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Charles BAUDELAIRE - Le reniement de Saint-Pierre (Recueil : Les fleurs du mal)

Publié le 17/09/2006

Extrait du document

baudelaire

Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes  Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ?  Comme un tyran gorgé de viande et de vins,  Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.    Les sanglots des martyrs et des suppliciés  Sont une symphonie enivrante sans doute,  Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,  Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés !    Ah ! Jésus, souviens-toi du jardin des Olives !  Dans ta simplicité tu priais à genoux  Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous  Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,    Lorsque tu vis cracher sur ta divinité  La crapule du corps de garde et des cuisines,  Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines  Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité ;    Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible  Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang  Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant,  Quand tu fus devant tous posé comme une cible,    Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux  Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse,  Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,  Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,    Où, le coeur tout gonflé d'espoir et de vaillance,  Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,  Où tu fus maître enfin ? Le remords n'a-t-il pas  Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ?    - Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait  D'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve ;  Puissé-je user du glaive et périr par le glaive !  Saint Pierre a renié Jésus... il a bien fait.

Le texte est articulé en deux temps :

  • évocation de Dieu puis de son fils (7 premières strophes);

  • leçon tirée par l'auteur de cette évocation (huitième et dernière strophe).

Dans l'évocation correspondant aux sept premières strophes, il faut distinguer :

  • les quatrains 1 et 2 qui mettent en scène un Dieu-tyran ;

  • les cinq quatrains qui suivent, lesquels décrivent, en opposition à l'indifférence du Père, les malheurs et l'échec final de Jésus : le ton passe insensiblement de la méditation apitoyée à l'interrogation, puis à l'accusation.

Le dernier quatrain, qui met brutalement fin à cette évocation et en tire la leçon, est en quelque sorte « le reniement de Baudelaire «. Le caractère soudain et rapide de cette « leçon « lui donne toute sa force.

 

baudelaire

« Le thème de la révolte contre Dieu fait partie de la tradition romantique.

Nerval, Vigny, d'autres encore l'ontdéveloppé.

Il s'agissait à la fois de protester contre l'existence d'un monde où règnent la souffrance et le mal, dontle Créateur est jugé responsable, et de s'insurger contre la morale chrétienne dominante en défiant sa foifondamentale. Cet aspect provocateur, mais risqué, ne manqua pas d'inspirer Baudelaire.

Il en est si conscient que, dans l'éditionde 1857, il fait précéder le chapitre « Révolte » d'un avertissement où il semble curieusement s'excuser d'avoir prisle parti de la « fureur » anti-chrétienne, par nécessité de traiter à fond la thématique des Fleurs du Mal: «Fidèle à son douloureux programme, écrit-il, l'auteur des Fleurs du Mal a dû, en parfait comédien, façonner son esprit à tous les sophismes comme à toutes les corruptions.

Cette déclaration candiden'empêchera pas sans doute les critiques honnêtes de le ranger parmi les théologiens de la populaceet de l'accuser d'avoir regretté pour notre Sauveur Jésus-Christ, pour la Victime éternelle etvolontaire, le rôle d'un conquérant, d'un Attila égalitaire et dévastateur.

Plus d'un adressera sansdoute au ciel les actions de grâces habituelles du Pharisien: "Merci, mon Dieu, qui n'avez pas permisque je fusse semblable à ce poète infâme." » Autocensure ? Ou nouvelle provocation ? Cette note, destinée à s'abriter des censeurs religieux, mais aussi à éviter une interprétation trop « politique » du «Reniement de saint Pierre », montre que Baudelaire savait ce qu'il faisait : un poème de révolte, non de révolution ;un cri sans doute blasphématoire, mais qui allait au-delà du blasphème. La place du poème dans l'architecture des Fleurs du Mal nous indique en effet son sens profond dans la démarche du poète : l'ultime tentative pour échapper à l'Ennui d'un monde déserté par l'Idéal est justement la Révolte —révolte sociale, révolte métaphysique, révolte contre soi-même —, révolte après laquelle il n'y aura plus quel'aspiration à la Mort (et non l'action révolutionnaire !).

«Le Reniement de saint Pierre » va donc bien plus loin qu'unesimple provocation où, pour choquer les bien-pensants, un jeune poète affecte de prendre le parti d'un renégat. MOUVEMENT DU TEXTE Le texte est articulé en deux temps : évocation de Dieu puis de son fils (7 premières strophes); leçon tirée par l'auteur de cette évocation (huitième et dernière strophe). Dans l'évocation correspondant aux sept premières strophes, il faut distinguer : les quatrains 1 et 2 qui mettent en scène un Dieu-tyran ; les cinq quatrains qui suivent, lesquels décrivent, en opposition à l'indifférence du Père, les malheurs et l'échecfinal de Jésus : le ton passe insensiblement de la méditation apitoyée à l'interrogation, puis à l'accusation. Le dernier quatrain, qui met brutalement fin à cette évocation et en tire la leçon, est en quelque sorte « lereniement de Baudelaire ».

Le caractère soudain et rapide de cette « leçon » lui donne toute sa force. Mais la composition du texte ne se limite pas à l'ordre des thèmes qui sont successivement traités.

Au fil du poème,Baudelaire enchaîne une série de tableaux, à la façon d'un peintre illustrant chaque sujet, chaque épisode évoqué,par une peinture religieuse. Après la représentation du Dieu cruel, on assiste à un défilé d'épisodes de la vie du Christ, comme dans un cheminde Croix — même si les tableaux ne suivent pas l'ordre chronologique et ne se limitent pas à la Passion : on a ainsi lascène de la prière sur le mont des Oliviers, la crucifixion, l'humiliation de la couronne d'épines, la souffrance sur laCroix, l'évocation du jour des Rameaux, l'épisode des marchands du Temple, le coup de lance dans le flanc. Dans cette série de tableaux, on note évidemment les contrastes que le poète organise intentionnellement entre leDieu cruel et le Christ fraternel, entre les scènes heureuses de la vie de Jésus (vers 21 à 26) et le spectacle de seslongues souffrances. Un troisième fil directeur ordonne ces évocations : c'est le vaste mouvement oratoire qui entraîne le tout, et nous montre la personne du poète retentissant sans cesse aux scènes qu'il peint.

Il est d'abord présent par l'ironie, dansles deux premiers quatrains.

Puis, par l'apostrophe adressée à Jésus («Ah ! Jésus»), par la pitié indissociable des évocations réalistes qui suivent, par le long questionnement (aux anaphores marquées) qui précède l'accusationdirecte («Le remords n'a-t-il pas»), le poète se montre méditant à voix haute, avec ferveur et impatience, sur l'histoire du Christ : dire « tu » avec cette force, c'est faire entendre implicitement l'intensité de présence du « je ». Enfin, dans la dernière strophe, Baudelaire intervient délibérément sur un ton faussement tranquille, mais réellementdésespéré, opposant à l'exemple du Christ le parti pris du « quant à moi ».. »

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