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Charles Ferdinand RAMUZ, La pensée remonte les fleuves.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

(L'auteur évoque les vendanges auxquelles il a travaillé dans son enfance, avec les femmes d'un village du Valais, en Suisse).    C'était un mélange de beaucoup de choses, ces vendanges (ou bien si le mélange est seulement dans le cœur de l'homme, qui ne sait pas très bien lui-même ce qu'il est, et cherche autour de lui ainsi des occasions à ses tristesses et des prétextes à ses contentements). C'était dur, c'était fatigant; il faisait froid, il faisait sombre; tout à coup, le soleil se montrait et des rires y ont répondu : c'est une fille qu'on embrassait, parce que les garçons ont le droit d'embrasser celles qui ont oublié une grappe. Il y a la fatigue, les nuits trop courtes, le manque de sommeil, les maux de reins (parce que tout le temps on est baissées, nous autres femmes) ; on finit par avoir les doigts tout fendillés, la peau des mains pleine de crevasses à force de s'en servir dans la boue jusqu'au-dessus de la cheville à croire, quand on tire dessus, que les semelles vont y rester; on est mouillées par-devant jusque plus haut que la ceinture comme si on s'était jetées à l'eau; on a les jupes qui vous collent aux cuisses; c'est plein de pourri, c'est plein de moisi; les grains vous crèvent entre les doigts avec leur jus, vos doigts se collent les uns aux autres, vos manches se collent aux poignets, ça sent fort, ça fait éternuer, on tousse, on s'est enrhumées, on attrape des pulmonies (1) et des bronchites; — pourtant il suffit qu'un rayon de soleil brille pour que tout change. Parce que c'est beau, la vigne; c'est dur, mais c'est beau. Il y a des moments de repos et de répit; toutes les femmes se redressaient, les mains mises à plat au creux des reins, faisant d'abord une grimace et un mouvement en arrière; puis les voilà qui partaient à bavarder parce qu'il y a des moments de bonne humeur sous le soleil, qui venait tout à coup, les changeant de couleur, leur changeant la figure, leur changeant le cœur en dedans (...).    Un feu d'échalas brûlait dans le bas de la vigne; un mince brouillard blanc, pas plus épais qu'un drap de lit, traînait encore sur la plaine du Rhône, percé de place en place par la pointe des peupliers. Et il y avait au-dessus de nous comme une rivière de ciel bleu, tandis que les femmes faisaient un bel alignement entre les ceps, d'une rangée de ceps à l'autre; et l'une d'elles, descendue, était devant le feu où elle se chauffait les mains. La fumée en montait tout droit pareille à une colonne de verre légèrement teintée de bleu, à travers laquelle on voyait trembler le blanc de la plaine.    Charles Ferdinand RAMUZ, La pensée remonte les fleuves.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé qui mette en évidence votre sentiment personnel. Vous pourrez, par exemple, montrer comment cette évocation tout entière, contenu et expression, tend à faire ressentir intensément la double impression «C'est dur mais beau«.      (1) Pulmonie : déformation populaire de «pneumonie«. Ici comme dans d'autres passages du texte l'auteur se fait l'écho des propos habituels des vendangeuses.   

« — tactiles (répétition de «collent» par ex.), — olfactives (odeur écœurante du raisin écrasé..., entre autres), — visuelles (ex.

: le feu d'échalas...), toutes transcrivent les sensations d'où naissent des états d'âme assez frustes. • Tournures volontairement gauches («plein de»...

par ex.) parallèles au travail harassant, raison des «occasionsaux tristesses». • Mais cependant effort intense (coupe forte pour le passage de l'imparfait au présent : «il y a de la fatigue»).Fatigue en effet, car la vigne n'attend pas, les travaux des champs et les saisons entraînent le rythme du travail. • Ce travail est essentiellement physique; d'où parallélisme avec les formes du corps («courbé») et le rythme delassitude traduisant une impression d'interminable. • La vie naturelle fait fi des rythmes habituels de la vie humaine : «levers matinaux (il fait encore presque nuit),manque de sommeil...» en témoignent. • Souvenirs précis.

Expérience vécue.

Peinture réaliste des maux physiques dus à la hauteur réduite des plants devigne : maux de reins; ou au jus qui coule : «crevasses», doigts fendillés (véritables images); ou à la rapidité etcontinuité de l'effort : «vêtements qui collent», terre qui adhère aux pieds et englue, alourdit les mouvements.

D'oùconséquences : on «tousse», «bronchite»... • Ramuz fait preuve de nettes qualités d'observation. • Grâce à elles, nous pénétrons dans le monde agricole et montagnard. • Surtout, à travers la présentation de cette vie simple et par l'intermédiaire de ce langage direct et dru (impression d'entendre converser; langage parlé : «on est baissées» par ex.

et son curieux accord...), nous nous rapprochonsde la scène, nous la vivons. II.

« C'est beau la vigne, c'est dur mais c'est beau.

» • Travail d'antithèses, puis comme un lever de rideau avec le soleil, coup de théâtre : ces femmes simples,accablées de fatigue et de maux reçoivent le choc de la beauté naturelle. • Ramuz, amoureux de la nature et des travaux campagnards, montre que la dureté même de la vie fait apprécier labeauté. • Sentiment instinctif du beau, plus un certain plaisir venu des difficultés mêmes. • Quelques instants de permissivité s'adjoignent aux fatigues et puisent en elles leur intensité assez primitive. • Phénomène de compensation. • Traces païennes? En tout cas rituels, traditions, coutumes du terroir respectés à travers siècles et générations(épisode de la fille «qu'on embrassait»). • Nouveau visage du travail à travers ce «baiser».

Il naît de ce travail collectif, de l'union même des êtres humainsdans l'effort, de tout ce qui fonde les traditions. • Scènes observées.

Ambiance qui devient chaleureuse.

Brusque besoin de coopérer dans la camaraderie, pour sedonner du courage, de se détendre pour pouvoir poursuivre mieux le travail, pour venir à bout quelques instants dela fatigue. • Mais en même temps c'est comme une complicité de la nature qui se fait jour. • Correspondance soleil/baiser.

Sourire du soleil, d'où brusque transformation du paysage, de la qualité de l'air, doncde l'état physique.

Il soulève la chape de fatigue, l'état d'âme s'en ressent.

L'être sourit, soulagé, ce qui se voit, icidans son corps et le temps qu'il peut s'accorder.

• Avec le soleil : joie s'installe, corps renaît («les femmes se redressent»).

Véritable irradiation. • Il correspond donc à la beauté du travail collectif : communauté des travaux, peines, pauses, «répit et repos»(allitération qui rythme les moments).

Bonheur d'être ensemble sous le soleil, bonheur du bien-être qu'il apporte.. »

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