre un homme, c'est ce qui compte. Sa grand-mère mourra, puis sa mère, lui. » 

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« Pour Camus, écrire fut autant consentir à trahir ce silence qu'entreprendre de le perpétuer.

Des hommes se trouvèrent sur le chemin de l'enfant pauvre d'Alger pour lui découvrir la possibilité d'un autre monde.

Alors commença pour Camus ce qu'Ara­ gon nomme la «grande nuit des mots».

Les livres se succédèrent jusqu'à l'ultime consécration du prix Nobel.

Une des principales œuvres de la littérature française du XXe siècle se constitua.

Le silence avait été rompu.

Mais au cœur même de ce langage aussi superbement déployé demeurait sans doute la nostalgie d'un silence originel qui creuse sa profondeur poignante dans cha­ que texte.

Ce vide vibre, persistant, dans le «silence des soirs d'été» que chantent Noces comme il hante certaines des scènes muettes de L 'Exil et le royaume.

Il est aussi ce «silence déraisonnable du monde» dont Camus nous dit, dans Le Mythe de Sisyphe, que, confronté au «désir éperdu de clarté dont l'appel ré­ sonne au plus profond de l'homme», il crée l'absurdité de notre condition.

A l'aube de son œuvre, dans le premier des livres qu'il ait publiés -L'Envers et /'Endroit -Camus avait tracé ainsi le portrait d'une mère dont le mutisme intro­ duisit l'enfant qu'il avait été à la grandeur tragique de lexistence : «Elle ne pense à rien.

Dehors, la lumière, les bruits; ici le silence dans la nuit.

L'enfant grandira, appren­ dra.

On l'élève et on lui demandera de la reconnais­ sance, comme si on lui évitait la douleur.

Sa mère toujours aura ces silences.

Lui croîtra en douleur.

Etre un homme, c'est ce qui compte.

Sa grand-mère mourra, puis sa mère, lui.

» Et, sur l'un des brouillons, le texte se poursuivait ainsi: «Et, au bord de ces pierres froides, il n'y aura ni interrogation ni réponse : un silence définitif.

». »

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