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Chateaubriand (François René, vicomte de)

Publié le 20/02/2019

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chateaubriand

Chateaubriand (François René, vicomte de), écrivain et homme politique français (Saint-Malo 1768 - Paris 1848). C'est le type même de l'homme existant à partir d'une double image mythique : celle que lui-même a tenu à imposer à son temps, celle que l'école et une certaine culture ont forgée à partir d'une lecture partielle et partiale de son œuvre. Théâtral, oratoire, Chateaubriand l'a été, et il a voulu l'être, à deux niveaux : dans sa conduite quotidienne, depuis sa démission de la diplomatie napoléonienne en 1804 ; dans l'image qu'il en a recomposée dans ses Mémoires. Exemplaire et théâtral à un autre niveau, il l'est par la tradition scolaire, avec quelques textes ressassés (Nuit dans les forêts d'Amérique, « Levez-vous, orages désirés », les funérailles d'Atala, l'épisode de Velléda, les soirées de Combourg) qui le figent dans la pose de « l'Enchanteur » alangui, modèle de prose poétique, et qui ont réussi à le rendre aussi solennellement ennuyeux et étranger aux lecteurs modernes que le Bossuet de « Madame se meurt, Madame est morte ». Heureusement, d'autres lectures se sont fait jour, la Venise de Proust, par exemple, qui permet de découvrir celle des Mémoires, la première Venise qui signifie parce qu'elle meurt, celle que n'avaient vue ni Rousseau ni Stendhal. Chateaubriand est aussi victime d'une autre entreprise. Bien avant Henri Guil-

 

lemin (l'Homme des « Mémoires d'outretombe», 1965), il a été de bon ton de railler René fourvoyé dans la politique, de démasquer ses mensonges, ses montages, de le ramener au statut de truqueur ou de farfelu décoratif. Procès traditionnel que l'idéologie bourgeoise fait aux vrais écrivains : on désamorce l'œuvre en s'en prenant à l'homme et en rabattant la première sur le second comme si, dans l’écriture, il ne se passait rien. Il est vrai qu'en revanche les rages d'une certaine droite (Maurras) contre Chateaubriand le « pourrisseur » préservaient des chances d'appel et de rectification. Dès le lendemain de la mort du vicomte, le duc de Broglie, préposé à l'ordre littéraire et moral d'après 1848, avait déjà dénoncé en lui l'un des responsables des journées de Juin... Aujourd'hui, on en est à recommencer, vraiment, la lecture de Chateaubriand. Un obstacle demeure (moins important pour Balzac et surtout pour Stendhal), qui est le vieillissement de toute une partie de sa production littéraire ; Chateaubriand a écrit toute la première partie de son œuvre dans un style fin xviiie s. que le réalisme du siècle suivant a tué, et que son propre journalisme et sa propre pratique d'écrivain politique avaient déjà déclassé. La lecture de Y Essai sur les révolutions et surtout des Martyrs, de la quasi-totalité des Natchez est une épreuve pour qui n'est pas capable de lecture historique. Chateaubriand date souvent. Cependant, le Génie du christianisme avait plaidé pour une esthétique moderne, contre les généralisations déformantes d'un certain classicisme que pourtant il révérait : là, peut-être, est le moyen d'intégrer, à la lecture des textes proprement « modernes » de Chateaubriand {Mémoires, Vie de Rancé, et les œuvres politiques et polémiques), ces premières tentatives qui font quand même craquer un académisme auquel tenaient tant les bourgeois et les académiciens thermidoriens. Alors que s'ouvre peut-être une ère nouvelle pour la lecture de Chateaubriand, il faut éviter l'erreur qui a longtemps été commise pour Balzac et pour Stendhal : trier des « chefs-d'œuvre » dans l'ensemble d'une écriture-aventure. Le texte de Chateaubriand est un texte continu qui établit un passage du style Louis XVI aux temps du chemin de fer et du roman-feuilleton. C'est dans le fameux rez-de-chaussée d'un journal d'Émile de Girardin que parurent (arrangés) les Mémoires de celui qui fut voué à la Vierge dans le village de Plancouët, qui réunit ses preuves pour être admis au chapitre de Malte et qui écrivit ses premiers vers sur le modèle de Delille et de Parny. Chateaubriand, de tous les grands hommes du xixe s., est sans doute l'un de ceux qui eurent le plus profondément conscience de l'Histoire et de l'historicité. C'est lui être profondément fidèle et c'est profondément le « reconnaître » que de faire effort pour le lire dans l'Histoire et par l'Histoire.

 

Chateaubriand a passé sa vie à se réclamer de deux légitimités : la légitimité aristocratique, la légitimité intellectuelle. La première, il l'avait (du moins en partie et d'une certaine meulière) trouvée dans son berceau ; la seconde, il devait contribuer à la forger dans le mouvement même de la société postrévolutionnaire. Combourg, c'est une évidence, existe aujourd'hui par le texte des Mémoires, Combourg fait et « monté » par Chateaubriand quasiment de toute pièce, Combourg qui n'était nullement le berceau de sa famille, mais tout autre chose, et qu'il fallait laver : Combourg avait été acheté par celui qui en devait devenir le comte avec l'argent gagné dans le commerce maritime pendant des années de besogneuse et efficace roture. Le texte littéraire, la fabrication de ce haut lieu d'une naissance culturelle, sera la grande opération purificatrice des Mémoires : Chateaubriand ne sera réellement aristocrate et chevalier, fils du comte de Combourg, que parce qu'il aura voulu l'écrire, et ce afin que son père soit blanchi d'une opération parfaitement moderne, mais par là parfaitement douteuse. Le père de François René, ruiné, sans avenir, avait décidé de s'embarquer comme mousse ; il passa ses grades, devint officier, patron, se vit confier des cargaisons et des navires par des armateurs, s'établit à son compte, navigua (du

 

sucre, des esclaves) et finalement ouvrit à terre des bureaux d'où il faisait désormais naviguer les autres. Tout cela non sans problèmes : il lui avait fallu renoncer à sa noblesse, à son droit de siéger aux états de Bretagne. En Armorique, compte tenu de l'intérêt du Roy, c'est-à-dire du capitalisme sous sa forme d'alors, il était loisible aux nobles de se mettre en congé de noblesse : moyen de ne pas bloquer l'activité économique et de récupérer ensuite au profit du pouvoir monarchique les retombées de l'entreprise. Pour le père, ce fut la réussite, mais amère et de mauvaise conscience : Combourg acheté à un prix exorbitant pour y vivre enfin noblement, mais avec le sentiment peut-être d'une trahison, d’une bâtardise ; pour le fils, l'image d'un père qui avait voulu jouer les descendants des croisés et qui n'avait été qu'un marchand. Circonstance aggravante : Chateaubriand est un cadet, et, à ce titre, il se trouve déjà exclu, marginalisé dans l'ancienne société. Ni terre ni argent. La Royale, peut-être, si l'on peut payer les études de mathématiques d'abord, l'équipement ensuite. Le frère aîné, lui, épousera une Males-herbes et voguera vers les splendeurs de la magistrature, du Parlement, bref, vers une carrière politique dont nul ne sait, vers 1788, que la guillotine puisse venir l'interrompre.

 

Un beau jour, le jeune cadet obtient une sous-lieutenance au régiment de Navarre. Départ pour Paris. Rencontre (passionnée) avec la société philosophique. Premières publications de vers dans le goût d'alors. Pourquoi écrire? Pourquoi avoir écrit ? René (le texte) racontera dans les solitudes de Combourg, chaque été, on retrouvait la jeune sœur, Lucile, elle aussi un peu exclue, et qui devenait femme ; on s'exaltait ensemble, on se disait des vers. René ne montrera jamais le jeune homme et sa sœur à l'intérieur du château, mais toujours à l'extérieur, et ils n'y entreront, fugitivement, qu'après la mort du père et alors que le château est déjà vendu. Comme quoi les symboles sont ce qu'il y a de plus clair dans l'Histoire. La vocation littéraire, l'idée d'écrire sont liées ici non à une socialité magnifiante ou magnifiée, comme dans le cas des littéraires « classiques », mais bien à une exclusion, à un porte-à-faux, à un manque à être. La littérature-contrebande est en train de naître, qui doit évidemment se trouver ses lecteurs. Le romantisme est en train de se former, bien loin encore des théories, mais dans ces marges du réel dominant qui, soit à la fin de l'Ancien Régime, soit au début du nouveau, sont le refuge et le destin de toute une humanité « non bénéficiaire ».

 

De quoi peut-on, vers cette époque, être bénéficiaire ? Là encore, les textes parleront. René racontera que, de retour dans sa patrie, il s'y trouvait aussi étranger que dans les solitudes et les forêts du Nouveau Monde. Mme de Staël dit aussi, vers la même époque, que l'homme et la femme de cœur et de bien se sentent seuls dans la société nouvelle. En clair : si « philosophe » et « révolutionnaire » qu'on ait été, le nouveau réel, dominé par l'argent, se révèle profondément déceptif, excluant. Chateaubriand, en 1791, a fui vers l'Amérique, pour s'y faire peut-être un nom d'explorateur, exploitable dans la diplomatie. Il s'ensuit une errance qui le conduit, après une brève campagne de principe dans l’armée des émigrés, au grenier de Kensington, où il survivra en donnant des leçons de français et en écrivaillant. C'est à Londres, dans les sombres années 1793-1800, que Chateaubriand est devenu un intellectuel, un crève-la-faim, un homme qui regarde par la fenêtre non seulement des riches mais des hommes « normaux », des petits-bourgeois et des bourgeois. L'aristocrate se fond alors à l'intellectuel pour donner ce personnage de l'« infortuné » qui domine, de manière inattendue, ['Essai sur les révolutions (1797). Premier ouvrage en forme, il s'inscrit sous un double patronage : celui de Montesquieu pour une réflexion comparée sur les sociétés et leurs révolutions ; celui de Rousseau, parfaitement antinomique, pour une histoire vécue et dite de manière tragique par un moi de nulle part. Chateaubriand récuse aussi bien les nostalgiques aveu

 

gles « du quatorzième siècle » que les thuriféraires d'un ordre nouveau qui est celui de l'argent (la Constituante, note-t-il, a consolidé les créances des usuriers sur les paysans). Il sait qu'un monde est mort. Il ne sait lequel va vivre. Le livre n'eut qu'un faible écho, mais Chateaubriand y tiendra beaucoup, plus tard, pour prouver qu'il avait toujours été attaché à la liberté. Laquelle ? Certainement pas celle des révolutionnaires bourgeois. Chateaubriand salue la Marseillaise comme vraie poésie moderne, mais il fait de l'exil, de l'émigration, dans tous les sens du terme, l'un des signes de la modernité. Qui aurait pu comprendre, alors, malgré d'explicites déclarations, qu'il s'agissait d'autre chose que de Coblenz?

 

En Amérique, Chateaubriand avait écrit un immense roman-épopée, les Natchez, dont le héros, René, constamment et sans explication désigné comme « le frère d'Amélie », avait fui sa patrie et demandé l'adoption aux Indiens. Traître. Émigré. Fuyant quel crime ? Obligé d’épouser une Indienne, René fuyait son époque et nommait sa fille Amélie, « l'autre Amélie ». Emprisonné par les colons de la Nouvelle-Orléans (c'est-à-dire par son père et le monde colonial), René finissait massacré après avoir livré une part de son secret à son épouse, Céluta : « Suis-je donc Caïn ? » René avait été aimé, disait-il, trop aimé. Puis Céluta était violée dans le sang de son époux par l'Indien qui la poursuivait depuis si longtemps. Roman agressif, blasphématoire, les Natchez auraient infiniment plus surpris et choqué Mmc de Chateaubriand mère et sa fille, si elles avaient pu le lire, que cet Essai sur les révolutions qui leur disait, paraît-il, l'athéisme de François René. Mme de Chateaubriand devait en mourir. Lorsque son fils l'apprit, il pleura, paraît-il (il l'a dit en des termes mémorables), et il crut. Le manuscrit des Natchez était toujours là, cependant, et il ne fut pas brûlé. Pourquoi ? Plates raisons d'opportunisme littéraire (on ne sait jamais) ou bien sentiment que du vrai y était dit, même si ce n'était pas le moment? Chateaubriand avait rapporté son manuscrit à Londres, où il l’avait terminé, mis au point, renonçant à une première manière épique (chants à la Virgile ou à la Fénelon, invocations et merveilleux de la plus pure tradition classique, mais en prose), pour en venir à une narration purement romanesque. Mais les choses allaient vite en France. Bonaparte entendait rétablir l'ordre. Chateaubriand décida de rentrer. Il « oublia » les Natchez dans une malle et n'en préleva que deux épisodes, deux « tiroirs » (retours en arrière), Atala (histoire du chef indien Chactas qui a adopté René) et René (confession partielle de René à Chactas et au missionnaire Aubry). Preuve qu'il contrôlait l’opération.

 

Chateaubriand débarqua à Calais quasiment avec le siècle (voir le récit des Mémoires), se fit rayer de la liste des émigrés et prit allègrement du service auprès de la France nouvelle. René-Caïn demeurait à l’écart alors que s'avançait René-Concordat. Le Génie du christianisme, commencé à Londres, nouvelle apologie de la religion chrétienne (mais avec de tout autres arguments que chez Pascal : historiques et non métaphysiques), paraît en 1801. Chateaubriand entend, contre tout le courant Voltaire-Lumières, montrer que le christianisme a été un facteur de progrès et qu'il a dit l'âme de l'homme moderne dans le monde. Le succès est considérable, et Bonaparte opine positivement. S'est-il bien rendu compte de ce que signifiait l'inclusion dans cet ouvrage bien-pensant d'Atala (publié d'abord séparément) et de René, donnés comme exemples de l'approfondissement des passions par la religion chrétienne ? Du côté du conservatisme culturel bourgeois (l'Académie), c'est, en tout cas, le tir de barrage. On ne pardonne pas à Chateaubriand son style, et Stendhal raconte qu'il a failli se battre en duel à cause de « la cime indéterminée des forêts ». Chateaubriand joue en fait sur deux tableaux : il colporte un certain ordre (équivoque : cet ordre est à la fois antibourgeois et néocatholique) et il le mine par une mise en roman du jeune homme pauvre, de l'inceste, du vague à l'esprit et à l'âme

 

(car c'est par l'esprit que les choses commencent, n’en déplaise aux voltai-riens : voir la méditation de René sur les civilisations mortes, son refus de l'utopie dans la nature après celui de l'utopie urbaine, ce « vaste désert d'hommes », qu'aimera citer Stendhal). Mourir d'amour et de foi mal jurée comme Atala, mourir de ne pouvoir oublier le meurtre originel de la sœur, comme René, et de ne pouvoir accepter l'insertion sociale (la « confession » à Chactas et Souel n'a été suivie d'aucun ferme propos, d'aucune réintégration) : c'est donc encore possible après la Révolution ? La modernité révolutionnée n'a nullement libéré l'homme, mais certains hommes, ceux dont Chateaubriand dit dans le Génie qu'un La Bruyère leur manque. Qui décrira les nouveaux ridicules, les nouveaux tyrans ? Mme de Staël dit alors exactement la même chose, même si, en femme de parti, elle le regrette davantage. Mais c'est qu'elle n'avait pas vu, elle, cette Amérique washingtonienne où Chateaubriand s'attendait à trouver de nouveaux Catons et qu'il avait trouvée si comparable aux métropoles commerciales de l'Europe. (« Je n'ai pas, comme le colon américain, dépouillé l'Indien des Florides », premier chapitre du premier livre des Mémoires). L'élargissement de la géographie littéraire fait ici très mal au nouvel ordre établi. Au passage, le Génie rétablissait certaines valeurs, et mettait donc à mal certaines affirmations de la bourgeoisie philosophique : ainsi Pascal, si malmené par Voltaire, se trouvait réhabilité pour avoir vu le tragique de la vie. « Cet effrayant génie, Biaise Pascal », allait être l'une des relectures fondamentales de la génération arrivant aux idées (Victor Cousin). Mais cette redécouverte de Pascal (et de Socrate), qui ne pouvait se faire que contre les cités et les comédies de pouvoirs, ne se produisait pas dans le vide. Elle mettait en cause, très précisément, la nouvelle cité, les nouveaux pouvoirs, l'âme de Chateaubriand n'étant, dans tout cela, qu’un instrument de perception et d'expression parmi d'autres. Mais il y avait, aussi, cette éloquence particulière.

chateaubriand

« semble d'une écriture-aventure.

Le texte de Chateaubriand est un texte continu qui établit un passage du style Louis XVI aux temps du chemin de fer et du roman-feui lleton.

C'est dans le fameux rez-de-chaussée d'un journal d'Émile de Girardin que parurent (arrangés) les Mémoires de celui qui fut voué à la Vierge dans le village de Plancouët, qui · réunit ses preuves pour être admis au chapitre de Malte et qui écrivit ses premiers vers sur le modèle de Delille et de Parny.

Chateaubriand, de tous les grands homm es du � s., est sans doute l'un de ceux qui eurent le plus profondé­ ment conscience de l'Histoire et de l'historicité.

C'est lui être profondément fidèle et c'est profondé ment le. »

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